109.3

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Il se retira, le bruit de ses pas en guise d’au revoir. Isaac le suivit des yeux et des oreilles jusqu’à ce qu’il disparût et parut enfin pleinement réveillé lorsqu’il reporta son attention sur sa sœur.

— Si je fini mes corvées tôt, est-ce que tu auras le temps de m’emmener à la librairie avant de devoir partir en mission ?

— Pas si tu les fais correctement.

Isaac cacha – mal – son dépit en se noyant le regard au fond de sa tasse.

— Je ne suis pas en train de te dire non, clarifia Yue, plutôt qu’on ira avant tes corvées.

Son frère la gratifia d’un sourire plein d’une reconnaissance sincère qui heurta Yue malgré l’habitude. Le bonheur d’Isaac tenait à si peu qu’il recevait toutes les gentillesse – parfois moins que de la gentillesse – avec une gratitude démesurée. Yue s’évertuait à le rendre exigeant, à lui faire comprendre que, contrairement à elle, il ne serait jamais obligé de mendier l’affection ou de craindre la déception de personne. Il occupait une place définitive et inconditionnelle dans la liste de ses priorités. Mais Isaac restait Isaac. Alors sa sœur s’estimait heureuse qu’il réclamât au moins la moitié de ce qu’il voulait sans avoir peur de tout perdre.

Il ne restait rien à Yue de sa détermination à aborder la question de son renvoi avec Isaac, si bien qu’elle se persuada que l’incident pouvait effectivement ne pas avoir de suite à condition de ne jamais se reproduire. Rien n’annulerait ses jours d’exclusion déjà écoulés en rétrospective et un rappel à l’ordre la veille de sa reprise devait pourvoir suffire. Contrairement à sa sœur, Isaac ne souffrait pas du genre du pulsion qui poussaient à éprouver les limites fixées pour lui et défier l’autorité. Souvent, il se pliait même un peu trop bien à leurs exigences.

— J’ai fini, annonça-t-il. Je monte me changer.

Il se leva, laissant une tasse vide, mais une assiette pleine.

— Tu n’as presque rien mangé, l’arrêter Yue sur le ton du reproche.

— Je mangerai mieux à midi, promit-il d’une voix mignarde.

Cette voix, plus redoutable que l’éclat désarmant de ses yeux verts, lui aurait obtenu la lune et le étoiles s’il les avait demandés. Yue s’efforça quand même de garder les pieds sur terre.

— Tu as mal dormi, tu veux mal manger et je devrais te fatiguer dehors par ce temps, en plus ?

— Je prendrais de quoi grignoter en chemin. Je peux monter ?

Malgré une hésitation encore longue, Yue céda ; car elle cédait toujours, quoi qu’elle ne se l’avouât qu’occasionnellement.

Un enfant ne peut pas élever un autre enfant. Surtout pas toi !

Le souvenir de mots de Maleka – Maman Maleka – lui fit mordre son quartier d’orange si fort que du jus lui gicla dans la narine. L’acidité lui arracha une grimace, une quinte de toux et la laissa à son tour sans appétit.

D’innombrables ponts reliaient entre elles les sept îles qui formait l’archipel de Nepterre, plus ou moins praticables ; kilométriques, pour certains. Aux extrémités de ceux-là, des stations de diligences mécaniques faisaient commerce du trafic, non négligeables entre les zones commerçantes et résidentielle clairsemées par le relief. Des barques couvertes offraient le même service le long des eaux. Bard aurait préféré voler malgré les rigueurs de la météo. L’absence de Yue lui interdisant toute transformation, il courrait.

Le vent le portait dans son souffle lorsque Bard allait dans son sens ou le déséquilibrait d’une bourrasque lorsqu’il prenait un virage. L’entrelacs des arbres amplifiait le sifflement des rafales qui les traversaient, sans beaucoup atténuer leur force, et ce bruit étourdissait Bard presque autant que l’intempérie. Son effort acharné le trempait de sueur et de bruine ; il lui incendiait les poumons pour lui alléger l’esprit.

Il essayait d’oublier tout ce qu’il semait dans sa course, jusqu’aux feuilles arrachées à leurs branches qui tombaient en valsant vers le sol. Leur ballet évoquait un lâché de confettis, tels que ceux qui envahissaient les grandes villes de l’empire pendant les fêtes publiques. En temps voulu, il affronterait les bals, les cérémonies et tous les autres recommencements qu’exigeaient le cycle des saisons, mais refusait d’y penser avant d’y être obligé, comme il refusait de penser au travail et au tracas du quotidien pendant ses rares jours de congé.

Et pourtant…

Le hasard de ses pas le fit descendre sur le rivage d’une plage écumeuse qui l’aspergea d’embruns, dont le sable imbibé lui avala les semelles à chaque foulés. L’odeur iodée des vagues lui écourta le souffle. Au bout de la côte se profitait la base navale de Nepterre, ses vaisseaux, ses quais, ses hangars et, à flanc de falaise, le bastion des Ailes de L’Eau, couronné d’un phare.

Bard connaissait par cœur la carte de l’archipel et s’était promis d’éviter ce secteur pour ne pas provoquer Yue. L’inattention venait de le pousser à faire le contraire.

— Et tu t’étonnes de passer pour idiot, se tança-t-il.

Il fit demi-tour, aussi rouge de honte que de fatigue.

Officiellement, Bard ne savait rien des leçons de vol que réclamait Mezmona, Yue ne lui ayant pas parlé de leur entretient de la veille. En réalité, puisqu’il rangeait son bureau et triait ses documents à longueur de journée, le secret n’en était pas resté un longtemps. Il devinait que Yue prévoyait de s’en occuper une fois sortie du palais de Qalipt et comptait bien la laisser agir à son idée sans se mêler de ses démarches ou de son inaction. Je sais ce que je fais, lui aurait-elle jeté s’il avait essayé.

Revenu sous le couvert des arbres, il s’arrêta pour se chercher une boussole dans les ombres diaphanes et le ciel voilé. Une route vers sa destination initiale naissait sous ses paupières clauses lorsque qu’un cri discordant brisa l’accord monotone du vent. Ce cri, Bard ne l’identifia qu’au dessin de la silhouette qui survolait la plage : un saurien, monture préférentielle des Ailes de l’Eau.

Le dragon atterrit près des frondaisons, à l’endroit exact où s’était tenu Bard un instant plus tôt. Sa gueule crocodilesque se débattait contre une muselière pour montrer les dents tandis que les voltes de sa queue projetaient sable du part et d’autre de son point de chute.

Son draconnier prit le temps de le calmer avant de mettre pied à terre.

Mezmona.

Il la reconnut à sa démarche mieux qu’à son visage. Elle avançait vers lui avec la même détermination que le jour de leur rencontre.

— Je me disais bien que je t’avais reconnu. Pourquoi tu t’en va sans dire bonjour ?

Bard salua pour couper court à la conversation, puis reprit sa route en s’efforçant de ne pas réfléchir à toutes les implications de leur rencontre.

— J’ai du mal à savoir si tu es timide ou délibérément désagréable. Tu sais parler, au moins ? Sans sa permission je veux dire.

Sa provocation aurait été plus facile à ignorer si elle n’avait pas décidé de le suivre.

— Vous devez avoir du travail, la repoussa-t-il ploiement. Inutile de me raccompagner. Je me suis égaré, mais je saurais retrouver mon chemin.

— Et si je n’ai pas de travail et que je savoir où tu vas ? Ou que je crois que tu as fais exprès de te perdre par ici ?

Elle sa plaça en obstacle devant lui. Près. Trop près.

— Tu as…

Mezmona détacha une feuille des cheveux de Bard et une autre de son uniforme. Son contact raviva le frisson nouveau, l’innommable sentiment.

— Je sais que ta mestresse ne veux pas que tu m’approches. Je voudrais que tu lui désobéisses. Est-ce que j’ai une chance de te convaincre ?

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