Matéo écarquille les yeux quelques secondes avant de me regarder en se mordillant la lèvre. Qu’est-ce que c’est sexy !

Ok, je me reprends, je dois savoir ce qu’il me cache.

- Pourquoi tu dis ça ? demande-t-il.

- Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus mais je finis par m’apercevoir quand tu me mens, j’explique. Rappelle-toi le jour où tu n’es pas venu me chercher à l’école. Je suis restée en colère contre toi pendant plus d’une semaine.

Impossible pour lui d’oublier. Quand j’avais huit ans, Matéo a demandé à Maria de venir me chercher à sa place car il était en rencard avec sa copine. Normalement, il venait toujours me chercher à l’école le lundi et le jeudi. J’étais habituée à nos rencontres quotidienne et quand il s’est rendu compte de son oubli, je n’ai pas du tout apprécié. J’ai quand même poireauté longtemps devant le portail.

- Je me suis longtemps excusé pour ça, réplique-t-il. Tu n’étais pas toujours facile à convaincre à l’époque.

Je n’ai pas envie de m’éloigner autant du sujet. Si je continue à alimenter le passé, Matéo ne me répondra jamais.

- Pour revenir à nos moutons, je veux savoir ce que tu me caches. Plus de secrets entre nous on a dit.

Matéo soupire avant de faire quelques ronds dans le salon. Au bout de ce qui me semble une éternité, il décide de s’asseoir sur le canapé. Je me place en face de lui pour l’écouter.

- Je n’avais pas envie d’entrer dans les détails mais visiblement je n’ai pas le choix puisque je n’ai aucun secret pour toi, enchaine-t-il en évitant mon regard.

C’est la première fois que je le vois aussi mal à l’aise.

- La période que j’ai vécu après l’armée a été très houleuse et parfois difficile. Je suis resté quelques semaines sans logements avant de trouver un travail dans un café. Un jour, un client est venu m’interpeller pour me proposer un travail qui gagnerait plus. J’ai accepté de passer un entretien et j’ai eu le poste.

- De quoi on parle au juste ? je l’interromps pour arriver dans le vif du sujet.

- On parle du fait que j’ai été acteur de charme Tina, balance-t-il en soupirant. J’en ai un peu honte tout de même car je n’assume pas ce que j’ai fait.

Je le regarde avec des yeux ronds comme des soucoupes et je ne sais pas quoi dire. Je m’attendais à tous sauf à ça. Dans le pire des cas, je pensais qu’il se déshabillait en boite pour chauffer la salle.

Matéo daigne enfin me regarder et il semble très ennuyé. Il a peut-être peur que je le juge. Je parviens tout de même à me faire à cette idée.

- Combien de temps ? je couine d’une petite voix mal assurée.

- Presque deux ans, soupire-t-il. C’est beaucoup trop.

Je ne sais pas quoi ajouter pour dissiper ce malaise entre nous. Pour être honnête, ce n’est pas un sujet de conversation que j’ai l’habitude d’aborder.

Nous nous regardons en silence et un blanc intersidéral s’installe entre nous. À ce moment-là, je remercie madame Di Angelo de faire son entrée. Elle descend les escaliers avec un ordinateur portable dans les bras.

- Je viens de terminer mon travail, explique-t-elle. Que faites-vous là sans rien faire ?

Nous la regardons quelques secondes sans rien dire.

- Je vais amener Tina manger quelque chose en ville, s’exclame Matéo en se levant précipitamment.

- Mais il n’est pas encore midi, fait remarquer sa mère.

- On va se balader un petit peu avant, enchaine-t-il.

- Avec une chaleur pareille ?

- Il fait frais dans les magasins.

Matéo me prend par la main et me conduit vers la porte d’entrée. La chaleur m’étreint le visage, je préférais la clim de la maison.

Nous montons dans sa voiture avant de partir pour le centre-ville. J’envoie un message à Maria qui se retrouve seule à la maison. Je ne veux pas qu’elle prépare à manger s’il n’y a personne.

- Pourquoi tu as inventé ça ? je demande.

- Pour éviter de rester sur ce moment gênant, me renseigne Matéo. Même si je ne suis plus riche comme avant, j’aime bien manger dans le centre-ville.

- Ta copine ne va pas être jalouse si tu passes autant de temps avec moi ?

- Ça a toujours été toi la priorité Valentina.

Ces quelques mots me réchauffent le cœur et je me sens rougir.

- Tu n’as pas eu de nouvelle d’Alex ? demande-t-il brusquement.

- Non, pas depuis la soirée et c’est tant mieux, je marmonne.

- Maintenant, tout le voisinage ne parle plus que de lui d’après ma mère. Il semblerait que je sois passé du fils déshérité au sauveur de fille en détresse, ricane-t-il pour détendre l’atmosphère. Seulement, je pense que cette histoire va vite se tasser.

- Je suis heureuse que tu sois revenu Matéo, je confie en souriant. Ma vie me parait complète maintenant.

Il me rend un sourire sincère avant de se garer dans un parking.

La journée se déroule sans accroche, dans la détente et la bonne humeur. Nous avons parlé de quelques anecdotes et détails de notre vie mais cela n’a pas beaucoup d’importance.

Quand je rentre chez mes parents je ne cesse de penser à Matéo. Je suis sur un petit nuage et heureuse d’être mise sur un piédestal.

- Valentina ? appelle ma mère pendant le repas. Tu es encore en train de rêvasser ?

Je me redresse aussitôt en chassant les belles images de ma tête.

- Excuse-moi, tu disais quoi ? je me reprends.

- Ton père et moi avions l’idée d’inviter vendredi Alma et Matéo pour un week-end à Cannes. Ton oncle est absent et peut nous prêter sa maison. Bien évidemment, nous paierons les billets d’avion des Di Angelo.

Mes parents montrent leur enthousiasme mais je me demande s’il n’y a pas quelque chose là-dessous.

- Vous n’essayez quand même pas de vous rattraper pour toutes ses années où vous n’avez pas soutenu Alma Di Angelo, je soupçonne.

- Nous voulons créer des liens entre nos deux familles, se justifie ma mère. Comme avant.

Je comprends ce qu’elle veut dire et je ne peux pas l’en blâmer parce que je fais exactement la même chose avec Matéo à un stade plus avancé.

- Je pense que c’est une bonne surprise, j’approuve finalement en levant mon verre.

Mes parents imitent mon geste en riant. À ce moment-là, je comprends que notre relation familiale n’a jamais été aussi bonne. Je dois remercier Matéo pour ça. Il m’a en quelque sorte sauvé d’Alex et mes parents ont compris leur erreur à son sujet. Je ne vais pas me plaindre de ce changement brutal de situation. Je vois à quel point Matéo a modifié le chemin de ma vie dans le bon sens.