104.1

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La jungle se refermait en arche au-dessus du sentier sinueux. Les troncs tordus et enlacés inclinaient leurs branches, exhibaient leurs fleurs et répandaient leurs essences sous une canopée trouée de soleil. L’amalgame de leurs pollens scintillait et embaumait l’air humide d’un parfum capiteux. Roserille s’efforçait d’avancer vite et de respirer lentement.

Par-delà les rideaux de lianes, des voix se mêlaient aux crissements des insectes – trois, ou peut-être quatre dont deux qui se ressembleraient beaucoup. Bientôt, Roserille put les entendre distinctement. Leur conversation conjuguait météo, projet de mi-décan et devoirs de calcul. Leur babil eut le mérite de lui faire oublier le poids de ses jambes jusqu’à ce qu’elle arrivât devant l’immense bas-relief couronné de végétation qui, fermé, évoquait une impasse plutôt que l’entrée d’une école.

Un groupe de garçon, douze à treize ans, discutait autour d’une sorte de cadran solaire. Un quatrième, plus en retrait, bouquinait assis contre un arbre. Absorbé par les pages du grimoire qui lui pesait sur les genoux, il fut le seul à ne pas tourner la tête à l’approche de Roserille.

— Hum… Bonjour, hasarda-t-elle. Lequel d’entre vous est Isaac ?

Les gestes lui répondirent à défaut des mots, désignant de concert celui qui, à l’appel de son nom, avait fermé son livre.

— C’est moi. Bonjour, Madame.

Lorsqu’il se leva pour la saluer, le soleil joua de ses rayons sur les bagues dorées qui ornaient les sillons de ses nattes. Roserille leva la main en visière au-dessus de ses yeux.

— Ta sœur a eu un imprévu, elle m’envoie te chercher.

Pour preuve, elle présenta le billet tamponné quatre fois : Ordre des Draconniers, Caserne Centrale de Nepterre, Maison de l’Héliaque et Duché d’Haye-Nan. Avec un tel document, Roserille se serait facilement fait ouvrir les portes de n’importe quel lieu de pouvoir de Terre Connues, ce qui rendait la situation un tantinet ridicule compte tenu de fait qu’il ne s’agissait que de raccompagner un garçon assez grand pour se déplacer tout seul. À bien le regarder, il ne devait pas être beaucoup plus jeune que sa sœur.

— Est-ce que Yue va bien ? s’inquiéta-t-il.

— Oh, elle, oui. Toujours. Un autre draconnier s’est blessé à l’entrainement, ce matin, alors elle patrouille à sa place.

— Ta sœur est draconnier ? se récria un des trois autres. Comme celle d’Ocelotl ?

Isaac acquiesça et une pluie de questions s’abattit sur lui en conséquence. Sa sœur possédait-elle un dragon ? Oui, deux. Avait-il déjà pu en monter un ? Non, et sa sœur le lui interdisait. Quel était son grade ? Question compliquée à laquelle Isaac se contenta de hausser les épaules.

— Les Ailes du Silence ont un statut particulier dans la chaîne de commandement, l’aida Roserille. En fonction des ordres de mission que reçoit dame Yue, elle peut être investie de l’autorité d’un officier supérieur. Le reste du temps, elle fonctionne au niveau d’un sous-lieutenant.

L’auditoire s’émerveilla de cette banalité, ce que Roserille trouva attendrissant. À force d’être entourée de draconniers, elle oubliait à quel point le commun des civils les adulait.

— Et vous, alors, vous travaillez pour sa sœur ? l’interrogea subitement un des trois curieux.

Celui-ci aussi portait des bijoux éblouissants. Un collier, notamment, dont le maillage plat et les pendants ouvragés évoquaient la joaillerie d’Opral ; un ornement de fils de noble. Rien d’étonnant compte tenu de ce que coûtaient des études en sciences arcaniques.

— Je travaille pour toute la caserne centrale, pas pour dame Yue spécifiquement, mais je suppose qu’elle me donne des ordres et que je lui obéis alors… Oui, je travaille pour elle.

— Et elle devait venir aujourd’hui, normalement ? comprit un autre à la fois émerveillé et déçu. On aurait pu la voir ?

— Euh… Oui, confirma Isaac. Mais Yue vient me chercher presque tous les jours. Tout le monde l’a déjà vue, je crois.

Concertation muette suivie d’une illumination générale. Leur retard de déduction ne surprit pas Roserille. Isaac ne se ressemblait absolument pas à sa sœur et l’immense majorité des draconniers mesuraient au moins une tête de plus qu’elle. Les liens ne se seraient tracés seuls dans l’esprit de personne.

Avant que l’interrogatoire ne reprît, Roserille insista pour se mettre en route. Isaac rangea son livre, rajusta la bandoulière de son sac, s’inclina pour dire au revoir à ses camarades et se disposa à la suivre.

Isaac triturait une bague tournante à son majeur, un engrenage plus qu’un bijou. Ses manières timides et son air embarrassé donnait à Roserille l’impression d’un petit garçon prostré dans un corps trop grand, ce qui tendait à expliquer le comportement surprotecteur de dame Yue. Ou peut-être l’inverse.

Malgré ses poumons plus lourds à chaque inspiration, elle s’efforça de lui faire la conversation pour le mettre à l’aise.

— En théorie, la caserne n’est pas si loin d’ici, mais le chemin est un peu accidenté. J’espère que tu as plus de souffle que moi.

— L’air est dense en magie autour le l’école, expliqua Isaac. Vous n’êtes pas essoufflée à cause de la marche, vous avez juste une contre-affinité avec les arcanes végétaux.

— Maintenant que tu le dis… quand j’étais petite, ma grand-tante disait que je ne voyais pas la vraie couleur des plantes. Je suis à peu près sûre qu’elle parlait de ça.

— Je pense qu’elle parlait d’empreinte. Certains la voient en couleur. Mais ce serait cohérent avec le reste.

La nuance du propos échappait à Roserille et, au bout du compte, n’arrangeait rien à son état de fatigue.

— T’es vachement calé sur le sujet, j’ai l’impression. Tu veux rejoindre la caste des Arcanistes, plus tard ?

— Euh… Peut-être, si ma sœur est d’accord. Est-ce qu’elle va rentrer tard de sa patrouille ?

— Je pense qu’elle sera rentrée avant qu’on arrive. Tu es pressé de la voir ?

Isaac opina.

— Je n’ai pas souvent l’occasion de la voir en journée alors je suis content de pouvoir passer du temps avec elle.

Roserille peinait à imaginer ce à quoi pouvait ressembler une interaction agréable avec une personne aussi condescendante que dame Yue mais s’efforça de faire bonne figure.

— J’imagine, mentit-elle. Tu dois beaucoup tenir à elle.

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