86.4

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Les instructions de Io Ruh ne laissèrent qu’une trace éphémère dans l’esprit de Ma Han, qui eut tout juste le temps de verrouiller la porte avant d’en oublier l’essentiel.

Ayant fait l’inventaire du matériel mis à sa disposition, elle se mit machinalement au travail en commençant par la salle d’eau, tout juste assez grande pour loger une baignoire rectangulaire, un meuble de rangement et un tabouret. Ma Han s’y sentit vite à l’étroit, gênée dans ses mouvements et encombrée de tout. Plus d’une fois, elle faillit briser un flacon faute d’endroit sûr où les poser pendant qu’elle nettoyait une étagère, ou se blesser pour avoir oublié le dénivelé de palier qui abaissait la pièce.

La corvée l’usa au point de lui faire perdre toute motivation pour les suivantes. Il n’y avait rien de satisfaisant à traquer les quelques grains de saleté nichés dans les rares coins obscurs qui ne recevaient pas d’attention quotidienne.

Ma Han se vautra sur le lit de la mestresse des lieux pour se gratifier d’un massage à l’épaule. La literie sentait la soie neuve, l’agrume, la sueur et l’encre, tout à la fois ; un mélange incongru, presque plaisant. Io Ruh avait-elle demandé d’aérer les draps ? Ou de ne surtout pas le faire ? La question fut remise à plus tard au profit d’un bon quart d’heure de repos.

Vint le tour des poussières. Munie d’un escabeau, elle commença par les surfaces les plus en hauteur pour chaque section de l’appartement en partant de l’entrée vers la chambre, pour ensuite tout balayer vers la sortie dans l’autre sens. À l’image de celles de la salle d’eau, les étagères saturées la ralentirent considérablement, si bien qu’un sentiment de victoire l’envahit lorsqu’elle se vit revenir au niveau du grand lit.

Un placard attira son attention par sa poignée sertie d’un long nœud ornemental à trois niveaux, terminé par une perle de bois et un pompon. Elle détailla l’ouvrage, admirative, puis le prit en main pour en apprécier le toucher avant de le décrocher pour mieux nettoyer dessous.

Le battant grinça en ouvrant et une odeur de renfermé s’en échappa. Un bazar sans nom encombrait le meuble : des piles et des piles de feuilles cornées, des objets sans rapport apparent, des tas de boites désorganisées, abîmées, le tout couronné par une toile d’araignée. Visiblement, nul n’avait cherché à ranger ou nettoyer ce clos depuis des lunes.

Ma Han s’empara d’un feuillet qui menaçait de tomber pour en réunir les pages, non sans laisser la curiosité la pousser à examiner quelques-unes. Des séries de caractères grossièrement tracés s’y succédaient : jour, nuit, soleil, lune, chaud, froid… L’écriture ne s’améliorait un peu au fil des pages. Un second feuillet subit pareil examen, comparable au précédent à cela près que les mots y étaient rédigés en Réel, avec un peu plus de finesse. Entre deux piles de papier griffonnés pesait un étrange artefact : une montre déréglée, au revers de laquelle une boussole peinait à trouver le nord.

Plus avant dans l’exploration, Ma Han mit la main sur une boite à bonbons pleine de cailloux et de fleurs séchés. Une autre, plus petite, contenait un bijou fait d’argent ou d’or blanc sur lequel un M cursif ressortait en relief.

Bien vite, il fut bien moins question de nettoyer ce placard que d’en découvrir toutes les étrangetés. Ma Han découvrit un carnet finement relié, mais absolument vierge, un autre dont toutes les pages étaient noircies d’entrée de bestiaire, des paquets de lettres ficelés, un mouchoir portant le nom de Yue en broderie, plusieurs écailles de dragons, de forme et de couleurs différentes, toutes enfilées sur un fil de fer, une dent de lait dans une boite d’allumette… Puis cet écrin.

Man Han pensa d’abord qu’il pouvait s’agir de celui d’une couronne. Sa paume laissa une empreinte distincte sur le revêtement textile lorsqu’elle lissa le bord courbe du plat de la main. Le couvercle résista à l’ouverture, l’obligeant à verrouiller le coffret duveteux sous son bras pour se donner une meilleure prise, tourner dans un sens et dans l’autre, tirer, pousser… Rien n’y fit. L’écrin garda jalousement le secret de son trésor. Ma Han allait renoncer, tout du moins remettre son effort à plus tard ; la boîte lui glissa des mains lorsqu’elle voulut la reposer sur son étagère, se heurta à l’escabeau sur lequel Ma Han se tenait, puis percuta le sol avec fracas.

Le choc ouvrit la boite comme un œuf craqué. Son contenu se déversa sur le sol en une cacophonie de cliquetis métalliques. Le cylindre roula sur plusieurs mètres, semant de petits bouts de bois et de fer coloré dans son sillage.

Ma Han se senti pâlir. Que venait-elle de briser ?

Elle se pencha sur les débris pour essayer d’identifier l’artefact. Le premier qui la heurta fut une petite figurine de sleipnir amputé de plusieurs pattes et du bout de son museau.

— Qu’est-ce que tu fais ?

La surprise, puis l’horreur, firent reculer Ma Han de deux pas successifs. L’enfant n’était-elle pas supposée être absente toute la journée ? N’avait-elle fait aucun bruit en entrant ?

— Je t’ai posé une question. Qu’est-ce que tu fais ?

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