93.3

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Il Hyo s’inclina en présentant sa tasse à So Hae. La noble dame ne se déconcentra pas de son métier à broder, occupée à faire courir la pulpe de ses doigts sur ses points pour en éprouver la régularité. Le dessin qui poussait au bout de son aiguille représentait leur dragon céleste en fil irisé sur soie bleue. Tandis qu’elle appréciait les reflets de son ouvrage, les bras tendus de son neveu faiblissaient.

Un tintement de porcelaine trahit sa fatigue, arrachant les yeux perçant de So Hae à son motif.

— Pose cela avant de faire boire mon thé au parquet. Lorsqu’un homme est maladroit, il s’efforce d’être prudent.

Soulagé d’en finir bientôt avec sa corvée matinale, Il Hyo obéit sans protester, s’inclina derechef, puis demanda son congé. So Hae ne dit rien, se contentant de lever les yeux vers le gouverneur. Celui-ci considérait son petit-fils, grave, pensif. Un sujet l’inquiétait.

— So Hae, maugréa-t-il de sa voix éraillée. Pourquoi ce garçon n’est-il pas encore marié ? Le négliges-tu ?

La noble dame planta son aiguille au bord de son canevas, renfila ses bagues et se leva pour s’adresse à son père.

— Gouverneur. Je ne suis pas entremetteuse. Les mariages ne dépendent pas de moi.

— Les mariages regardent les parents. Il Hyo n’a plus père et mère. Tu n’as plus de fils. Qu’as-tu de mieux à faire que de préparer son avenir et ma succession ?

— Je suis la dernière comtesse de Tem. Je suis la dernière grande dame de la maison ducale. Les responsabilités de ma mère et de mon mari m’incombent toutes entières depuis qu’ils ne sont plus.

Le duc tapa de son poing ridé sur sa table, renversant presque sa propre tasse.

— Tu as aussi des responsabilités envers moi, So Hae ! Qui doivent être ta priorité si tu es filiale ! Tu en as envers la mémoire de So Ryu et de son épouse si tu es une sœur dévouée. Trouve une épouse à Il Hyo. Ce sera à elle de tenir la charge de duchesse. Quant à Tem, s’il t’encombre trop, je le donnerai à un vassal.

Les doigts de So Hae se crispèrent, presque imperceptiblement.

— Tem ? Notre terre la plus ancienne, celle de notre nom ? Vous êtes fatigué, pauvre père. Recouchez-vous. Quand vous serez reposé, vous parlerez plus raisonnablement.

La noble dame fit signe à sa servante de remballer son matériel de broderie. Sous l’œil consterné du duc et celui, pétrifié, de l’héritier présomptif, elle présenta ses respects pour annoncer son départ. Le duc amorça un geste pour l’arrêter, auquel So Hae tourna le dos. La noble dame ne fit halte qu’à hauteur de son neveu, glissa la pointe aiguisée de son anneau griffe sous son menton pour le lui relever.

— Puisque vous insistez, je trouverai une épouse digne de votre héritier. Laissez-moi l’automne.

La noble dame, sans plus se soucier de personne, quitta la chambre suivie de sa servante.

Assourdis par les battements effrénés de son propre cœur, Il Hyo entendit à peine la porte s’ouvrir et se refermer. D’une voix défaite, le duc qui lui donnait enfin son congé.



L’encre séchait au bout du pinceau d’Il Hyo. Il ne se souvenait plus du destin qu’il avait réservé à sa feuille en l’étalant.

Le pinceau s’échappa de ses doigts engourdis, roula sur le plateau de son bureau jusqu’à tomber sur le côté. Bard le remassa pour lui et le lui présenta.

— Que fais-tu encore là ? Tu devrais être rentré depuis longtemps, ta mestresse va encore gâcher de l’encre à me rappeler tes horaires.

Le fabuleux leva un œil confus.

— Ma… Ma mestresse ne m’attend pas avant plusieurs jours. Je vous l’ai dit, ce matin, avant notre sortie.

— Oh, oui, se rappela Il Hyo. Montre-moi ton travail d’aujourd’hui, s’il est fini.

Bard alla prendre sur son propre bureau les pages noircies au cours des dernières heures pour les étaler tour à tour devant son maitre d’étude, puis recula d’un pas déférent, expectatif. Il Hyo survola le tout sans s’attarder sur rien.

— Des difficultés particulières ?

— Non, pas vraiment. J’ai eu le temps de tout revérifier plusieurs fois.

— Mmh. Je sais que je t’ai interdit d’interrompre mon travail, mais à l’avenir, ne me laisse pas non plus t’oublier si longtemps. Ton temps aussi a de la valeur, ne serait-ce que parce qu’il appartient à ta mestresse.

Il Hyo rendit ses pages à son élève.

— À partir de maintenant, je te fais confiance pour juger de la qualité de ton propre travail. Ne me soumets que ce qui te fait douter de toi. Pendant ton séjour prolongé, je veux aussi que tu serves davantage. Tu apprendras les soins du matin et du soir. La servante de ta mestresse est une femme au service d’une femme. Elle n’a pas pu t’apprendre à faire ces choses correctement en tant qu’homme.

— Je serais attentif à vos enseignements, promit Bard.

— D’ici quelques jours, je te ferai admettre chez dame So Hae, pour lui faire mesurer tes progrès et lui demander l’arrêt de nos leçons.

— L’arrêt ? L’arrêt définitif ? Mais…

— Je suis le futur duc d’Haye-Nan, interrompit Il Hyo. Tu dois sentir que ma position est humiliante. Si tu as la plus petite once de respect pour moi, tu feras en sorte que nous soyons libérés l’un de l’autre dans les plus brefs délais.

La mâchoire du fabuleux se ferma sur un non-dit, une douleur qui lui assombrit les traits tout en ravivant l’éclat surnaturel de ses yeux.

— Je vous respecte beaucoup, Mestre Il Hyo. Si je dois vous débarrasser de moi pour vous le prouver, inutile de passer par dame So Hae. Ma mestresse ne m’enverra plus si je le lui demande de la bonne façon.

Il Hyo ne put contenir un sourire amer.

— Je veux bien croire que tu saches passablement manœuvrer une petite fille, mais ne va pas t’imaginer que la noble dame se laisse contrarier facilement. Je n’ai aucne amitié pour la bâtarde de mon cousin. Yo Rin n’a jamais été bon pour personne et ce que j’ai vu de sa progéniture lui ressemble, mais je ne la méprise pas assez pour lui souhaiter d’entrer en querelle avec un monstre de l’envergure de dame So Hae. Ne t’avise pas de les pousser à la confrontation. Mes parents sont morts d’avoir été assez fous pour se dresser contre elle.

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