71.3

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Il y avait longtemps que Cha n’avait plus autant marché. Ses pieds la faisaient souffrir de toutes les façons possibles. Bard lui avait bien proposé ses bottes, mais entre glisser ses pieds mouillés et sales dans des chaussures trop grandes qui auraient pétri ses pieds d’ampoules et les garder nus, elle avait choisi.

L’acharnement de Bard avait porté ses fruits. Il avait tenu sa promesse de leurs faire quitter Skal avant le lever du jour. Malgré tous les doutes, toutes les protestations de la sang-mêlé, ils avaient franchi le dernier rempart de la ville sous le couvert de la nuit, pour enfin voir le soleil raser d’or la campagne vallonnée du grand nord quelques lieues plus loin. Le jour naissait alors sous un reste d’averse. Les cristaux de neige et la rosée parsemaient l’horizons de petits éclats scintillants, pareils aux reflets du soleil sur l’océan. Tombée en contemplation, Cha en oubliait presque les cris de détresse de ses articulations. Elle en oubliait d’avoir peur et de se sentir stupide.

L’âme rajeunie, elle se souvint de ses premières tentatives de fuite, des déferlantes d’espoir et d’adrénaline qui l’avait porté sur des kilomètres et des kilomètres. Jusqu’où pouvaient encore aller ?

— Tu as soif ?

Bard lui tendit l’outre qu’il venait de remplir d’eau claire à un ruisseau, tout proche. Elle l’accepta et se désaltéra à grandes goulées.

— Désolé de ne pas t’en avoir proposé plus tôt. Elle était vide quand je suis sortie de la forteresse.

La poche de cuir était assortie à sa tenue, conçue pour pendre à sa ceinture entre autres rangement pratiques.

— T’es sacrément bien équipé, releva-t-elle.

— Quand j’accompagne Yue quelque part et que les fabuleux ne sont pas autorisé à l’intérieur, je reste parfois des heures dehors, alors j’ai de quoi transporter à boire et à manger.

— T’as une petite pochette pour ton goûté ? C’est chou. Au cas où t’en douterais encore, t’es en train de quitter un mestre qui te traite mieux que certaines personnes ne traitent leurs enfants.

— Au cas où tu en douterais encore, je m’en moque. Je préfère qu’on soit libres.

Cha affecta un sourire.

— Je suis trempée comme un vieux chiffon de vaisselle et je vais plus pouvoir avancer longtemps. Pour l’instant, la liberté ressemble à un cul de sac.

— J’ai aussi besoin de repos, concéda Bard. Le plus dur commence maintenant.

— Ah ?

— Oui. Il faut trouver un endroit où s’abriter, une façon de nous nourrir, le tout en évitant de nous faire remarquer par des personnes susceptibles de nous signaler.

— Tu veux dire tout le monde et n’importe qui ? On est des fabuleux ! On fera pas long feu avant qu’on nous demande qui sont nos mestres et ce qu’on traine dans les parage de n’importe où !

— Ne panique pas. Où est ta marque ?

— Que… quoi ?

— La marque de mestre Dvalin. Tu dois bien avoir un perçage de sa maison, non ?

— Je… J’ai pas de perçage, mais un encrage. Il est… Il est à l’intérieur de ma cuisse.

— Parfait ! s’emballa Bard.

— En quoi c’est parfait de devoir soulever ma jupe pour m’identifier ?

— Je… euh… Ce que je veux dire, c’est… qu’elle est discrète. Et tu passes facilement pour une humaine, si tu caches tes dents.

— Peut-être, mais…

Son attention fuit par-dessus l’épaule du fabuleux. Par réflexe, il se retourna. Rien. Rien, sinon deux corbeaux.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit Bard.

— Il y a… deux corbeaux.

— Et alors ?

— Alors t’es Tjarn, merde ! Et t’es lettré. Tu dois savoir ce que ça signifie. Tu ne connais pas Hugin et Munin ?

— Premièrement, je suis d’abord Réel, puis Jeradien avant d’être Tjarn. Deuxièmement : non, je ne connais pas Hugin et Munin.

— Il parait que la famille royale peut contrôler des chimères ; un truc en rapport avec le fruit et la sève d’Yggdrasil. Pas la famille, le gros arbre ! Et le roi, il aurait deux corbeaux bizarres, un qui voit et l’autre qui entend pour lui. Il y a même une expression qui fait… enfin, je sais plus, mais ça se traduit : Ne trompe jamais ta femme sous l’œil de deux corbeaux.

— Ça n’a aucun sens…

— Quoi ? Tu me crois pas ?

— Non, ce qui n’a aucun sens, c’est cette expression. L’adultère n’est pas criminel, en Tjarn. Par contre, le mot tromper ressemble au mot noyer, en tulis. Ce doit être : Ne noie jamais ta femme sous l’œil de deux corbeaux.

— Oh, bien sûr, ça a plus de sens ! ironisa Cha.

— Je t’assure qu’historiquement, ça a du sens. Et ces oiseaux peuvent aller raconter ce qu’ils veulent au roi, il est aux portes de la mort depuis des années. C’est le premier prince qui règne.

— Bard. Je m’en bats les reins que ce soit le roi ou le prince qui vienne nous couper la tête.

— Tu penses vraiment qu’ils sont Hugin et Munin ? Si c’était le cas, ils serait déjà parti rapporter, non ?

– Bah… je sais pas, peut-être qu’ils attendent… d’être sûrs ?

Cela ne convainquit pas Bard que ces oiseaux pussent être dangereux. Cependant, il tenait à ce que Natacha se sente le plus en sécurité possible. Il se baissa pour ramasser quelques pierres choisies, qu’il soupesa et examina tour à tour.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Yue m’a appris à lancer des couteaux. Quand je m’ennuie, je m’entraine avec des pierres coupantes.


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