98.1

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En cas d’accident grave subi par un aspirant, la procédure voulait qu’un proche parent, ou à défaut, le référent de l’aspirant, soit prévenu au plus vite et consulté dans le choix des soins à administrer. Toutefois, le doute avait été permis quant à la personne à contacter pour Yue. Le Draconnier Impérial était son référent officiel, mais la majeure partie de ses fonctions étaient remplies par le commandant Klalade, qui le suppléait. En parallèle, toutes les questions financières du dossier de l’aspirante passaient par les mains d’un tiers – Mestre Makara – qu’il fallait impliquer d’une façon ou d’une autre, car au-delà du plus urgent, les soins n’étaient pas gratuits. Pour finir, personne n’ignorait que la maison ducale s’était revendiqué des liens de sang avec l’enfant et personne à Haye-Nan ne pouvait se permettre de les contrarier.

Par précaution, tous avaient été alertés le même jour.

La première personne à se manifester avait été dame So Hae. Sitôt l’état de Yue stabilisé, elle l’avait emmené faire sa convalescence entre les murs de sa résidence. Les suivants n’avaient eu d’autres choix que de passer par elle pour voir la blessée – ce qui restait encore à faire.

La noble dame avait fait installer ses invités dans un salon privé, petit, presque trop étroit pour leur nombre. Les domestiques qui leur avaient montré le chemin s’en étaient allés tout de suite après leur avoir ouvert la porte.

La politesse changeait de forme en fonction du contexte. En l’occurrence, l’intimité valait plus que le faste. Loin des yeux et des oreilles indiscrètes, les langues se déliaient mieux.

Le mestre draconnier paraissait mal à son aise. Son corps trop grand logeait à peine dans le fauteuil qu’il s’était choisi et le commandant Klalade se sentait un peu oppressée, debout entre le dossier de son supérieur et le mur.

Léopold, plus détendu ou seulement plus fatigué, savourait thé, attentif aux sensations qui courraient sur ses lèvres et sa langue. L’idée qu’il pût contenir du poison le faisait sourire en coin. Ça n’aurait été que la seconde tentative de So Hae.

Il finissait sa tasse quand la noble dame daigna enfin paraitre. Sa mise était simple, autant que pouvait l’être celle d’une personne de son rang. Fait rare : Léopold pouvait presque deviner sa silhouette sous ses soieries.

— Mes hommages, madame la comtesse, salua Selemeg.

— Général.

Elle prit sa place ainsi qu’une gorgée de thé. Léopold songea qu’elle devait l’aimer tiède.

— La petite a encore du mal à reprendre pleinement connaissance, informa So Hae. Ses jours ne sont plus en danger mais il serait imprudent de vous laisser la voir dans l’immédiat.

— Yue va donc survivre ? Cela doit vous affliger, présuma Léopold.

So Hae inclina très légèrement la tête, comme encombrée du poids d’une boucle d’oreille plus que l’autre.

— Je me suis mieux occupée d’elle que vous, ces quelques décans. Vous devriez m’en être reconnaissante.

— Je ne peux rien constater de vos bons soins si vous me refusez la moindre visite, n’est-ce pas ?

— Estimez vous heureux d’avoir pu passer ma porte et ne me provoquez pas à moins d’avoir envie de la prendre dans l’autre sens. Yue ne vous appartient plus. Tâchez de vous en souvenir.

Léopold répliqua un sourire, rappel condescendant que la petite n’appartenait pas à la maison ducale non plus. L’Empire lui garantissait le droit de se choisir des allégeances, au-delà du sang et au-delà de ses sources de revenus privés. Hors, lorsqu’elle rouvrirait les yeux, Léopold ne doutait pas une seconde du camp qu’elle se choisirait si nécessaire.

— Pardon madame la comtesse, intervint Selemeg, je ne veux pas me mêler de vos querelles privées mais il me parait plus urgent de discuter l’état du Yue.

L’atmosphère s’alourdit dans l’écho de sa voix, rappelant à chacun la gravité des circonstances qui les réunissaient. Yue vivait, mais ne se remettrait probablement pas avant plusieurs lunes, le tout sans avoir pu aller au bout de son examen.

— Je pense que Yue a ses chances d’obtenir sa certification l’année prochaine si elle se remet bien, poursuivit Selemeg. Elle aura douze ans. Tout sera moins compliqué pour elle au quotidien.

— Les années de formation se payent surtout en années de service, rappela Léopold. Yue est déjà engagée pour trois ans. Je lui ai promis qu’elle serait rentrée chez nous pour ses quinze ans et qu’elle aurait le choix entre rester dans l’armée et redevenir artiste. Il est hors de question qu’il en soit autrement.

— Je sais, assura le général. Éventuellement, si elle récupère assez vite et que nous parvenons à un accord avec la direction de son établissement, elle peut devenir auxiliaire à la fin de cette année. Plus tard, elle pourra tenter l’examen de certification sans avoir à repasser par la case formation.

— À condition que son draconnier la laisse passer plus de temps à étudier qu’à quoi que ce soit d’autre, intervint Rëvika.

Elle s’était exprimée d’une voix incertaine, inégale, à mi-chemin entre la pensée échappée et la parole délibérée. Elle regretta son semblant d’initiative dans la seconde.

— J’en suis conscient, Klalade, répliqua froidement Selemeg. Plus tard ne veux pas forcément dire dès l’année prochaine.

Elle déglutit. Son mentor l’avait appelée par son nom plutôt que par son grade, preuve s’il en fallait une, qu’elle l’avait déçu. Il ne s’était plus adressé à elle de cette façon depuis l’incident qui lui avait valu sa probation.

— Si je ne m’abuse, les auxiliaires n’ont pas droit à une monture attitrée, reprit Léopold. Si Yue quitte la formation en étant auxiliaire, elle perdra le contrôle de son dragon.

— Vous devez vous rendre compte que son état actuel oblige au compromis.

— Il en existe sûrement de moins contrariant. Pourquoi Yue ne passerait pas l’examen libre cette année ?

— Cet examen n’est ouvert qu’aux auxiliaires et aux gradés d’autres ordres.

— Quand a-t-il lieu, exactement ? Avant ou après celui des auxiliaires ?

Selemeg se passa une main lourde sur le visage.

— Monsieur le baron. Que Yue soit en mesure de passer l’examen auxiliaire cette année serait déjà un exploit. Celui des titulaires est beaucoup plus difficile. Enchaîner les deux à la suite n’est pas à la portée de n’importe qui.

— Nous ne parlons pas de n’importe qui.

— Nous parlons d’une enfant de onze ans, inconsciente depuis cinq jours.

Le tintement de la tasse de So Hae contre sa soucoupe la replaça au centre de l’attention.

— Parlons plutôt de la personne qui a provoqué sa chute.



Le cliquetis de la serrure le fit décoller de son assise. Un vertige l’y rejeta.

— Je t’ai manqué, j’ai l’impression, commenta Xhoga en refermant la porte derrière lui.

Entre les points lumineux qui valsaient dans son champ de vision, Bard suivi le professeur des yeux tandis qu’il écartait les rideaux et ouvrait les fenêtres de la chambre. La matinée était claire. Son soleil acheva de l’aveugler.

— Tu as réussi à manger un peu, hier soir ?

— Oui.

— Tu as réussi à tout garder ?

— Presque. Vous avez des nouvelles de ma mestresse ?

— Tu as dormi un peu, cette nuit ?

— Je… j’aimerai vraiment avoir des nouvelles de ma mestresse, s’il vous plait.

Le professeur leva l’œil de ses notes et le darda sur son patient en un soupir.

— Ta mestresse est déjà la priorité de tellement de personnes que ce serait fatiguant de les compter. Tu ne veux pas t’inquiéter pour toi, plutôt ? Qu’on soit au moins deux ?

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