Ne pas s'attacher

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Deux années passent. Entre Lucie et Seydou, les choses sont devenues sérieuses. À présent fiancés, le couple joue désormais aux funambules. Ken... Vida... Vida... Ken... Lucie avait imposé une règle à son amoureux : ne jamais inviter les deux en même temps à leurs événements. Soucieuse pour son amie sans projet, stagnant, s'enfermant de plus en plus dans une solitude effrayante, la jeune femme avait posé un droit de véto que Seydou avait respecté sans sourciller.

Dans le groupe d'hommes, les tensions avaient été nombreuses. Moussa n'avait plus adressé la parole à Ken pendant des mois pour avoir brisé la seule belle chose qui lui était arrivé dans sa vie. Lorsqu'il avait escorté son ami jusqu'à l'extérieur de l'hôpital, les choses s'étaient envenimées. Devant une Vida couverte de bleus et le regard démoli, le DJ s'était méchamment emporté et le dialogue fut alors rompu pendant une très longue période. 

À l'annonce de leur mariage, tous avaient cependant mis de l'eau dans leur vin. Vida avait expliqué à Lucie que Ken n'était pas un sujet tabou et qu'il était hors de question que son amie se partage et se plie en quatre pour satisfaire tout le monde ! Son mariage prime sur tout le reste. Les inimitiés, les animosités, les déceptions, tout sera mis de côté pour célébrer la plus belle chose : l'amour. De son côté Ken avait fait la promesse à ses parents ainsi qu'à Seydou qu'il se reprendrait en main, que sa situation ne pouvait plus durer, seulement, une seule chose l'obsédait durant toutes ces séances de psychothérapie : Vida. La culpabilité dévorante qui l'habitait n'était pas dirigée contre sa mère qu'il voyait souffrir de la détresse de son fils, ni contre Moussa et son silence radio, ni même contre le clan, qui lui en avait fait baver à la hauteur de ce qu'il méritait. Non. Toutes ses pensées étaient portées sur Vida. Comment va-t-elle, avait-il un jour demandé à Seydou. Ce dernier l'avait informé, Lucie refuse qu'ils parlent de son amie. Si Ken veut des nouvelles, il fallait réfléchir avant de la traiter comme une moins que rien. Néanmoins, Moussa, qui avait renoué le dialogue pour le bien du futur époux, n'avait fait aucune promesse et ne s'était pas gêné pour lâcher ces quelques mots glaçants :

— Comment penses-tu qu'elle puisse aller ? Tu as tout gâché.



Le mariage tient place là où tout a commencé. L'hôtel Marocain. Fiers d'accueillir à nouveau le groupe d'amis ainsi que leurs proches pour une si belle occasion, Faïza et Youssef logeront la cinquantaine d'invités dans des tentes luxueuses aménagées pour l'occasion au sein même du parc animalier. Les chambres de l'hôtel seront également doublées voire triplées.

Par chance, Ken et Vida ne prennent pas le même vol. La confrontation est ainsi repoussée, pense alors cette dernière soulagée. Depuis leur altercation, impossible pour elle d'aller de l'avant. David est parti et son coeur s'est réveillé pour un homme trop mal en point pour en prendre soin. Résultat ? La voilà deux ans plus tard tel un astre à la dérive, entourée d'amies résolument impuissantes. Lorsque son mari avait disparu, elle avait imaginé toucher le fond. Quelle naïveté. Elle était si loin du compte... David avait tout mis en veille. Ken a tout éteint. N'éprouve-t-elle pas de la colère à son égard ? Même pas et c'est bien là tout le problème. Le vide et les abysses ont gelé sa poitrine après qu'il soit réapparu avec la fiole de parfum dans la main et qu'il ait explosé son cœur. Difficile de faire comprendre à son clan qu'elle ne lui en veut plus. Ces pensées honteuses la submergent. Alors pour se protéger, elle se terre sans un bruit derrière son bouclier et attend. Quoi au juste ? Que la vie passe et que la mort la prenne. Suicide ? Jamais. Elle n'en a même pas le courage. Elle n'a seulement plus envie de rien. Toutes avaient imaginé que le mariage de Lucie la réveillerait de sa torpeur, elle y compris. L'organisation, la quête de la robe, les faire-parts, les dernières soirées de la future mariée en tant que célibataire auraient pu l'arracher de la noirceur dans laquelle sa vie s'enfonce, mais rien n'y a fait... Une seule chose l'obsédait : Ken.


Dans le hall, la jeune femme est témoin de la cohue qui s'invite dans ce qui fut jadis son havre de paix. Brouhaha, éclats de rire, tintement de verres... Même ici tout a changé. Comment ne pas réaliser qu'elle aussi doit bouger, se réveiller, vivre ? Valise récupérée, clé en main, Vida s'extirpe sans un mot du hall d'accueil pour rejoindre la chambre qu'elle partagera avec Sallie et Maria.

Tenue de travail enfilée, pourvu que certaines choses n'aient pas changées à ce point, pense-t-elle une fois à la recherche de Youssef. Pudique et peu bavard, l'homme la salue d'un simple geste de la tête, néanmoins, le regard ne trompe jamais, en guise d'invitation, il lui tend le tuyau d'arrosage. Les minutes ou les heures défilent. Le corps occupé est une offrande de la vie dont la jeune femme se délecte. L'esprit ainsi sous clé, les mains nettoient, frottent, balayent, grattent et caressent, aussi. Certains animaux sont décédés depuis leur passage, explique Youssef lorsqu'il la surprend à chercher le cheval qui la suivait jadis partout dans ses besognes. Les fermiers apportent ici les animaux en fin de vie et l'homme se charge de leur offrir la paix et le repos qu'ils méritent.

— Il faut jamais s'attacher. Sinon, toutes les semaines ton cœur saigne, ajoute-t-il avec douceur.

Ne pas s'attacher... S'il lui avait offert ce conseil lors de son premier séjour, aurait-elle perçu ce message subliminal si riche de sens désormais ? Vida s'est attachée à une branche qui n'avait pas supporté son poids et s'était brisée. Qu'est devenue cette branche ? Au loin, elle cherche le mirage de Ken, apparaissant torse nu comme au premier jour.

Rien.

Tant mieux.

Comment son âme figée dans la glace réagira lorsqu'elle le découvrira à nouveau ? Moussa et Lucie l'avaient prévenue avant leur départ, l'homme va de l'avant et partage sa vie avec une petite amie que tous ont rencontré une ou deux fois. Sallie et Maria avaient manqué de s'étouffer. Comment osait-il bafouer Vida en envisageant de refaire sa vie, avaient-elles clamé. Mais la jeune veuve n'en avait eu que faire. Il va mieux ? Bien. Pourrait-il lui transmettre la recette ? La suivrait-elle ? Rien n'est moins sûr.

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