Chapitre 14 - Elle mérite la vérité
Je suis allongée dans mon lit et je repasse la journée dans ma tête. La soirée s’est bien passée entre nos parents et je suis heureuse que mes vacances ne soient pas un total fiasco. Dans le pire des scénarios j’imaginais que le repas se finirait mal entre nos deux familles et je suis heureuse de m’être trompée.
Néanmoins, ma relation avec Matéo a pris une tournure rapidement étrange. Je ne pourrais jamais oublier son regard insistant. Quand il est avec moi, je vois bien que je lui redonne un peu de joie dans sa vie chaotique. J’aime tellement être avec lui et je me suis réhabituée rapidement à sa présence. J’ai envie de rester un maximum de temps auprès de lui.
Ma mère vient me sortir de mes pensées. Nous sommes dimanche et comme l’a promis mon père, nous allons nous resourcer dans la campagne loin de la ville. Ma famille est dans une optique de détente et la journée ne peut que bien se passer.
***
L’excitation m’a empêché de dormir correctement. Le lendemain, je bondis de mon lit puis je m’habille en vitesse avant de passer par la cuisine pour prendre des biscuits. Pour une fois, je me lève bien avant que le repas soit en cours de préparation.
J’espère que les Di Angelo seront levés à cette-ci. La mère de Matéo travaille à mi-temps à la maison grâce à son ordinateur. Je sais que durant l’absence de son fils, elle ne quittait pas souvent son domicile.
Le soleil inonde le quartier et la chaleur embrasse ma peau. Nous sommes début juillet et beaucoup de voisins commencent à partir en vacances. Pour ma part, cela fait trois ans que nous ne sommes pas partis tous les trois à la plage. Je voyage surtout avec ma mère même si j’aimerais partir avec des amis.
Je sonne la cloche de la maison et madame Di Angelo vient m’ouvrir.
- Matéo est sur la terrasse, m’indique-t-elle après m’avoir fait la bise.
Je m’appuie contre la baie vitrée ouverte en observant Matéo. Son regard est tellement concentré sur un ordinateur qu’il ne remarque pas ma présence.
- Qu’est-ce qui retient toute ton attention ? je demande pour me faire entendre.
Il lève la tête et son visage s’illumine.
- Tina ! Je ne m’attendais pas à te voir si tôt, remarque-t-il. Normalement tu dors à cette heure-ci.
Je m’approche de lui et le serre brièvement dans mes bras. Je regarde l’écran de l’appareil par curiosité.
- Je cherche du travail, me renseigne-t-il. C’est assez difficile puisque je n’ai pas de diplôme à part le bac. Si je ne trouve rien, je n’aurais d’autre choix que de faire une formation.
- D’après ce que je vois, cela n’a rien à voir avec la comptabilité et le commerce, je comprends en prenant une chaise à côté de lui.
- Je ne veux pas travailler avec des gens comme mon père. De toute façon, même si je voulais je ne pourrais pas puisque je n’ai pas de diplôme.
- Tu te pleins beaucoup du monde des affaires mais si tu étais chef d’entreprise tu pourrais faire bouger les choses.
- Je ne sais pas si j’ai envie de m’embêter avec ça parce que ça demande beaucoup de temps et d’énergie.
Il ouvre une autre page internet et je peux voir qu’il s’inscrit sur des sites pour trouver un emploi.
- Faire des kebabs aussi c’est bien, ajoute-t-il avant de rire.
Je pouffe également mais nous sommes interrompus par la sonnette.
- Nous n’attendons personne, commente-t-il en fronçant les sourcils.
Matéo s’apprête à se lever mais je l’arrête.
- Continue de chercher, je vais ouvrir puisque ce n’est pas important. C’est peut-être Maria qui me cherche.
Je tire la porte vers moi et mon regard se pose sur une grande fille mince aux cheveux blonds et ternes. Elle ne semble pas en grande forme mais son visage me dit quelque chose. En réfléchissant quelques secondes, je comprends enfin.
- Charlotte ? je demande avec précaution.
- Vous êtes la copine de Matéo ? contre-t-elle le regard triste.
Ok, c’est bien Charlotte, la copine de lycée de Matéo. C’est bien la dernière personne que j’attendais voir débarquer ici. Si elle est là, Charlotte a dû apprendre le retour de Matéo même si c’est un peu tardif. Cela doit faire trois semaines demain qu’il est là, il me semble. Je ne suis pas sûre, le temps passe différemment en vacances.
- Quoi ? Non nous ne sommes pas ensemble, je réplique gênée. Je suis Valentina, tu te souviens de moi ?
Elle me regarde sans comprendre. Charlotte est bien différente de la fille que j’ai connue. Autrefois parfaitement assortis à Matéo, maintenant elle semble en mauvaise santé physique et mentale.
- Oui… Je me rappelle, bredouille-t-elle. Tu as beaucoup changé.
- Que se passe-t-il ? demande Matéo derrière mon dos.
Quand Charlotte aperçoit celui qu’elle attendait, ses yeux s’ouvrent comme des soucoupes.
- Ma… Matéo ? demande-t-elle d’une petite voix.
- Charlotte ? entend-t-elle pour la deuxième fois en quelques minutes.
- Tu as tellement changé, dit-elle mal à l’aise.
Nous restons quelques secondes sans rien dire avant que Matéo brise le silence.
- Entre, concède-t-il. Tu as bien fait de venir, nous devons discuter.
Je comprends pourquoi Charlotte est là. Matéo est parti comme un voleur il y a dix ans et elle est passée par les mêmes sentiments de souffrances que moi. Elle mérite de connaitre la vérité autant que moi. Elle est sortie assez longtemps avec Matéo pour être une personne importante à ses yeux.
Je décide de les laisser un peu seul à seul. Je n’ai pas envie que ma présence soit de trop. Malgré le fait que je sois dans une autre pièce, je peux entendre clairement la conversation.
Matéo lui raconte exactement la même histoire qu’à moi avec le même ton sûr et réfléchit. Le fait d’entendre une nouvelle fois la même version de l’histoire me fait tiquer. La façon mécanique dont il parle porte à croire qu’il y a un mensonge là-dessous.
Je pense qu’il raconte une partie de la vérité mais qu’il ne veut pas tout raconter de son ancienne vie. Quel élément de son passé est assez honteux pour ne pas qu’il m’en parle. Je suis très sceptique car il m’a promis de ne pas me mentir. Je décide de l’interroger une fois que Charlotte sera partie.
J’apprends que cette dernière est tombée en dépression ainsi que dans l’anorexie après le départ de Matéo. Mon voisin est sincèrement désolé de lui avoir fait tant de mal.
- Je vais me marier cet été, explique-t-elle avec plus de confiance.
- Je suis heureuse pour toi Charlotte, tu le mérites. J’aurais dû te contacter mais je pensais que tu aurais préféré ne rien savoir de moi. En dix ans, je pensais que tu m’aurais vite oublié.
- J’ai refait ma vie depuis longtemps mais je n’ai pas cessé d’espérer ton retour, mentionne-t-elle.
- Valentina est dans le même cas que toi, rajoute Matéo. Il lui a fallut un peu de temps pour me reparler et me pardonner.
- Je suis désolée d’avoir pensé que tu étais en couple avec elle mais je ne l’avais pas reconnu. Vous avez une différence d’âge assez importante.
- Je suis avec une autre fille, mentionne Matéo.
Charlotte ne répond pas mais même si je ne peux pas la voir, j’ai l’impression qu’elle semble déçue. Est-ce qu’elle a vraiment tourné la page ? À l’annonce de son retour, elle a peut-être espéré que leur relation redevienne comme avant.
Non, c’est impossible, elle va se marier dans quelques semaines. Je suis vraiment parano d’avoir peur qu’une fille prenne ma place. En revanche, la copine de Matéo ne m’inquiète plus vraiment puisqu’ils ne sont ensemble que depuis peu. Je ne pense pas que leur relation va durer longtemps.
Charlotte a tout de même une belle vie et ça m’étonne qu’elle soit encore en lutte avec l’anorexie. Elle travaille dans un grand cabinet d’avocat dont le nouveau dirigeant est son fiancé. Le couple habite dans les beaux quartiers du centre-ville et prévoient d’avoir un enfant.
Ils discutent encore un moment dans le salon avant que Charlotte mette un therme à leur échange. Malgré son teint et son corps maladif, elle garde toujours le charme que j’ai connu il y a dix ans.
- Je suis contente de t’avoir revu, lâche-t-elle avec sincérité. Je peux désormais tourner véritablement cette page maintenant que je connais la vérité.
- Je prendrais de tes nouvelles de temps en temps, ajoute Matéo.
J’entends quelques pas puis la porte se fermer. Je quitte la réserve dans laquelle j’attendais. Matéo vient à ma rencontre tout sourire mais je me tiens à l’écart.
- J’ai vraiment l’impression que tu me mens Matéo, je lui indique en croisant les bras.
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