95.1
Une main s’abattit durement sur l’épaule de Loug, puis le tira par le bras à le lui démettre. Arraché à la masse morne des aspirants qui quittaient la salle d’examen, il fut tracté sur plusieurs mètres jusque sous l’ombre épaisse d’un dessous de coursive. Le lieutenant Regò n’en finissait pas d’être nerveux et de le faire sentir.
— Mes respects, Lieutenant, bredouilla-t-il en se frictionnant le bras.
— Abrège. Tu t’en es sorti, ou pas ? Y avait quoi comme sujets ?
— Euh… Un mélange de Généalogie des Royaumes de Terres Connues et La Draconnerie à Travers les Âges. Avant ça, en sciences naturelles, c’était un sujet sur la classification des espèces draconiques. Je crois que je me suis plutôt bien débrouillé. Par contre, ce matin, je pense que je me suis un peu emmêlé en stratégie territoriale. On a eu un sujet des Ailes de l’Eau. C’était autour du golfe des sirènes, mais la carte était en vieux qessaran alors…
Regò déchira un juron entre ses dents, puis tout une phrase du même registre dans la langue maternelle qu’ils avaient en commun.
— Estime-toi déjà heureux d’avoir eu une base. Si tu comptes passer le concours d’officier, plus tard, tu seras bien content d’avoir un fond de carte pour commencer.
— Je sais, mentit Loug pour ne pas se taire.
Le lieutenant s’alluma un cigare, éclat vif et fugace dans la pénombre, en brûla plusieurs centimètres d’un trait, puis reprit dans le souffle âcre de sa fumée :
— J’ai une bonne nouvelle pour toi.
La conception particulière qu’avait son référent du bien et du mal incita Loug à la méfiance. Il s’attendit à tout, sauf à quoi ce soit de réjouissant.
— J’ai vu les ordres des passages. Tu vas te retrouver contre la gamine en combat technique.
— Je… pardon, Lieutenant, mais c’est tout sauf une bonne nouvelle. Yue est beaucoup plus forte qu’elle en a l’air et le commandant Klalade l’entraîne tous les jours.
— Tu t’inquiètes pour rien. Vivi est complètement nulle en passe d’armes.
Loug voulait bien croire qu’elle pouvait être mauvaise pour un officier supérieur, mais elle restait plus que qualifiée pour enseigner à des aspirants. Ses efforts devaient payer, au moins un peu. Le lieutenant tira rageusement sur son cigare.
— De toute façon, Klalade s’est barrée. Parait qu’elle bosse pour le veto, maintenant. Faut croire que ses beaux yeux rapportent moins qu’avant.
Il souffla sa fumée dans un rire condescendant.
— J’ai pu jeter un œil au dossier médical de la petite. Sa cheville droite est en vrac. Elle s’est fracturé trois doigts de la main gauche il a quelques décans alors elle utilisera surtout la droite. Pas de coups fourrés d’ambidextre, cette fois. Tu sais quoi faire ?
Loug prétexta que oui, trop choqué par ce qu’il comprenait pour demander des précisions.
— Te foire pas alors, l’averti Regò. Parce que t’es que son troisième adversaire. Si elle se débrouille pour gagner deux fois avant, elle aura déjà validé l’épreuve. Faudrait se débrouiller pour qu’elle se blesse encore avant.
— Ah… Vous pensez que… Elle a probablement raté les écris de toute façon, non ? Est-ce qu’on ne pourrait pas… la laisser tranquille ?
Une calotte lui fit sentir toute la vacuité de sa question. Regò ne renonçait jamais à ses idées, fussent-elles délirantes.
— Devenir draconnier, c’est ton rêve de gosse, non ? Il a encore du sens, ton foutu rêve, si toutes les garces de passages qui peuvent soulever une épée et s’assoir sur un dragon sont admises ? Puis des gamines, ensuite ? Et même pas humaines, encore ?
Loug ne se fatigua pas à expliquer qu’il n’avait rien contre les femmes draconniers ou qu’il trouvait ridicule de croire Yue fabuleuse sur la seule base de son apparence. Il se contenta de secouer la tête pour aller dans le sens de son référent.
— J’me disais aussi.
Regò souffla un énième amas de fumée qui, conjugué à l’obscurité de leur lieu d’aparté, fit disparaitre son visage tout entier.
— Juste avant l’épreuve de duel, il y a l’épreuve de vol : rien de compliqué, mais tout le monde peut jouer de malchance avec son équipement et se casser tous les os du corps au passage. Tous les officiers qui ont un dragon à la caserne ont un double des clefs de la volière pour y accéder après le couvre-feu. Tu me suis, ou pas, Psàr ?
Annotations