Love of my life
Cette soirée signalerait-elle une métamorphose pour la jeune endeuillée ? Montée dans sa chambre, pour, officiellement, se reposer, elle avait en réalité pris quelques minutes pour se mettre sur son trente et un. Plaire à d'autres ? Non. Ce soir, c'est à elle qu'elle souhaite plaire. Le reflet plus tôt de cette jeune femme souriante et pleine de vie dans le hall la réchauffe encore. Plus que jamais, elle se doit d'être en vie. Il y a un an, elle gisait sous la douche, hurlant la douleur de son coeur fracturé jusqu'à ce que l'eau devienne glacée... Ici, c'est sa chance. Ici, les choses peuvent changer, elle en est sure, et son instint s'est rarement trompé.
— Un cocktail ?
Un sourire autrefois réservé uniquement à son clan s'installe sur le visage de Vida. Facile de deviner qui se tient derrière elle avec cette voix monotone. Lui aussi a fait l'effort de participer à la soirée.
— Ma maman m'a toujours dit de ne jamais accepter un verre proposé par un inconnu.
— Ça tombe bien alors, je suis une star reconnue dans tous les pays francophones, dit-il d'un ton blasé.
— De l'humour ? Merde, on va peut-être réussir à te dérider cette semaine.
— T'es pas non plus la reine de l'humour à ce que j'ai pu voir... Mais je dois avouer que tu m'as l'air différente ce soir...
— Soit, pas de baratin, j'ai horreur de ça. Ken, je suis désolée, célèbre ou non, je ne te connais absolument pas, tu n'es donc pas le nouveau Halliday ! se moque-t-elle.
Le rire explosif de Ken interpelle les deux groupes réunis. Non loin, les femmes aperçoivent Vida se se délectant du cocktail préparé. Ce dernier se lance dans des explications. Quelques albums et la création de son propre label ont fait de lui un homme pour qui l'argent ne sera plus jamais un problème. Sallie avait vu juste. L'enquêtrice qui ne la quitte pas des yeux sera ravie de l'apprendre.
— Si tu veux écouter, voilà mon nom d'artiste, dit-il alors qu'il prend le téléphone de Vida. Ne le fais pas ce soir. On est là pour faire la fête, pas pour se déprimer.
La franchise voire presque la brutalité de cet homme amusent Vida. Une légèreté difficile à dominer l'élève soudain.
— Rassure-moi et dis-moi que quand tu fais de la promo, c'est pas ce que tu dis aux journalistes ?
L'homme rit à nouveau puis rejoint Moussa à la table de mixage, croisant au passage, le clan qui le salue poliment.
Ses amies, la musique, l'alcool, pendant quelques heures, Vida oublie la douleur de sa vie. Elle n'est qu'une femme entourée des siens, qui rit, chante, danse avec insouciance. Trop longtemps que son corps n'a pas vibré au son de la musique, ni même que ses veines se sont délectées d'une ivresse maîtrisée. Si longtemps qu'elle n'a pas autant souri... Ses muscles endoloris sont là pour le lui rappeler. La joie dans le regard de ses amies enivre et transcende la jeune endeuillée, quand soudain, sans crier gare, la réalité la fracasse. Queen et la voix de Freddy Mercury inonde l'air de Love of my Life.
Vida, s'installe alors sur un transat et observe Maria, Malia et Sallie blotties l'une contre l'autre, se balançant sur le rythme mélancolique. Tristesse et détresse résonnent en écho avec celles de la jeune femme, dont les yeux papillonnent sur Lucie, enlacée par un Seydou protecteur. La parenthèse subtile et encore trop fragile s'interrompt face à ce couple. Devant elle, ce qu'elle n'aura plus jamais. David est loin, parti à jamais tandis qu'elle, demeure ici, en vie, mais seule. Au diable le bouclier. Que des rivières coulent sans contrôle sur ses joues, que la tristesse fonde hors de son corps, loin de son coeur ! Existe-t-il une recette magique pour tout éteindre ? La musique s'estompe. Alors, sans jamais les appeler au secours et parce que ses amies savent quand elle a besoin d'elles, les jeunes femmes lui apportent une étreinte enveloppante. La chaleur des corps plaqués contre le sien lui arrache des sanglots. Plus jamais il ne la serrera ainsi. Plus jamais. Quand était-ce d'ailleurs la dernière fois qu'il l'avait enlacée ? Être vivant c'est souffrir de l'absence de l'autre. Terrible, écrasante. Un flash s'impose à elle. La musique, David en rafolait. Il dansait en permanence. Générique de JT ou bande son d'une publicité, tout y passait. Objectif ultime ? Copier le talent de Michael Jackson. Par ses sourires, par ses éclats de rire, par ses gestes et ses non-dits, cet homme a illuminé sa vie de la plus belle des manières. Trois cents soixante cinq longs jours sans lui. Le reste de sa vie avec son absence.
Néanmois, il est là, quelque part à l'attendre. Idiot, ridicule ? Peut-être, mais c'est tout ce qui la raccroche à la vie. D'une traite, Vida vide un shot proposé par Maria. La douleur est trop vive. L'esprit peut-il s'embrumer rapidement ? Peut-elle oublier la fracture de son coeur pour un temps ?
— Tu es si belle ma Vida, il serait si fière de toi, murmure Sallie dans le creux de son oreille.
Voilà ce qu'elle aimerait qu'il lui souffle. Une dernière déclaration pour un adieu dans les règles. Cruelle. Odieuse. La vie ne lui a pas offert ce cadeau. Les mains de son amie glissent le long de son corps. Ses cuisses frissonnent et son esprit bouillonne. Si seulement David pouvait prendre sa place... Sallie devine-t-elle que toutes les nuits, Vida tente en vain de partager une dernière étreinte avec son mari dont la fadeur du résultat est à la hauteur des souvenirs qui s'étiolent petit à petit ?
— Qu'est-ce que je fais ?
Fantasme interrompu. Aucune précision n'est nécessaire. Toutes deux savent de quoi Lucie parle. Les histoires d'un soir, la jeune femme a assez donné. Son unique désir à présent ? Construire quelque chose de durable. Sallie lui intime de foncer sans réfléchir. Cet homme la veut, et elle aussi, pourquoi se réfreiner ? Seulement, ce n'est pas de l'avis tranché de Sallie dont cette dernière a besoin mais de la tempérance de Vida qui plonge alors corps et âme dans l'appel à l'aide de son amie, balayant ainsi la mélancolie devenue étouffante.
Où commence l'amour ? Où a commencé la plus belle chose qui ne lui soit jamais arrivée ? Par la séduction d'un regard, la tentation d'un corps, la délectation d'un toucher. Les mots de Seydou dans l'après-midi, sa gentillesse et la douceur de son regard ne trompent pas. Cet homme est bon et ne jouera pas avec Lucie.
— Je pense qu'il peut te faire du bien, dit-elle doucement.
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