Chapitre 1 : Au revoir racines
Voilà, le jour est arrivé. Aujourd'hui je vais quitter mon village. Ça n'est pas mon choix, j'ai été vendu. Ça marche comme ça ici. Mon village doit faire face à l'envahisseur venu d'Afrique. Ils viennent en France, enlèvent des enfants et les ramènent chez eux afin d'en faire des esclaves. Enfin, c'est ce qu'on dit, jamais personne n'a pu vraiment raconter ce qui se passait après le départ du village. Bien-sûr, nous avons des cours « d’histoire » nous expliquant pourquoi le monde est ainsi mais ça n’est basé que sur des « on dit » ou de vieux discours qui sont, peut-être, complètement obsolètes.
Ça y est, ils sont là, ils ont déjà pris Matthieu et Paul. Pierre essaie de fuir, ça ne va pas durer longtemps, ils vont l'attraper, le battre et il n'aura rien gagné que des coups en plus. Je reste calme mais j'en veux au monde entier. J'en veux à mes parents de ne pas avoir lutté pour que je ne sois pas vendu, j'en veux au village d'avoir noué ce pacte, j'en veux à la vie d'avoir donné toutes les richesses aux pays du sud. Ici, nous n'avons rien. En Afrique, ils ont tout. Bien-sûr, j'ai bien entendu des histoires qui font froid dans le dos et qui devraient me dissuader de penser que les choses pourraient être différentes. Par exemple, un vieux du village a raconté qu'il avait entendu une histoire à propos d'un village espagnol. Ce village avait tenté de se rebeller et avait réussi à se défaire des quelques maitres Sénégalais qui étaient venus pour prendre des esclaves. Cette information était arrivée aux oreilles des dirigeants au Sénégal et ils avaient envoyé une armée de plus de dix-milles hommes. Ils ne s'étaient pas contentés de ravager ce village mais ils avaient détruit tous les villages aux alentours. En tout, il y avait eu plus une vingtaine de villages détruits. Ils n'avaient laissé aucun survivant, ni femmes, ni enfants, personne. Enfin si, un vieux monsieur qui avait été chargé de propager la nouvelle partout afin d'annihiler toutes velléités de rébellion. Ça avait fonctionné, l'Espagne était devenue le premier fournisseur d'esclaves blancs pour les grands pays Africains.
On m'a aussi dit que "vendre" était bien mieux que "prendre". Effectivement, le village vend ses enfants pour survivre alors que les villages d'à côté n'ont pas le choix, les envahisseurs viennent, prennent les enfants et repartent. Ici, ils viennent, ils passent commande et ils payent (presque toujours) à la fin. Ça avait été négocié comme ça, et c'était le moins pire pour le village... Oui, pour le village, mais pas pour nous, pas pour ceux qui sont vendus.
Alors non, je ne veux pas me résoudre à me dire que c’est normal et que ce sera toujours comme ça, pas encore, pas maintenant.
Bref, aujourd'hui je pars et je ne reverrais sans doute jamais mon village. Je ne sais pas où je vais finir, les Belges/Allemands/Hollandais finissent souvent dans les pays du sud de l'Afrique. Les Espagnols, Portugais, Italiens sont plus utilisés dans le nord. Mais nous, les Français, nous sommes une sorte de variable d'ajustement, ils nous mettent là où il y a des besoins. C'est fou quand même, nous sommes tous des êtres humains après tout, pourquoi les gens noirs ne nous considèrent pas comme leurs égaux? Pourquoi sommes-nous leurs esclaves? Sommes-nous vraiment d'une race différente? Sommes-nous vraiment inférieurs? Je ne sais pas, j'ai peur... Ils sont là, juste devant la porte de ma maison. Je vais devoir y aller si je ne veux pas recevoir de coups. Je range mon cahier, j'espère pouvoir écrire pendant le trajet et laisser une trace de ce que je vais vivre.
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