106.2

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— À vos ordres. Est-ce que les affaires domestiques aussi sont à reporter ?

— Ça dépend. Qu’est-ce qu’il y a à traiter ?

— Plusieurs devis pour les travaux de la maison, des candidatures de domestiques, des factures de fournisseurs et une lettre de l’école d’Isaac.

— Organise le paiement des fournisseurs, je m’occupe du reste.

Yue donna la priorité à l’école de son frère pour se rassurer. Heureusement, il ne fut question que d’une sorte d’avis aux parents d’élèves concernant les dates d’examen et les règles de sécurité à faire respecter chez soi pour minimiser les risques liés à la pratique des art arcaniques.

Isaac s’entrainait rarement chez eux. Yue n’ayant jamais le temps d’aller le chercher à l’heure où il finissait les cours, il révisait ses leçons et s’occupait de ses devoirs à l’étude en l’attendant. Ces recommandations ne les concernaient pas assez pour Yue les lût sérieusement. Elle mit le document de côté en se promettant de le faire circuler parmi ses domestiques lorsqu’elle en aurait assez pour faire rentrer Isaac plus tôt.

Aucune entreprise de travaux ne trouva grâce à ce yeux ce jour-là non plus. Les maisons de placement n’eurent pas beaucoup plus de succès. Celles qui auraient pu lui convenir ne correspondait pas à son budget, les autres ne satisfaisaient pas ses exigences. Yue comprenait chaque jour un peu plus la colère du baron vis-à-vis de sa décision d’offrir Io Ruh : au-delà de l’avoir payée cher, il avait dû la chercher longtemps.

Le courrier professionnel lui épargna surprises et déceptions : quelques accusés de réception, des signalements d’incidents mineurs, des mises à jour sur le programme prévisionnel de la caserne qui ne changeaient rien au sien… Une fois la paperasse évacuée, Yue et Bard s’attelèrent à la préparation de leur mission de reconnaissance au palais de Qalipt.

Yue n’avait encore jamais visité de cité souterraine, pas même celle du bureau des archives. La perspective ne l’enthousiasmait pas pour autant. Son exploration devait durer plusieurs jours et pour avoir souvent voyager par sous les sols, elle préférait de loin la surface.

Tracer un itinéraire, dresser une liste de matériel et de provisions, puis tout mettre par écrit pour se faciliter le travail de rapport leur pris le reste de matinée. Ils laissèrent le bureau étriqué en désordre en partant pour leur quart de patrouille.

Adossée à un pilier de la volière, Yue attendait que Bard se changeât et se transformât quand l’écho des pas précipités de Roserille lui fit tourner la tête.

— Vous êtes encore là ! se réjouit-elle entre deux respirations. Une lettre vient d’arriver pour vous, je crois que c’est urgent.

— Je dois partir en patrouille. Tu peux la glisser sous la porte de mon bureau, je m’en occupe dès que je reviens.

— Vous êtes sûre ? Je crois que ça concerne votre frère. Vous aviez dit que…

— Donne, se ravisa Yue.

Elle arracha presque l’enveloppe des mains de la messagère, déchira le papier en l’ouvrant. La panique fit d’abord danser les lettres sous ses yeux. Une partie d’elle voulut la tendre à Bard pour se la faire lire. Luttant contre sa mauvaise habitude, l’indisponibilité de Bard aidant, elle se concentra pour détacher chaque lettre, chaque syllabe, puis chaque phrase les unes des autres. Déchiffrer la moitié de la page lui suffit à décider qu’elle allait devoir se faire remplacer au pied levé.



Isaac aurait voulu disparaître. Il ne lui avait fallu que quelques décans pour trahir la promesse faite à sa sœur de ne pas s’attirer de problème à l’école et pouvait déjà l’entendre lui faire la leçon. Il espérait les murs de l’école plus épais que ceux de leur maison, sans quoi, son sermon risquait de le faire mourir de honte.

Assis à son pupitre dans classe vide, il serrait son sac contre en son cœur pour en amortir les coup contres sa poitrine. Une part de lui espérait encore que le travail de Yue l’ait retenue et qu’un de ses subalternes arrive à la place.

Le grincement de la porte lui raidit les muscles. Son professeur entra, suivi de près par sa sœur. Ordinairement, Yue se changeait avant de venir le chercher. Cette fois, elle ne s’était même pas donner la peine d’ôter ses protections et ses armes. Ses dagues jumelles préférées cliquetaient dans leur fourreau. La lourdeur de ses bottes renforcée s’entendait jusque dans l’écho de ses pas contre la pierre nue.

— Prenez place, dame, l’invita le professeur en s’installant.

Avant d’accepter, Yue détailla la salle, puis toisa son frère.

— Tu ne te lèves pas quand ton professeur entre ? le rabroua-t-elle. Ça ne te suffit pas d’enfreindre le règlement, tu essaies aussi d’être irrespectueux ?

Isaac corrigea son erreur en s’excusant d’une voix étranglée. En s’inclinant, il vit Yue signer d’une main discrète :

Calme.

Une tension se relâcha instantanément en lui. Il se sentit bête d’avoir oublié qu’avant d’être intimidante, Yue restait sa grande sœur, celle grâce à qui le sol ne tremblait plus et au-dessus de qui le ciel ne menaçait plus de s’effondrer. Rien ne la fâcherait jamais assez pour qu’elle voulût le faire se sentir mal.

Son professeur pria Isaac de se rasseoir, puis insista pour que Yue s’installât à son tour. Il prit place avec elle de part et d’autre du bureau sur l’estrade.

— Je suis désolé d’avoir eu à vous déranger. Merci de vous être libérée.

— Je dois retourner travailler aussi vite que possible. J’aimerais la version courte, si possible.

Le professeur la jaugea avec hauteur, son menton pointu avancé, ses fins sourcils froncés. Son air de condescende renvoya Yue à l’image qu’elle donnait au-delà de l’uniforme, celle d’une adolescente de quinze ans jouant les parents pour son frère de treize ans et demi.

Son âge la provoquait systématiquement ce genre de situation. Endosser toutes les responsabilités d’une adulte ne lui gagnait que difficilement la plus petite once de respect des plus vieux.

— Votre lette a été concise. Qu’a fait Isaac, exactement ?

— Il a fait entrer une personne étrangère dans l’enceinte de l’école, asséna-t-il sans changer d’attitude. Ce n’est pas une simple infraction à notre règlement intérieur. Les lois impériales sur la restriction de l’enseignement des arts arcaniques l’interdisent également. La faute est suffisamment grave pour justifier un renvoi.

Yue jeta un coup d’œil à son frère par-dessus l’épaule, trop brièvement pour qu’il lût son émotion.

— Isaac aime cette école. Je l’imagine mal risquer ouvertement sa place ici, il doit y avoir un malentendu.

— Malentendu ou pas, votre frère ne semble pas vouloir se justifier. Je ne peux composer qu’avec ce que j’ai vu et entendu.

— Mais encore ?

— La… version courte, est qu’il est suspendu pendant un décan. Cela devrait vous laisser le temps de lui poser vos questions directement.

Il fit glisser un document vers elle. Yue pesta intérieurement contre toute la lecture contrariante qui lui tombait perpétuellement dessus. Le bas de la page attendait sa signature.

— Ai-je un recours pour contester cette décision ?

— Je ne vous conseille pas d’essayer. C’est une sanction qui s’est voulu indulgente. L’incident peut en rester là si vous l’acceptez et qu’il n’y a pas de récidive.

— Et s’il n’a rien fait de mal au bout de compte ?

— Apportez m’en la preuve et nous pourrons en rediscuter. En attendant, je crois me rappeler que vous êtes pressée.

Il lui tendit de quoi écrire. Yue resta figée dans une immobilité contrariée de longues secondes avant d’ignorer l’offre du professeur pour sortir son encreur et le tampon de sa maison. Elle apposa sa marque d’un geste brusque, sur l’original, puis sur une copie, se rendit compte trop tard n’avait lu la page qu’en travers…

Tant pis.

— Isaac devrait profiter de son temps libre pour manipuler un peu de magie. Ses résultats théoriques sont bons mais il échoue à la plupart des exercices pratiques.

— Merci du conseil, répliqua froidement Yue. Issac, prend tes affaires, je te remmène.

Les aurevoirs furent muets, les premiers pas hors de la classe étouffants. Isaac ne savait pas quoi dire et Yue se sentait trop agitée pour parler.

Une fois sorti, tandis que sa sœur reprenant son souffle, Isaac risqua une question.

— Est-ce que t’es fâchée ?

La ligne de ses sourcils lui confirma que oui.

— Je te demande pardon. Je ne voulais pas créer de problèmes ou t’embêter dans ton travail.

Les traits de Yue se radoucirent au rythme de sa respiration, de la sévérité à l’indulgence, de la saccade à la régularité. Isaac n’ignorait pas le pouvoir que lui seul exerçait sur elle, une capacité à l’attendrirent dont, vrai, il abusait un peu parfois.

— Prendre soin de toi sera toujours plus important que mon travail. Quels que soient les problèmes que tu rencontres, je te promets de tout faire pour les résoudre. Tu me raconteras tout quand tu seras prêt, d’accord ?

Isaac acquiesça, soulagé. Un échange de sourire fatigués plus tard, ils reprirent la route. Isaac pria silencieusement pour qu’elle oubliât de le réinterroger sur l’incident.

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