100.2

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L’envie de lui demander de partir lui brûlait les lèvres. Un premier mot de sommation allait lui échapper lorsqu’il la surprit en s’approchant du bord de son lit. Il lui présenta ses paumes ouvertes.

— Viens. Essaie de te lever.

Yue n’en fit rien, se contentant de fixer les mains qui attendaient vainement les siennes. Au bout d’une minute qui en parut dix, il poussa une sorte de grognement impatienté en retoussant sa manche droite jusqu’au coude.

Son geste mit à jour une cicatrice irrégulière et boursoufflée, trace d’une déchirure à la fois violente et mal traitée autour de son avant-bras. Yue déglutit.

— Ce n’est pas l’aspect de tes jambes qui compte, mais ta capacité à te tenir dessus. Lève-toi.

Plus intriguée que convaincue, Yue approcha pour détailler l’ancienne blessure, poussant sa découverte jusqu’à l’effleurer.

Il Hyo s’efforça de ne pas tressaillir au contact froid de ses doigts.

— Vous aussi, vous êtes tombé du ciel ?

La question sonnait presque mignonne.

— Non. Quelqu’un a essayé de me couper la main quand j’avais sept ans.

— Pourquoi ?

Cela ne paraissait pas la choquer outre mesure, seulement piquer sa curiosité.

— Tu sauras si tu essaies de te lever, négocia-t-il.

Malgré une réticence visible, Yue commença doucement à s’aider des appuis qu’il lui offrait pour se descendre de son lit et se dresser sur ses jambes. Il Hyo la sentit ostensiblement trembler. Il recula de quelques pas pour la faire avancer d’autant. L’effort la mit en nage.

Initialement, Il Hyo avait espéré la faire aller prendre l’air de la cour, mais se satisfit de lui faire atteindre la banquette sous la fenêtre. En s’asseyant, les yeux dépareillés de Yue ne se promenait plus le long de sa cicatrice, mais sur elle-même, scrutateur.

— Tu as mal aux jambes quand tu t’appuies dessus ? Ou au dos ?

Yue secoua la tête.

— J’ai plus mal. J’ai juste… je suis fatiguée.

À son réveil, Yue avait eu l’air de souffrir le martyr en plus d’être désorientée. Il Hyo avait eu du mal à communiquer avec elle entre ses éclats ; la magie curative pouvait avoir de ces effets sur certaines personnes.

— Je vais t’apporter de quoi manger. Tu n’as presque rien avalé, hier.

— Avant, je veux savoir. Pour votre main.

Sans enthousiasme, Il Hyo s’installa à l’opposé de la banquette et chercha ses mots entre les lattes du plafond.

— Quand j’étais petit, se lança-t-il, j’avais l’équivalent d’un grand frère. Je l’admirais beaucoup. Je cherchais constamment sa compagnie et son approbation. Lui, par contre… je pense qu’il m’a toujours détesté. Il me brutalisait souvent, au moindre prétexte. Un jour, son père lui a offert un magnifique couteau ornemental. Il en était tellement fier qu’il le montrait à tout le monde, et tellement orgueilleux que personne n’avait le droit d’y toucher, surtout pas moi. J’en mourrais d’envie, pourtant. Alors quand il l’a oublié dans notre salle d’étude un matin, j’ai sauté sur l’occasion pour jouer avec. Il m’a surpris… Je ne connais pas de mot assez fort pour décrire la rage que j’ai lu dans ses yeux… il me l’a arraché des mains et accusé d’avoir voulu le lui voler. En conséquence, il a voulu me punir par l’endroit où j’avais fauté.

Il Hyo retraça du doigt le parcours de la lame sur sa peau.

— J’ai réussi à faire dévier la lame et à me dégager de sa prise. Le contre coup l’a blessé au visage, ajouta-il en se barrant la figure d’un trait légèrement oblique.

Ce trait, Yue le reconnut.

— Mon père… il a une cicatrice qui fait comme ça, aussi.

Il Hyo se tut pour la laisser aller seule au bout de son raisonnement.

— Il avait quel âge ? voulut-elle savoir.

— Neuf ans.

Yue se livra à l’étrange exercice de s’imager au même âge essayant de couper une main à Isaac. Une telle situation lui paraissait absurde.

— Je vous crois pas, décida-t-elle.

— J’en suis ravi pour toi. Cela doit vouloir dire qu’il a changé, au moins un peu.

Il Hyo se leva.

— Il faut que tu manges, rappela-t-il. Je reviens vite.



So Hae connaissait par cœur tous le livres de son répertoire professionnel. L’oreille élitiste de son auditorat ne tolérait qu’un certains nombres de classiques révérés : romances vertueuses sans érotisme, combats épiques sans salissure, traités philosophiques sans hardiesse… les érudits n’aimaient pas être bousculés dans leurs leur morale. À force de donner ce genre de lecture, la noble dame en oubliait presque que certains écrits pouvaient lui plaire. La plupart de d’entre ceux-là prenaient la poussière sur ses étagères les moins accessibles.

Juchée sur un escabeau, elle parcourait la section qu’elle réservait aux contes populaires à la recherche d’un rouleau particulier. Elle mettait tout juste la main dessus lorsqu’un serviteur fit irruption dans son étude pour annoncer un visiteur.

Qu’il entre, signa-t-elle.

En le voyant entrer Mestre Makara, peut-être à cause des reflets du jour, So Hae ne pu s’empêcher de remarquer sa tenue : un costume blanc, entièrement, différent de celui qu’il portait l’avant-veille, mais de couleur identique. Ce qu’elle avait d’abord pris pour une extravagance révéla alors tout son sens.

— Vous êtes en deuil, observa-t-elle en s’asseyant. Est-ce votre fils ? Votre sœur ?

— Je vous salue aussi, noble dame, répliqua-t-il en prenant un siège autour de la table central.

Il s’alluma un cigare.

— J’ai rapporté sa servante et son fabuleux à Yue. Je vous serai reconnaissant de ne pas les lui abîmer.

— Votre épouse, devina-t-elle. La pleurez-vous toujours ?

Une moquerie lui passait par la voix à défaut du visage, que Léopold s’efforça d’ignorer avec le reste.

— Le responsable de l’aile vétérinaire a fait des difficultés, poursuivit-il. Il menace de faire perdre à Yue son droit à une monture attitrée au sein de l’ordre s’il venait à arriver du mal à son dragon.

Le jeu de la noble dame cessa.

— Ces menaces ne m’effraient pas. Au sein de ma maison, l’incompétence a valeur de crime et celle de votre neveu a presque couté la vie à ma petite-fille. Il en passera au moins par le fouet pour son erreur.

— Je me doute que vous vous réjouissez d’avance à l’idée de verser du sang Makara mais je vous recommande d’attendre un moment plus propice. Pourquoi ne pas rediriger votre courroux vers le vrai coupable ?

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