La soirée se poursuit. Lucie ne quitte désormais plus Seydou après l'aval de Vida. Rapidement, tout le monde se retrouve à l'eau en sous-vêtements. Ken y compris. Son visage reste le même. Fermé. Froid. Mais il joue le jeu avec plus de brio qu'elle-même, pense-t-elle. La discussion l'a-t-elle aidée ? Si tel est le cas, tant mieux. Seule au sec sur son transat, tous invitent Vida à les rejoindre qui décline poliment avec pour simple excuse, la volonté de ne pas abîmer sa tenue. Les filles savent. Tout ceci n'est qu'une parade. N'avait-elle pas eu envie hier de plonger toute habillée dans l'eau chaude ? De bondir et d'éclabousser son clan, de rire aux éclats, de crier, de chanter, de vivre ? 

— Joue le jeu, fais-le pour elles. Prends mon T-Shirt si tu préfères, dit Ken, accoudé au bord de la piscine, si bas qu'elle seule peut l'entendre.

Est-ce si facile de lire en elle ? Son bouclier est-il si transparant ? Profiter avec elles, pour elles. Ces jeunes femmes ne méritent pas sa distance. Alors, à l'abri des regards, la jeune femme enfile le T-Shirt en question. La sensation est presque électrisante, vivifiante. La chaleur de l'étoffe contraste avec la froideur de son propriétaire. Difficile à expliquer, mais la lourdeur de son coeur s'estompe à mesure que le tissu glisse avec douceur sur son corps.  

— Vida, c'est quoi cette culotte en dentelle ? T'as un rencard ce soir ? demande Sallie en riant.

Toujours le mot pour mettre mal à l'aise celle-ci ! La jeune endeuillée bondie dans l'eau et rétorque sans plus attendre, un timide sourire aux coins des lèvres :

— J'aurais bien aimé mais je dois chaperonner une amie qui a décidé de ne pas dormir seule, ce soir !

En réponse à cette douce provocation, Seydou, hilare, coule Vida. Le temps se suspend. Les filles se figent. Vida joue le jeu, mais est-elle pour autant réellement prête à se méler à d'autres ? À jouer, rire, intéragir avec eux ? Devant l'expression enfantine du jeune homme qui repart à la charge auprès de son propre groupe, sans lui prêter quelconque attention, la jeune femme s'amuse et se détend. Ici elle n'est rien d'autre qu'une seconde âme en souffrance. Ici, elle est invisible. Quoi de mieux pour entrer en mouvement et parfaire sa métamorphose ?

Au bord de l'eau, installée sur les marches, chahutée par les remous, elle se délecte des moqueries incessantes de Sallie, Théo, le dernier homme du groupe d'ami à s'être présenté à Vida, et Moussa, le DJ à l'attention de la petite amourette de vacances. Quelle sensation grisante de n'être rien. Comment avait-elle pu se renfrogner autant à la vue de ces hommes. À leur façon, ils mettent de côté l'importance de sa vie et des drames qui l'entourent pour la forcer à apprécier celles des autres... En sont-ils seulement conscients ?

Ce lieu paisible, remarquable et empli de confiance apporte déjà tant de nouveauté dans l'existance de Vida, qu'elle en attrape un vertige. Où alors est-ce l'alcool qui coule dans ses veines ? Qu'importe, ce sentiment de légéreté est addictif. Ce soir, son instinct lui crie que quelque chose s'est enclenché. Devant elle, des grains de sable. Des étoiles qui s'entrechoquent, se mèlent, se démèlent, ou même qui n'interagissent pas. Elle n'aurait pas pu rêver meilleure façon de célébrer la vie. Pleurer, certes, rire aussi, aimer ses amies et s'ouvrir aux autres. La vie a mis ces hommes sur le chemin de Vida pour une raison. Son instinct se troupe rarement. Elle peut leur faire confiance.