103.2

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Amis Lecteurs, ça y est. ÇA Y EST, JE VOUS DIS !

Ana, extatique.

Ce reproche laissa le général stoïque, à le croire subitement dégrisé et rengorgé.

— Noble dame. Je sais que l’accident de votre parente vous a horrifié. Il est légitime de vouloir qu’une personne en soit responsable et de penser qu’il suffirait de la condamner pour écarter tout danger, mais la réalité de notre métier est plus cruelle. Nous avons fait toutes les vérifications possibles et imaginables. Personne n’a attenté à la vie de dame Yue.

— Je ne doute pas de votre bonne foi, seulement de vos conclusions. Vous avez l’esprit trop droit. Il faut un scélérat pour un confondre un autre. Ainsi, Monsieur Makara ici présent a pu déterminer ce qui s’est réellement passé ce jour-là.

— Vous êtes trop modeste, So Hae. Je n’aurais rien pu faire sans vous.

Léopold tira une enveloppe de l’intérieur de sa veste en se levant, fit le tour de la table et la posa à portée de main du général.

— Toutes les preuves dont vous avez besoin sont compilées ici. Inutile de me remercier.

Il continua son tour de table pour l’arrêter derrière le siège de Yue, à qui la surprise avait arrondi les yeux et plissé le front.

— Vos épreuves ont connu beaucoup de tentatives de sabotage, à ce que j’ai pu constater. Je n’aurais probablement pas su par où commencer si je n’avais pas été Collectionneur.

— Que voulez-vous dire ? s’impatienta le général. Exprimez-vous clairement.

— Je veux dire qu’il y a un nombre fini de raisons qui peuvent expliquer ce qui s’est passé pendant que Yue volait. Quelqu’un a donné de suppresseurs à son fabuleux.

Hutehn reconsidéra l’enveloppe de preuves présumées avec méfiance. Il lui semblait qu’aucun mot ne pouvait suffire à rendre cette accusation crédible.

— Aucune trace de projectile n’a été détectée et leur matériel de vol a été examiné par tous les services compétents. Si quelqu’un administrait des surpresseurs à un dragon avant une épreuve, ledit dragon ne pourrait pas décoller.

— Le professeur Xhoga s’est heurté à l’incohérence que vous soulevez pendant plusieurs jours. Ses connaissances théoriques dépassent de beaucoup des miennes, mais en dehors de son domaine d’expertise, j’ai l’avantage de l’expérience sur lui. Suppresseur est un mot valise qui désigne près d’une cinquantaine de substances alchimiques. Les draconniers n’ont besoin que de deux, voire trois types de suppresseurs, là où les Collectionneurs usent couramment d’une dizaine de variantes. Certaines sont dites dormantes, à savoir qu’elles n’ont aucun effet sur le receveur en l’absence d’activité musculaire intense ou d’irrégularité dans le flux magique. Cela n’a aucun intérêt pour un militaire, mais c’est utile dans le divertissement pour mettre des garde-fous aux chimères et aux fabuleux sans les rendre complétement léthargiques. Sous ce regard, vous m’accorderez que ce que j’avance n’est pas absurde.

La jarre de vin se trouva vide lorsque le général voulu s’en resservir une coupe. Léopold se réjouit de le voir privé de cette échappatoire. Il fut finalement obligé de s’emparer de l’enveloppe et d’en jauger le contenu.

— Je vais être bref, reprit Léopold. Un de vos officiers s’est pris d’aversion pour Yue en se persuadant qu’elle n’était pas humaine : le Lieutenant Regò. Depuis, il s’est acharné à le prouver. Il a consulté et même fait copier plusieurs éléments de son dossier administratifs et de son registre médical pour soumettre une demande d’authentification au Bureau des Archives. Plus récemment, il s’est fait livrer une quantité importante de substances usitées dans la traite de fabuleux, notamment des surpresseurs. Pour les lui administrer, il a profité du fait que Yue ait congédié ses deux esclaves pour modifier le calendrier de répartition des corvées et l’assigner tous les soir au nettoyage d’une salle de repos dont il avait les clefs. Vous trouverez avec le reste les résultats d’analyse effectué sur le contenu des encensoirs de cette salle et la composition des produits de ménages. La veille de l’épreuve de vol, son fabuleux s’est chargé de sa corvée. Et puisque lui n’est effectivement pas humain…

Une pensée tangible émergea du brouillard de l’esprit de Yue : Je ne suis pas humaine non plus… Il le sait.

Pour sa part, le général aurait difficilement émis le moindre doute. Chaque document du feuillet qu’il avait entre les mains accablait l’accusé.

— Tout ceci est… grave, certainement. Une mesure disciplinaire s’impose. Toutefois… sur le principe, cela reste un…

Il s’éclaircit la gorge.

— … un accident.

La paume de la noble dame heurta le plateau de leur table dans un tintement aigu de porcelaine qui fit tressaillir Yue. Les pointes aiguisée de ses ongles d’or s’enfoncèrent visiblement dans le bois nu. Son ton fut pourtant lisse lorsqu’elle prit la parole.

— Lorsqu’un archer vise un cavalier ennemi et qu’il atteint la monture au lui de l’homme, est-ce un accident ? J’ai de la considération pour vous, Général. Assez pour vous faire part de nos découvertes en privé plutôt que de les placarder sur tous les murs de toutes les villes de Terres Connues. Ayez-la décence de ne pas m’insulter en retour.

— Je n’oserai pas, noble dame.

— Alors que veut dire ce mot d’accident dans votre bouche ?

— Je veux dire… qu’il faudra gérer cette affaire avec sans quoi, Regò s’en sortirait peut-être blanchi. Notre ordre n’aime pas les litiges scandaleux.

— Soyez aussi prudent que nécessaire, mais je vous promets un litige sans précédent dont vous serez le sujet exclusif si rien n’est fait d’ici la fin du décan.

Sa chaise vacilla lorsque la noble dame se leva, coupant court à toute tentative de réplique.

— Nous nous quittons pour ce soir, décréta-t-elle. Puisse la nuit vous porter conseil.

Yue ne s’était plus promenée seule avec le baron depuis longtemps. Impossible de se souvenir des règles à observer en cette circonstance. Pouvait-elle lever les yeux vers lui ? lui tenir la main ? Initier la conversation ? Que pouvait-elle dire ? Attendait-il encore qu’elle présentât ses excuses pour son comportement à Skal ou fallait-il enterrer ce sujet avec tant d’autres ? Pourquoi lui avait-il proposé cette marche ?

Le ciel couvert n’offrait pas d’étoile à compter pour se distraite. La fleur du jardin ducal se confondaient toutes à la lumière des lanternes. Aucun bruit alentour, sinon celui des semelles sur le gravier, les criquets dans l’ombre et le sang qui pulsait dans ses veines.

— Mestre Makara ? hasarda-t-elle.

— Yue.

La décontraction avec laquelle il prononça son nom la fit douter de ses perceptions. La tension de l’air ne l’affectait-il pas autant qu’elle ?

— Je… euh…

— Ce n’est pas sérieux d’essayer de parler sans savoir quoi dire. Ne te précipite pas, tu as le temps de réfléchir.

Yue se mangea la lèvre en reprenant son souffle, chercha des mots simples pour exprimer un sentiment compliqué.

— Je vous remercie d’être venu m’aider, s’appliqua-t-elle à articuler. J’espère que…

Sa voix se brisa contre un sanglot naissant au fond de gorge.

— J’espère que vous… Je suis désolée de vous avoir déçu.

Pour toute réaction, il tira un cigare entamé de son étui, l’alluma à une lanterne de passage et tira longuement dessus.

— Tu ne m’as pas déçu, la détrompa-t-il. Je suis même assez content de ton parcours, jusqu’ici. J’aurais préféré que tu ne te blesses pas, mais j’avais conscience du risque en t’envoyant ici.

Il s’arrêta, provoquant une légère collision qui fit reculer Yue de plusieurs pas.

— Yue, soupira le baron. Tu as fait une bêtise il y a plusieurs lunes pour laquelle tu as déjà été punie. Je n’ai aucune raison d’être en colère contre toi aujourd’hui et tu n’as aucune raison d’être sur tes gardes. Rien n’a changé. Tu es toujours ma protégée.

Il plongea la main dans sa poche, troquant sont étui à cigare contre un écrin habillé de velours bleu.

— Montre moi ta marque, la pria-t-il.

Yue écrasa une perle de larme qui lui brouillait la vue, puis tira la clef qu’elle portait en pendentif de sous son col pour. À son tour, le baron tire de son écrin un objet de la taille d’une montre à gousset et assembla les deux bijoux en un dans un cliquetis mécanique.

— La mélodie sera plus aigue du fait des lames plus fines, mais j’ai fait de mon mieux pour que le son te soit le plus familier possible.

Yue se familiarisait tout juste avec les contours de l’objet qu’il prit vit sous ses yeux. Par-dessus un fond de cadran blanc et rouge, les silhouettes finement découpées de six équidés chimériques formaient un manège, lent, doux, captivant ; au son d’une cantilène aussi triste qu’allègre : un chant funéraire tulis.

— Ton carrousel commençait à devenir un peu encombrant. Celui-ci au moins pourra te suivre partout. Écris-moi, s’il s’abîme. Je t’en concevrai un autre plus solide.

Il recoiffa Yue d’un geste presque paternel, essaya une larme qui lui roulait sur la joue et la blottit contre lui, conscient que ce geste risquait de lui en ferait verser d’autres.

Le pendentif musical vibrait au creux de leur étreinte, jouait son aria jusque dans leur os.

Yue ne tremblait plus à la fin du tour de manège. Léopold se félicita de constater que le nouveau valait son l’ancien lorsqu’il s’agissait de l’aider à se calmer.

— Je vais te border une toute dernière fois cette nuit, souffla-t-il à son oreille somnolente. La prochaine fois que nous nous verrons, tu ne seras définitivement beaucoup trop grande.

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