83.3
Conformément au souhait de Yue, elles descendirent de leur coursive, puis, toujours sous les chemins couverts, s’approchèrent autant que possible du carré de terre battue qui délimitait la zone d’entrainement. Leur effort de discrétion tout relatif ne paya pas. Un vent de dissipation souffla sur le groupe. L’instructeur dut rappeler ses aspirants à l’ordre avant de se porter à la rencontre des deux importunes.
Contre toute attente, il salua le commandant Klalade avec le respect dû à son rang. Elle lui rendit la politesse comme à un égal malgré l’insigne d’officier subalterne qu’il arborait.
Une explication s’imposa, succincte. Pour ne pas en dire plus que nécessaire, Rëvika ne parla que de la curiosité de son élève.
— J’ai peur que vous soyez un peu déçue par votre détour, nous ne revoyons aujourd’hui que des bases de la posture.
Ils rejetèrent un œil en direction du groupe qui, s’étant équipé de hampes, avait reformé les rangs et attendait en garde.
— Seuls les officiers supérieurs sont habilités à superviser des combats ou à introduire de nouvelles techniques au catalogue des aspirants, ajouta l’instructeur.
— Le commandant Klalade est un officier supérieur, souligna Yue.
— Oui, un officier supérieur qui ne supervise que toi, la refroidit Rëvika. Merci pour votre temps, Lieutenant. Vous pouvez retourner à vos aspirants.
Le cours reprit, aussi monotone qu’avant son intermède. Sans les questions intempestives de Yue, le commandant se serait probablement endormie debout. L’interrogatoire la poussa à faire plus amplement étalage de ses opinions sur la pédagogie poussiéreuse de l’ordre des draconniers. Entre autres, elle trouvait ridicule qu’on enseignât encore aux aspirants à manier les armes d’hast, qui s’avéraient souvent aussi encombrantes qu’inutiles sur le dos d’un dragon. Cela ne l’empêcha pas de désigner les plus habiles d’entre eux à son élève comme exemple à suivre, ainsi que les moins adroits pour les erreurs à éviter.
La séance ne dura que deux heures et laissa Yue sur sa faim. Le groupe se dispersa rapidement, les uns ayant des heures de vol ou d’étude à honorer, les autres une corvée, dont celle de ranger le matériel qui encombrait encore le terrain.
— Alors… c’est tout ? se plaignit-elle.
— Nous avions été prévenues.
— Je suis déçue quand même.
— Je comprends. Si tu veux, je te laisserai lancer des couteaux, tout à l’heure.
L’idée, quoique plaisante, fit hausser à Yue un sourcil méfiant.
— Est-ce que vous essayez encore de me réconforter ?
— Euh… En quelque sorte, oui. Ça pose problème ? Tu préférerais que je t’oblige à faire les exercices que tu aimes le moins quand tu es de mauvaise humeur ?
— Je suis pas de mauvaise humeur !
— Tu crois à ce que tu dis ? Parce-que moi, non.
Yue leva les yeux au ciel, ce à quoi le commandant opposa une formidable chiquenaude sur le front.
— Ne refais jamais ça devant un supérieur. Jamais. Parle, si tu es contrariée, au lieu de grimacer.
La petite appuya la pulpe de ses doigts entre ses sourcils froncés, mal remise de sa surprise.
— Je me fais comprendre ? la pressa Rëvika.
— Oui, Commandant.
— Quelque chose à redire ?
— Non, Commandant.
— Bon.
Rëvika tourna les talons pour rebrousser chemin. Leur session d’entrainement restait à entamer malgré son mal de tête qui ne se résorbait pas, voire s’aggravait. Pour ne rien arranger, elle ne put avancer que de quelques pas avant qu’un obstacle ne vînt se planter devant elle ; un obstacle absurde.
— Pardon de vous déranger, commandant Klalade. Je ne sais pas si vous vous souvenez de de moi, mais…
— Je me souviens de toi, Psàr, le détrompa-t-elle. Parle vite, je suis pressée.
Loug hésita, ébranlé, puis s’inclina profondément.
— Je viens vous présenter mes excuses pour hier. Je ne cherchais pas à mal. J’ai juste parlé sans réfléchir au mauvais moment et la situation m’a échappée quand mon référent a voulu me défendre.
Cela, Rëvika voulut bien le croire. Le gamin avait eu l’air sur le point de se faire dessus pendait que Cézerto luttait pour ne pas sourire trop fort.
— Si tu dois des excuses à quelqu’un, ce n’est pas à moi, souligna-t-elle en se décalant pour laisser voir la concernée.
Loug se redressa, avança d’un pas et s’inclina derechef.
— J’espère que tu voudras bien me pardonner, Yue. Si tu as besoin d’aide à l’avenir, que ce soit pour les entrainements ou les cours, n’hésite pas à me demander, je serais ravi de t’être utile.
Yue se tourna le commandant, l’air de supplier qu’elle lui ôtât une épine du pied.
— Je ne vais pas répondre à ta place, la déçut Rëvika. C’est à toi d’accepter ou de refuser les excuses qui te sont présentées.
— Personne ne m’a présenté d’excuse, répliqua-t-elle.
Rëvika renfrogna, confuse.
— Il a dit qu’il espérait que je lui pardonne, clarifia Yue. Ce qu’il espère, moi, je m’en moque. Je veux ni de ses fausses excuses, ni de son aide. Qu’est-ce que je dois faire pour qu’il me laisse tranquille ?
Sa question médusa Loug. Rëvika, qui commençait à connaître son élève, sourit nerveusement.
— De mon temps, les aspirants se provoquaient en duel, mais en l’occurrence, tu pourrais commencer par lui parler directement.
— Excellente idée, fit Loug, brutalement revenu à ses sens. Faisons un duel.
— Je plaisantais, Psàr, s’irrita le commandant. Lève la main sur mon élève et je t’arrache les ongles.
Loug ferma les poings dans un réflexe protecteur, malgré quoi, il s’obstina.
— J’ai souvent entendu dire qu’une compétition saine pouvait aider à venir à bout d’une querelle. Nous pouvons envisager un duel sans contact : une course ou un concours. Si Yue gagne, je la laisserai tranquille. Si je gagne, elle devra me donner une chance de me faire pardonner. Vous seriez d’accord ?
Son ton affable et les termes obscurs du compromis qu’il proposait alarmèrent la commandant, dont le regard s’assombrit.
— J’accepte, jeta Yue.
☼
Annotations