67.1
Yue aimait grimper aux arbres, marcher sur les toits, jouer à cache-cache et faire la course. S’il n’avait pas eu d’autre ambition que de faire d’elle une jolie petite curiosité à venir voir en spectacle, son tuteur l’aurait tenu éloigné de ces jeux dangereux à toute force, pour être sûr de ne pas casser bêtement sa poupée préférée, mais puisque cette poupée devait grandir, que le jour viendrait où ses tours n’impressionnerait plus le monde, Léopold travaillait aussi à la rendre utile autrement.
Les compétences qu’elle développait bien à travers ses amusements extrêmes la rendrait un jour propre à toute sorte d’offices sérieux : écouter aux portes trop bien verrouillées ou les contourner, transmettre un document ou en dérober un autre, poursuivre une cible ou échapper à un poursuivant…
Son premier succès dans l’information remontait tout juste à un an, peu avant son dixième anniversaire. Claud Makara avait alors sollicité une représentation de la fillette et de son dragon à l’occasion des fiançailles d’Edmond, son plus jeune fils. Moyennant cela ce cadeau qu’il demandait à Léopold, il offrait de réviser à la baisse le prix auquel il proposait de céder Violette, la change-forme du quatuor fabuleux de l’Héliaque.
Ennuyée par la part des festivités qui ne la concernait pas, Yue s’était permise une visite de la ménagerie privée du comte et en avait ramené la preuve que la fabuleuse s’en était enfuie plusieurs lunes auparavant, quelques jours à peine après sa capture. Léopold avait ainsi démasqué le projet de Claud de lui vendre un sosie humain de l’adolescente, bien incapable de se transformer en smilodon ou d’aider sa quête de vérité. Tenu par l’honneur que son demi-frère menaçait de tâcher en rapportant ce bas-fait, Claud avait cédé quelques terres à Léopold, ainsi qu’une partie de sa collection d’artefacts.
Lors, les perspectives d’avenir de Yue d’avenir s’était élargies. Son statut avait changé. Sa valeur avait augmenté, dans un tout autre registre de monnaie que celui pour lequel ses mestres avaient orchestré sa naissance.
Yue ne réclamait aucune contrepartie pour exécuter les ordres. Léopold lui en offrait quelques-unes malgré tout. En l’occurrence, découvrir ce que cachait Jarolt devait lui faire faire gagner un peu d’argent de poche – une compensation que la petite fille trouvait formidable – ainsi qu’une information que son fabuleux lui réclamait : l’adresse postale du nouveau mestre de Natacha.
Motivé par cette perspective, Bard s’appliquait à aider sa mestresse, bien plus n’importe quel autre fois.
— Ton odeur et la sienne se mélangent dans ma tête, c’est très perturbant, se plaignit-il durant la filature.
— Tu as dit que tu pouvais le pister les yeux fermés, lui rappela-t-elle.
— Je l’ai cru justement parce qu’il sent comme toi, ou qu’il transporte un objet qui sent comme toi, un peu comme Io Ruh.
— J’ai pas eu l’impression qu’il manquait quoi que ce soit dans ma chambre, pourtant.
En suivant les traces de pas asymétrique du claudiquant, Yue et Bard s’enfonçait toujours plus dans la forêt. Heureusement, le ciel était clair.
— Où est-ce qu’il va, tu crois ?
— Je n’en sais rien mais je crois que tu parles beaucoup trop être discrète.
— Il est loin devant.
— Moins que ce que tu crois.
Subitement, la piste interrompue les laissa bras ballant au milieu d’une petite clairière. Il se turent, observèrent, écoutèrent, sentirent… rien.
— Oh, oh… s’inquiéta Yue. Monsieur le baron ne va pas être content. Il a dû comprendre qu’on le suivait et trouver un moyen de nous semer.
— J’en doute. Pas assez malin.
— Il a aussi pu avoir de l’aide.
Bard prit le temps de réfléchir. En ce qui le concernait la piste ne s’était pas tout à fait envolée.
— Marquons l’endroit et rebroussons chemin, préconisa-t-il plus fort que nécessaire. Le mestre verra bien ce qu’il peut tirer d’une fouille de cette zone.
— Il va nous passer un savon si c’est tout ce qu’on a à lui proposer.
— Je sais.
Un craquement ébranla le froid silence. Une lame glissa hors de son fourreau dans l’obscurité. Son fil vint se loger sous la gorge du fabuleux.
— Alors, fit la voix triomphante de Jarolt. Qui n’est pas assez malin, pour le coup ?
Bard sourit.
— Toujours toi.
Un grondement fit vibrer la nuit au rythme d’un rire guttural. Bard aimait être provoqué, car il aimait se venger. La neige fondit sous ses pieds, formant un cercle parfait. En un instant, il fut tel une torche humaine, embrasé par sa propre chaleur sous l’ombre des sapins.
Horrifié, Jarolt lâcha son arme devenue aussi utile qu’une brindille. Son instinct lui dicta de reculer. Son infirmité le jeta sur son séant. Il rampa pour fuir l’incendie qui se muait en dragon.
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