VIEILLES EGLISES
« Les morts se relèvent pour lui (le poète), non pas quand il le veut, mais quand eux le veulent. »
Hugo von Hofmannsthal
Quiconque me connaît dans ma débauche extrême,
Pourrait, de bonne foi, s’étonner tout de même
Si quelqu’un lui venait rapporter le propos
Qu’on m’aurait aperçu me mêlant aux dévots
Qui vont en rangs serrés causer en vocalises
En ces sortes de tours qu'on nomme des églises !
D’ici je le vois bien ricaner bêtement
A ce qui semblerait comme un retournement :
« Comment, lui !... dirait-il, ce mécréant notoire,
Qui n’idolâtre rien, sinon manger et boire ! »
Et chacun de chercher par quelle agilité,
Un zélateur rusé m’aurait pu visiter.
Il me faut quereller ces sottes controverses
Et de la vérité dire les voix adverses :
Oui, j’entre quelquefois m'asseoir en cet endroit ;
Non, je n’ai pas reçu la grâce d’une foi,
Ni vu quelque lueur qui parle ou m’interpelle
Et m’ordonne d’aller courir à Compostelle !
Moi qui n’ai rien appris du Saint Enseignement,
Qui du Jardin promis sait mon éloignement,
Ici, bien mieux qu’ailleurs - pour une cause obscure -
Je me sens accueilli, sans carcan ni censure ;
Mon monde est assemblé dans cet ardent foyer,
Tant d’amour, de douleurs s’y viennent déployer,
Et les mânes des miens, insinuant la flamme,
Refrènent mes excès et apaisent mon âme.
Rien ne me parle mieux que son souffle d’encens,
Et ne m’instruit autant sur ce que je ressens ;
Ne sachant pas prier, j’ouvre grand ma poitrine
Où demeure toujours quelque profonde épine,
Et me laisse envahir par le prodigue soin
De ceux qui sont ici, ni plus Haut, ni plus Loin.
Voilà tout ce qui fait qu'on me voit à l'église,
Et plus elle est usée et plus elle agonise,
Dans un silence lourd et sombre de caveau,
Et plus j’y vais puiser de forces à nouveau.
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