Rédemption
Réveillée en douceur par Maria, Vida réalise que la sieste a duré plus longtemps que prévue. Il est déjà six heures et comme tous les soirs, les futurs époux souhaitent partager l’apéritif avec les invités. Sauf que ce soir, pour la première fois, Vida ne s’y rendra pas en traînant les pieds. Les choses doivent changer et cela commence dès maintenant.
Après une douche expéditive, la jeune femme attrape une tenue au vol et s’engouffre dans le hall. La chaleur du mois de mai est bien plus moite que la douceur du mois de novembre et la tenue choisie est quelque peu épaisse, aussi, la voilà qui scrute la pièce à la recherche d’un carton pouvant faire office d’éventail quand au bar, elle remarque Moussa et ses parents. Le temps est venu de mettre ses promesses à exécution.
Si le DJ n’avait pas sa peau aux couleurs d’une nuit sans lune, nul doute que l’homme aurait piqué un fard devant les éloges jetés par Aminata, sa maman. La fierté de cette femme pour les prouesses musicales et la réussite de son fils n’en finissent pas et allègent avec facilité, les tensions résiduelles de Vida.
— Notre fils nous a raconté votre histoire, madame, lance brutalement Bakary, le papa de son ami. Nous sommes navrés pour votre perte, et nous ne cachons pas notre colère face à ce que ce petit morveux de Ken vous a fait subir, tchipe-t-il alors.
Moussa s’excuse. Dans son groupe tout se partage et aucun de ses amis n’a de secret pour les familles des autres. Voilà là une vraie définition du mot clan, sourit alors la jeune femme qui remercie ses interlocuteurs pour leur compréhension et leur soutien. Voilà donc l’origine de toute la gentillesse de Moussa, qui n’avait pas hésité à remettre en question son amitié de longue date avec Ken. Des amis si intimes sont précieux dans la vie et Vida espère que les choses se sont apaisées entre les deux hommes.
L’échange est interrompu par l’arrivée des futurs époux. Comme tous les soirs, Lucie et Seydou apparaissent les derniers, sous les acclamations de tous. Vida se souvient des moqueries de Sallie sur le nombre de tenues différentes que la fiancée devrait arborer sous peine de rendre le rituel passablement ridicule. D’ailleurs, pense alors Vida lorsque son regard croise celui de cette dernière, elle doit des excuses à ses amies.
— Les filles, je vous demande pardon. Pour ces derniers mois de silence et surtout, pour mon absence lors des préparatifs pour le mariage de Lucie. Je sais à quel point toi, Malia tu peux te laisser dépasser par ton stress et je pense que nous n’aurions pas été de trop de trois pour maîtriser tes nerfs. De ton côté Sallie, j’imagine à quel point tu dois te sentir seule à présent que ta compère de coup d’un soir est désormais casée... Et toi, Maria, tu gravites autour de tout ça avec pour seule compagne, moi et ma coquille complètement vide. Je vous demande pardon à toutes et vous fait la promesse que cette Vida là a été bel et bien gommée. On pourra remercier Fatima, pour ses mains et ses mots, et Ken, aussi.
Chacune à leur façon, elles accordent leur pardon à une Vida définitivement soulagée allégeant à chaque étreinte, le boulet accroché à sa cheville. Quelle chance a-t-elle d’avoir été bénie par la présence de si belles personnes dans sa vie.
— Tu comptes faire quoi maintenant avec lui, interroge Sallie.
Vida n’en a pas la moindre idée mais une chose est sûre, elle va devoir se faire à sa présence néanmoins pour l’instant, la jeune femme préfère laisser une distance d’autant plus qu’elle n’en a pas terminé avec son parcours de rédemption.
Cela fait si longtemps que Vida n’a pas passé autant de temps en société, que les échanges finissent pas l’épuiser mais il lui reste une dernière chose à faire avant de s’autoriser à rejoindre ses appartements. Des minutes maintenant qu’elle guette l’opportunité mais rien n’y fait, le couple qu’elle tient dans sa ligne de mire n’est jamais seul. Qu’à cela ne tienne, à elle de forcer quelque peu son destin.
Une coupe à la main, la voilà qui se dirige d’un pas décidé vers la dernière cible de son pardon sauf que devant elle, se tient un homme avec qui elle n’est pas encore prête à échanger.
— Ken, pourrais-tu nous laisser quelques instants ? J’ai des choses à dire à tes parents, s’il te plait.
Sans même discuter, l’homme s’éloigne et rejoint Théo, accoudé au bar probablement en plein repérage de potentielles jeunes femmes à conquérir.
Est-ce vraiment la moiteur de la météo qui inonde soudain le corps de Vida ?
— Monsieur, je voudrai vous présentez mes excuses. Je pense avoir dépassé les bornes et souhaiterai me faire pardonner. Attention, ne vous méprenez pas, je ne regrette pas ce que je vous ai dit, mais plutôt la manière dont je vous l’ai dit. J’ai réagi excessivement. Je ne sais pas ce que vous savez, mais quoiqu’il en soit, vous devez savoir que Ken m’a blessé. Vous n’imaginez pas comme il est difficile de me retrouver à nouveau face à lui. Je suis navrée que vous en ayez fait les frais dès notre première soirée. Quant à vous Madame, je souhaite me présenter en bonne et due forme. Je m’appelle Vida et je suis l’une des amies les plus proches de Lucie. J’ai trente ans, je suis veuve et n’ai pas d’enfants. J’ai rencontré Ken ici même à l’hôtel et on va dire que ce sont nos cicatrices respectives qui nous ont liées et ce sont ses mêmes cicatrices qui nous ont séparé.
Durant toute cette tirade, Vida n’a jamais quitté le regard pétillant de Patricia, la maman de Ken. Comme si ses pupilles n’étaient rien d’autre que des bouées de sauvetage auxquelles s’agripper. Difficile de comprendre comment cette femme pleine de vie pouvait trouver son compte aux côtés de l’homme à l’attitude toujours renfrognée mais qu’importe, pense-t-elle, chaque couple a son équilibre. Mariés depuis trente-cinq ans, nul doute qu’ils ont trouvé la recette du bonheur, dans le respect du caractère de l’autre. Après quelques banalités entre les deux femmes, Vida s’excuse. La journée a été fatigante et elle souhaite se retirer pour se reposer.
Dernier regard à Nikos, le père de Ken, toujours impassible puis la jeune femme salue de loin ses amies pour rejoindre rapidement sa chambre. Blottie dans ses draps, la fierté l’envahit. Aujourd’hui Vida le sait, il s’agit de la première journée du reste de sa vie.
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