67.4

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Sanaeni ne fit rien pour retenir Yue. Cloué au sol, son corps tremblait d’avoir manipulé trop de magie en une fois.

— Ça va, Sani ? s’inquiéta Jarolt.

En se tournant vers lui, Sanaeni se senti stupide d’avoir essayé de le défendre contre une petite fille et un bébé dragon. Stupide aussi d’avoir cru qu’il s’en irait si elle le lui demandait. Plus que jamais, pourtant, elle aurait eu besoin d’être seule.

— J’ai pas tout compris à tout ça mais… La gamine, tu sais, faut se méfier, elle est mestresse et elle vit avec un type dangereux. Si elle lui dis que tu es ici et que tu viens d’Arë’n, il va envoyer des gens pour te capturer et…

Il mima le geste de se faire passer les fers. Sanaeni soupira.

— Je suis forte, Jarolt. Plus que toi, plus que beaucoup d’âmes. Rentre chez toi, va voir le sommeil. Ne pense plus à moi.

— Si j’dors, j’ferais que ça, penser à toi.

La fabuleuse ne comprit pas, ou ne voulut pas comprendre. Elle se détourna du prétendant qui n’en serait jamais un à ses yeux et s’allongea sur la terre humide pour se concentrer sur la reconstitution de ses forces.



Le bon l’emportait parfois sur le mauvais, chez Yue. Parfois. Le plus souvent, elle se comportait en enfant capricieuse et autoritaire, aussi Bard suait-il sang et eau pour se retenir de l’étrangler.

De retour à la baronnie, il l’aidait à soigner ses plaies et à se rendre présentable en réfléchissant aux évènements de la dernière heure. Il en gardait un souvenir flou, comme toutes les fois qu’il passait d’une forme à l’autre. Le plus important ne lui avait pas échappé pour autant : Sanaeni existait par-delà les histoires qu’ils avaient lus ensemble. Elle connaissait Yue, connaissait Isaac et connaissait leurs parents respectifs.

— Je ne te comprendrai jamais, s’affligea-t-il.

— Tant pis. Fais doucement, tu me tires les cheveux.

Recoiffer Yue aurait dut être le travail de sa servante. Bard voulait bien croire que lui s’y prenait mal en comparaison.

— Tu te rends compte de ce qui vient de se passer, au moins ?

— Oui. Mieux que toi.

— Alors pourquoi tu t’es enfuie ?

— Parce que j’en avais entendu assez et que je dois faire mon rapport au baron.

— Et pour Isaac, alors ? Tu ne veux pas l’aider à retrouver sa famille ?

Yue leva vers lui ses yeux dépareillés, l’air de lui intimer de se taire ou ne jamais répéter ce qu’il venait de dire.

— Je suis sa famille.

— Tu n’es pas sa seule famille.

— Qu’est-ce que ça change ? Je suis sa grande sœur. C’est moi l’ai sauvé quand sa mère l’a laissé, c’est moi qui me suis occupé de lui et quand je serais assez, c’est avec moi qu’il vivra. J’aurai mon propre domaine avec plein d’espace pour jouer et beaucoup d’esclaves pour s’en occuper. Si sa maman revient, elle je pourrais lui donner une chambre mais c’est tout. Personne n’emmènera Isaac loin de Terres Connues, encore moins un personnage de conte de fée.

Bard ne bougeait plus, estomaqué. De toutes les inepties qu’elle proférait au quotidien, Yue venait de probablement de dire ce qu’il avait entendu de plus égoïstes.

Pire, il se surprit à regretter de ne pas faire partie de son plan d’avenir naïf et égocentré. N’avait-elle pas de place pour lui dans sa vie fantasmée ? Ne serait-il qu’un des nombreux esclaves mentionnés par la fillette ?

— Entendu, Mestresse, acquiesça-t-il amèrement.

— Ne m’appelle pas…

— Tu es Mestresse, Yue. Accepte-le une bonne fois pour toute, ce sera plus facile pour tout le monde.

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