109.3
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D’innombrables ponts plus ou moins praticables reliaient entre elles les sept îles de Nepterre, kilométriques, pour certains. Aux extrémités de ceux-là, des stations de diligences mécaniques faisaient commerce du trafic, non négligeables entre les zones commerçantes et résidentielle clairsemées par le relief. Des barques couvertes offraient le même service le long des eaux. Bard aurait préféré voler malgré les rigueurs de la météo. L’absence de Yue lui interdisant toute transformation, il courait.
Le vent le portait dans son souffle lorsqu’il allait dans son sens ou le déséquilibrait d’une bourrasque lorsqu’il prenait un virage. L’entrelacs des arbres amplifiait le sifflement des rafales qui les traversaient, sans beaucoup atténuer leur force, et ce bruit étourdissait Bard presque autant que l’intempérie. Son effort acharné le trempait de sueur et de bruine ; il lui incendiait les poumons et lui allégeait l’esprit.
Il essayait d’oublier tout ce qu’il semait dans sa course, jusqu’aux feuilles arrachées à leurs branches qui valsaient vers le sol. Leur ballet évoquait un lâché de confettis, tels que ceux qui envahissaient les grandes villes de l’empire pendant les fêtes publiques. En temps voulu, il affronterait les bals, les cérémonies et tous les autres recommencements qu’exigeaient le cycle des saisons, mais refusait d’y penser avant d’y être obligé, comme il refusait de penser au travail et aux tracas du quotidien pendant ses rares jours de congé.
Et pourtant…
Le hasard de ses pas le fit descendre sur le rivage d’une plage écumeuse qui l’aspergea d’embruns, dont le sable imbibé lui avala les semelles à chaque foulés. L’odeur iodée des vagues lui écourta le souffle.
Au bout de la côte se profitait la base navale de Nepterre, ses vaisseaux, ses quais, ses hangars et, à flanc de falaise, le bastion des Ailes de L’Eau, couronné d’un phare.
Bard connaissait par cœur la carte de l’archipel et s’était promis d’éviter ce secteur pour ne pas provoquer Yue. L’inattention venait de le pousser à faire le contraire.
— Et tu t’étonnes de passer pour idiot, se tança-t-il.
Il fit demi-tour, aussi rouge de honte que de fatigue.
Officiellement, Bard ne savait rien des leçons de vol que réclamait Mezmona, Yue ne lui ayant pas parlé de leur entretien de la veille. En réalité, puisqu’il rangeait son bureau et triait ses documents à longueur de journée, le secret n’en était pas resté un longtemps. Il devinait que Yue prévoyait de s’en occuper une fois sortie du Palais de Qalipt et comptait bien la laisser agir à son idée sans se mêler de ses démarches ou de son inaction. Je sais ce que je fais, lui aurait-elle jeté s’il avait essayé.
Revenu sous le couvert des arbres, il s’arrêta pour se chercher une boussole dans les ombres diaphanes et le ciel voilé. Une route vers sa destination initiale naissait sous ses paupières clauses lorsque qu’un cri discordant brisa l’accord monotone du vent. Ce cri, Bard ne l’identifia qu’au dessin de la silhouette qui survolait la plage : un saurien, monture préférentielle des Ailes de l’Eau.
Le dragon atterrit près des frondaisons, à l’endroit exact où s’était tenu Bard un instant plus tôt. Sa gueule crocodilesque se débattait contre une muselière tandis que les voltes de sa queue projetaient sable du part et d’autre.
Son draconnier prit le temps de le calmer avant de mettre pied à terre.
Mezmona.
Il la reconnut à sa démarche mieux qu’à son visage. Elle avançait vers lui avec la même détermination que le jour de leur rencontre.
— Je me disais bien que je t’avais reconnu. Pourquoi tu t’en vaS sans dire bonjour ?
Bard salua pour couper court à la conversation, puis reprit sa route en s’efforçant de ne pas réfléchir à toutes les implications de leur rencontre.
— J’ai du mal à savoir si tu es timide ou si tu m’ignores délibérément. Tu sais parler, au moins ? Sans sa permission ? je veux dire.
Sa provocation aurait été plus facile à ignorer si elle n’avait pas décidé de le suivre.
— Vous devez avoir du travail, la repoussa-t-il poliment. Inutile de me raccompagner. Je me suis égaré, mais je saurai retrouver mon chemin.
— Et si je n’ai pas de travail et que je savoir où tu vas ? Ou que je crois que tu as fait exprès de te perdre par ici ?
Elle se plaça en obstacle devant lui. Près. Trop près.
— Tu as…
Mezmona détacha une feuille des cheveux de Bard et une autre de son uniforme. Son contact raviva le frisson nouveau, l’innommable sentiment.
— Je sais que ta mestresse ne veux pas que tu m’approches. Moi, je voudrais que tu lui désobéisses. J’ai une chance de te convaincre ?
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