76.2

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— La lancière et moi avons pris une décision, annonça-t-il. À ton tour de prendre la tienne. Le temps nous presse plus que prévu.

Il tendit une main au creux de laquelle un petit monticule de cendres mêlées de terre se tassait, bientôt dispersé par le vent nocturne.

— Voici les restes d’un œil de Nídhögg, le serpent d’Yggdrasil qui prête sa force à la cour de Tjarn. Ils étaient cent à vous poursuivre quand je vous ai soustrais à la réalité, celle aux dents limées et toi. Celui-ci a réussi à retrouver ta piste.

Bard déglutit, inquiet. La savante s’était-elle trompée en affirmant que sa sécurité était garantie par ce lieu d’arcanes ?

— Nous n’entrerons pas en querelle contre la couronne au nom d’une âme unique, mais nous protègerons l’âme qui se met en danger pour le bien d’une autre.

Il ouvrit sa seconde main, révélant cette fois une quantité absurde d’or en tablettes. Bard en compta environs huit, peut-être dix.

— Une seule de ces pièces rachètera celle aux dents limées. Le reste à quelque chance de dédommager ton mestre pour le désagrément qui tu lui a causé et obtenir ton pardon, que la lancière demandera pour toi.

L’archer referma le poing, libérant Bard de l’emprise que les reflets du métal exerçaient sur lui.

— Si tu ne désires pas être rendu, je te porterai aussi loin que mes pouvoirs le pourront. Tu pourras reprendre ta fuite au risque d’être retrouvé demain, ou plus tard, par des mestres dont l’ire aura crû en proportion du temps et des efforts consacrés à ta poursuite.

L’alternative ne lui était pas présenté sous un jour très favorable. Quand bien même elle l’aurait été, il n’en aurait pas été dupe. Il avait le choix entre mourir en se battant pour sa liberté ou accepter un retour aménagé à la servitude.

Une main effleura son épaule, révélant une présence à son côté. Il du lever la tête pour croiser le regard de la lancière. La valkyrie lui parut d’autant plus grande qu’elle se tenait proche. Son regard plein de compassion lui brûla le cœur.

— Quelle que soit ta décision, il va être temps de dire adieu. Nous…

— Inutile, l’interrompit Bard. Mes adieux sont faits. Je suis prêt à rentrer.



La sueur perlait au front du prince Halfdan. Les serpents sifflaient par centaine autour de lui, rampant sur et sous la terre qui l’entourait, s’enroulaient autour de ses membres. Assise sur un rocher tout juste assez haut pour la placer au-dessus des herbes, Yue l’observait avec fascination.

— Monsieur le baron ? Est-ce que le quatrième prince est un fabuleux ?

Son tuteur lui obliqua un regard effroyable. Yue eut un mouvement de recul, persuadée l’espace d’une seconde qu’il s’apprêtait à la frapper.

— Je veux dire… Je me demande comment le quatrième prince fait pour utiliser la magie s’il est humain.

— Il fait comme moi. Il utilise une magie qui lui a été greffée.

— Vous utilisez la magie aussi ?

— Parfois, oui. Je te ferai étudier les sciences arcaniques d’ici quelques années. Tu comprendras mieux ce dont il est question.

— Beaucoup d’années ?

— Autant qu’il en faudra pour que tu acquières des connaissances plus essentielles. Tu ne t’en sortiras jamais seule si…

Il s’interrompit, soupira.

— Tu ne t’en sortiras jamais seule, reprit-il sur le ton de la défaite.

Yue sentit qu’il se parlait à lui-même plutôt qu’à elle, aussi renonça-t-elle à comprendre le fond de sa pensée.

— Neuvième !

L’apostrophe du quatrième prince fit cabrer les chevaux, qui s’affolèrent de plus belle ce qu’une onde de force inconnue vînt coucher en vague les herbes de la plaine.

— Que se passe-t-il ? s’inquiéta Léopold.

Subitement, elle fut là, sans l’avoir été une seconde plus tôt : une femme si grande qu’elle aurait pu croiser le regard d’un homme juché sur sa monture sans avoir à lever le menton. Yue se leva. Debout sur son perchoir, elle prit à peine mieux la mesure de l’apparition.

Les serpents du quatrième prince lui tombèrent du corps comme la poussière tombant d’une pierre friable. Il luttait pour ne pas vaciller tandis que Léopold resserrait une prise imaginaire sur le fusil qu’il aurait voulu avoir sur lui.

Yue sauta sur l’herbe couchée pour s’approcher ; une main la saisit au vol, serrant si fermement son bras qu’elle en eut mal : son tuteur la retenait.

La douleur se mua en frustration lorsque les trois adultes entamèrent une conversation en tulis. Au bout de ce qui lui parut une éternité, son bras lui fut rendu et l’un des princes daigna lui faire une traduction succincte.

— Tu reverras ton fabuleux demain matin, jeta Léopold. Tout est réglé. Rentrons.

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