Je traverse la rue pour me rendre à mon premier cours de l’année. Cela fait quelques semaines que je prépare la fin des vacances avec joie. En effet, j’aime retrouver la bonne vieille routine d’étudiant qui me permet de m’occuper une partie de l’année.

Je retrouve mes amies dans le hall pour que nous rejoignons notre amphi ensemble. Je vois que Laura marque une pause en entrant : elle a le regard rivé au milieu de la pièce. Lorsque je remarque Alex et Charlie, je prends Laura par les épaules puis je lui indique que nous nous installerons derrière eux.

Heureusement pour nous, ils ne nous jettent même pas un regard et nous installons nos affaires sur nos tables. Irina fait un signe désobligeant en direction des garçons qui se trouvent à présent devant nous. Je suis soulagée de ne pas avoir été la bête de foire en pénétrant sur le campus.

- Il a retrouvé une vie normale ce garçon, malgré ce qu’on pourrait penser, grogne la polonaise.

- Je vous avais dit que cette histoire allait vite se calmer, je commente en ouvrant mon bloc note.

- On ne peut pas les éviter, soupire Anne-Lise.

- Alors espérons que nous ne soyons pas dans la même classe de TD, rajoute Irina.

- Aucun risque, Alex n’a pas le droit de nous approcher, je suis sûre que l’administration a veillé à cela, je précise.

La professeure nous intime le silence pour pouvoir commencer son cours dans l’amphi qui se remplit encore un peu. J’essaye de me concentrer sur le cours mais mes yeux se posent systématiquement sur la nuque d’Alex. Je remarque que Laura éprouve le même malaise mais continue à prendre des notes comme si rien n’était.

Soudain, un flash me percute. Je revois Matéo me défendre contre cet agresseur. Cela fait un moment que je n’ai pas pensé à lui mais je n’ai plus cet étau qui me serre le cœur.

Dès que le cours se termine, je range mes affaires précipitamment tout comme Laura. J’indique aux filles que nous ne devons pas être en retard à notre prochain cours. Pour la première fois, nous avons pris presque tous nos cours en commun afin de mieux nous soutenir. Nos relations n’ont rien à voir avec celles de l’an dernier plutôt superficiels.

- Tina attend ! me crie Irina en me rattrapant. Regarde bien ton emploi du temps, on n’a pas pris cette option en commun.

- Ah oui c’est vrai, je soupire en me frottant la tête.

- Ça va aller toute seule ? demande mon amie inquiète. Nous serons à la bibliothèque si tu as besoin de nous.

- Oui ça va aller, je la remercie avant de continuer mon chemin.

Il faut vraiment que je me remette les idées en place. Je ne pensais pas que le revoir allais tant me perturber mais c’est difficile de prendre des notes dans le même pièce qu’un agresseur sexuel qui est en plus mon ex.

- Eh ! s’écrit une voix derrière moi lorsque j’arrive près de ma salle de cours.

Je me retourne face à un jeune homme blond avec un jolie sourire.

- Tu as fait tomber ça, indique-t-il avec un accent américain.

Il me tend le foulard qui s’est décroché de mon sac. Je le remercie brièvement puis je pénètre dans la salle de classe sans grande ambition. Après m’être assise, je remarque que l’américain est installé juste derrière moi.

- Excuse-moi de te déranger, je m’appelle James, je viens de Boston et je ne connais pas cette université, est-ce que tu pourrais me montrer les cours de première année ?

Je m’apprête à le rembarrer car je ne suis pas d’humeur mais il me demande cela avec tellement de gentillesse que je ne peux pas refuser. Je pense qu’il faut vraiment que je passe à autre chose et le sourire rayonnement de cet homme peut peut-être m’y aider.

- Avec plaisir, je réponds avec un grand sourire. Mes classeurs sont vraiment lourds alors si ça ne te dérange pas de passer chez moi après les cours…

- Nice ! s’exclame-t-il heureux.

Nous avons à peine le temps d’échanger nos numéros que le prof toussote pour commencer son cours. Cette fois-ci, je parviens à chasser la nervosité qui m’a envahi depuis le premier cours.

Lorsque je sors de la salle avec James, je croise mes amies sur le parking qui me regardent avec un grand sourire. Je fais les présentations en leur expliquant pourquoi je suis avec un inconnu. Je les quitte quelques minutes plus tard après qu’Irina m’ait fait un clin d’œil.

Nous avons un métro puis un bus pour aller chez moi donc cela me laisse le temps de discuter avec le nouveau venu. C’est sa première année en France mais il parle très bien la langue car il prend des cours depuis le collège. James est vraiment quelqu’un de gentil et son accent est incontestablement mignon.

- J’ai eu mon diplôme d’économie l’année dernière, explique-t-il lorsque nous sommes dans le bus. Je suis un peu plus âgé que les autres mais j’ai envie d’avoir un diplôme en droit.

- La vie aux Etats-Unis ne te plait pas ? je demande avec intérêt.

- Si j’aime beaucoup mais les études sont très chères même pour moi qui viens d’une famille de la classe moyenne supérieure, répond-t-il. En France, c’est moins cher donc je préfère en profiter.

- Etant donné que tu as déjà un diplôme, tu es directement envoyé en deuxième année et je comprends que tu ais besoin des cours de première, j’élucide.

- Merci encore de m’aider Tina, me remercie-t-il en me souriant à nouveau.

Nous arrivons en fin d’après-midi chez moi et je croise ma mère dans le salon qui se lève, surprise que je ramène un garçon. Elle semble heureuse de mon geste et le salue avant de me laisser avec lui. Nous montons dans ma chambre et James lance avec admiration :

- Ta maison est vraiment très moderne, j’aime beaucoup.

- Je te remercie, je lui lance en cherchant dans les cartons de mon armoire les classeurs de l’an passé.

Je sors deux gros pavés et James se précipite pour m’aider à les porter.

- Nous pouvons profiter du soleil sur la terrasse tant qu’il fait encore bon dehors, je propose en lui faisant un signe de tête.

Je dépose ma charge sur la table de la terrasse puis je vais chercher des biscuits ainsi que du jus de fruit pour notre goûter.

- Ton père n’est pas là ? demande-t-il en prenant un biscuit.

Je reste quelques secondes interdites sans savoir quoi répondre à cette question inattendue. Voyant mon air ahuri, James s’excuse en bredouillant avant de reporter son attention sur les classeurs. Visiblement, il n’est pas au courant de cette affaire et cela n’est pas étonnant car il vient de débarquer dans le pays.

- Ce n’est rien, c’est juste que je n’aime pas parler de lui, je précise avant de m’asseoir à ses côtés.

Je regarde quelques secondes le soleil qui décline puis je me penche sur les cours. J’explique à James les grandes lignes de ce que j’ai étudié l’année dernière. Le temps passe très vite et la nuit commence déjà à tomber.

Les éclairages du jardin s’allument et j’éteins la lumière de mon téléphone qui me servait de lampe torche. Le chat des voisins se glissent à nouveau dans mon jardin et James le regarde avec curiosité. Il traverse la pelouse avant de se perdre dans les fourrés.

Mon regard est attiré par la personne penché sur le toit. Mon cœur s’accélère et je suis incapable de bouger car mon corps me parait s’être ramolli. Matéo m’observe le regard triste avant de serrer les poings, de secouer la tête et de descendre de son échelle. Il disparait derrière les la haie mais je suis incapable de poser mes yeux ailleurs que sur l’échelle qui dépasse du toit.

- Est-ce que ça va Tina ? demande James inquiet.

- Euh…Oui oui, je réponds en reprenant peu à peu ma mobilité.

- Je vais devoir y aller, il commence à être tard, m’indique-t-il en se levant. Merci beaucoup pour tes classeurs grâce à toi je vais pouvoir mieux suivre les cours.

Je le raccompagne à la porte puis il me fait un signe de la main avant de se diriger vers l’arrêt de bus. Je remonte dans ma chambre encore bouleversée par cette vision. Ça fait des semaines que je n’ai pas vu Matéo malgré notre constante proximité.

Je m’adosse contre le mur avant de commencer à pleurer. Je ne peux pas m’empêcher de penser au trou béant qu’il a laissé dans ma vie. Je pensais que le passé était derrière moi mais la vérité c’est qu’il est toujours dans mon cœur et je n’ai pas pu supporter de voir la tristesse dans ses beaux yeux verts malgré la pénombre qui prenait le pas.