Chapitre 10 - Parfum de Trahison (1/2)
Une odeur de souffre lui emplissait les poumons, le faisant tousser à chaque pas. Du sang séché lui zébrait la joue. Il titubait dans ce désert de pierre et de vase. La chaleur y était plus étouffante que sur Mosmo Era à cause des gazs libérés par les volcans qui jonchaient le sol de la planète.
Le Parfumeur continuait son chemin, des nuages toxiques lui piquant les yeux et brouillant sa vue. Quel idiot était-il de venir ici, dans ce gouffre où personne n'osait s'arrêter. Mais il avait besoin de cela pour rebondir après le désastre qu'avait été son règne sur la planète désertique.
L'Humain avait pensé être invincible et s'était pris un violent retour de bâton. Ces pilleurs hérétiques avaient pris d'assaut sa tour pour retourner en l'air son gouvernement. Ce fou de Sven avait été jusqu'à abattre sa propre fille pour assouvir sa vengeance, en vain. Le Parfumeur avait remporté le combat, mais le chaos qui régnait désormais dans la cité l'avait forcé à fuir.
Il ne savait pas à quoi s'attendre en arrivant ici. Il avait eu vent de l'homme qui s'y trouvait mais avait très peu d'informations.
Ses cheveux transpirants lui tombaient sur le visage. Une grotte se profilait dans la montagne devant ses yeux. Un grondement sourd retentit. Le Parfumeur réalisa que la montagne en face de lui était un volcan encore en activité. La vase avait été creusée pour créer des souterrains. L'Humain s'engouffra à l'intérieur. Des volutes de fumée s'élevèrent du sol.
Des bulles de vase pétèrent en libérant du souffre dans l'air. Un long tunnel sombre s'ouvrait devant l'homme qui ne voyait pas devant lui.
Le Parfumeur sursauta lorsqu'une créature difforme apparut soudainement près de lui, une torche dans la main. Le feu étant tourné vers le chemin, l'Humain ne pouvait distinguer que la silhouette de la créature. Sa main ne comptait que quatre doigts longs et fins, reliée à un bras très maigre, d'une teinte grisâtre légèrement violette.
La créature mesurait environ la moitié de la taille du Parfumeur et se déplaçait rapidement en trottinant sur deux courtes jambes. Elle semblait bossue et poussait quelques grognements en menant l'Humain à travers un dédale ténébreux qui semblait infini.
Plus le Parfumeur s'enfonçait dans le tunnel, plus l'odeur devenait insoutenable. Un mélange de putréfaction et de flatulences infecte. Il sentait du mouvement autour de lui et, du coin de l’oeil, apercevait de temps à autre plusieurs espèces d'insectes répugnants ramper le long des murs. Ces derniers étaient recouverts de vase et visqueux. Lorsque l'Humain se risqua à approcher la main, une bouche aux crocs acérés sorti de nulle part et tenta de la lui croquer. Le Parfumeur sursauta et fit un bond en arrière.
Le sol du tunnel était lui aussi visqueux et collant. La vase s'accrochait aux chaussures du jeune homme et commençait à ronger ses semelles. L'atmosphère était digne des films d'horreur que le Parfumeur regardait lorsqu'il était enfant. Il n'aurait pas été étonné qu'une créature apparaisse subitement devant lui pour l'empaler.
Mais cela n'arriva pas et, à sa grande surprise, il arriva entier dans ce qui semblait être une salle. Le plafond était si haut qu'il était impossible de le voir et les murs s'éloignaient pour agrandir l'espace.
La créature posa la torche sur un socle et s'enfuit en courant pour rejoindre les ténèbres. Le feu était trop faible pour que le Parfumeur ne puisse distinguer quoi que ce soit. Tout n'était qu'obscurité. Il entendait tout de même les grognements de nombreuses créatures comme celle qui l'avait mené jusqu'ici, et l'écho de leur grondement résonnait dans un brouhaha terrifiant.
Une voix émana de la pénombre en face de l'Humain, si profonde et si grave qu'elle fit trembler le Parfumeur de l'intérieur.
— Quel doux parfum vient visiter mon humble demeure.
Son ton était enjouée mais il suffit à hérisser les poils du jeune homme qui s'exclama d'une voix chevrottante.
— Bon... Bonjour. On m'a dit que vous pouviez m'aider.
Un silence pesa quelques instants et l'Humain pensa d'abord qu'il n'avait peut-être pas parlé assez fort. Lui qui était pourtant doué d'une bonne élocution avait perdu tout ses moyens face à cette voix dans l'ombre.
Mais son interlocuteur finit par répondre.
— Vous aider ? Moi ? En quoi puis-je vous aider ?
Le Parfumeur hésita un moment. Il n'avait en réalité pas réfléchi à cette question. Il était venu ici dans l'espoir que son interlocuteur soit déjà au courant de sa venue et prêt à obtempérer. Après avoir vu la créature arriver vers lui, il avait pensé que son intuition s'était confirmée. Il s'avéra que non.
Après un long moment de réflexion, rythmé par un bruit incessant de goutte tombant au sol, le Parfumeur finit par répondre.
— Je cherche le pouvoir.
Un ricanement démoniaque glaça le sang de l'Humain et son coeur manqua un battement. Il ne savait pas si ce rire était là pour signifier un bon ou un mauvais présage.
L'ombre haussa le volume de sa voix, comme si elle voulait se montrer claire avec le Parfumeur. Les murs tremblèrent légèrement et les créatures poussèrent des grognements plus féroces.
— Le pouvoir n'est pas un jouet. On ne peut pas l'acquérir et s'en servir comme bon nous semble. Il faut le mériter. Qu'as-tu fait pour mériter ce pouvoir ?
Le Parfumeur n'hésita pas une seule seconde sur ses motivations.
— Je peux mettre à votre disposition toutes mes compétences. J'ai déjà fait plier tout un peuple sous ma volonté.
Il avait déclamé cela avec fierté et confiance, mais la réaction de son interlocuteur ne fut pas celle qu'il attendait.
— Chercherais-tu à m'impressionner jeune homme ?
Les questions qui lui étaient posés le déstabilisaient. Il ne savait pas quel genre de réponse pouvait jouer en sa faveur. Il entrouvrit la bouche pour répondre, mais l'ombre éleva de nouveau la voix, changeant complètement de sujet.
— As-tu déjà entendu parler des Éphémères, jeune homme ?
— Non, monsieur, dit franchement le Parfumeur.
Avec sa voix grave, l'Humain en avait déduit que son interlocuteur était un homme, si toutefois était-il possible de le qualifier d'homme. La manière que ce dernier avait d'appeler le Parfumeur, en revanche, donnait l'impression à l'Humain d'être retombé en enfance. Comme un professeur qui sermonne un élève.
— Et le Néant ? Continua la voix ?
Le Parfumeur fut interloqué. Les Histoires du Néant était un conte pour enfants que les parents lisaient pour calmer leur progéniture. Il était question de montres terrifiants et de créatures dont la taille dépassait l'entendement. Mais pour l'Humain, ce n'était que des histoires pour faire peur. Il avait rapidement cessé d'y croire.
— Le Néant ? S'interrogea-t-il, celui des contes ?
La voix se mit de nouveau à rire, soudainement, et le Parfumeur sursauta, se recroquevillant un peu sur lui-même. Il avait maintenant l'impression de parler avec le diable en personne.
— Croyez-vous encore en ces contes, jeune homme ? Demanda la voix qui semblait excitée de connaître la réponse.
— Bien sur que non, répondit le Parfumeur en tentant de rassembler un peu de courage ce ne sont que des histoires pour les enfants. La plupart des adultes n'y croient plus.
— Quel dommage, fit la voix, qui, à l'évidence, semblait déçue, car, voyez-vous, ces contes ne sont pas juste des contes.
Le Parfumeur avait peur d'entendre la suite. Il se souvenait de certaines de ses histoires et nombre d'entre elles faisaient froid dans le dos. Plus d'un enfant en avait fait des cauchemars. S'ils s'avéraient que toutes ces créatures existaient, il ne savait pas comment réagir.
— Mais, si le Néant existe, comme vous dîtes, s'exclama le Parfumeur, comment cela se fait-il que personne n'ait jamais vu ces créatures.
— C'est là que les Éphémères entrent en jeu.
— Que voulez-vous dire ?
Un moment de silence pesa à nouveau. Le Parfumeur avait commencé à suer à grosses gouttes, à la fois inquiet et curieux de ce qu'il venait d'entendre.
— Pensez-vous vraiment que les contes et les légendes de votre galaxie viennent de nulle part ? Reprit la voix sur un ton plus sombre, presque terrifiant.
— Non, répondit faiblement le Parfumeur qui avait senti la tension monter et qui ne souhaitait en aucun cas énerver la chose qui se cachait derrière la voix, mais je suppose qu'à un moment donné de notre histoire, un conteur fou a eu ces idées délirantes et les a couchées sur papier.
— Fou, ou visionnaire, coupa la voix, l'auteur des Histoires du Néant n'a fait que relater des événements qui ont réellement existé. Des événements vécus par ses ancêtres, vécus par lui-même et vécus par ses descendants qui ont complété son oeuvre.
Des frissons hérissèrent la nuque du Parfumeur. Il avait du mal à gober tout ça. Ces Histoires du Néant était remplies de contes fantastiques. Il croyait difficilement à la véracité de ces propos. Il s'agissait pour la plupart de monstres attaquants des planètes entières pour n'y laisser aucun survivant, ou encore de batailles épiques entre espèces.
Comme si elle avait lu dans les pensées de l'Humain, la voix continua.
— As-tu entendu parler de Frist ?
Le Parfumeur réfléchit un instant. Personne ne savait ce qu'il s'était réellement passé sur cette planète. La population avait subitement disparue. Mais le jeune homme refusait de croire à ce genre d'événement surnaturel. Une catastrophe naturelle avait sûrement dû éclater du Frist, engloutissant tout le monde.
— Ne ferme pas ton esprit comme le fait ton gouvernement. En refusa,t d'ouvrir les yeux, tu te fermes une porte qui pourrait être judicieuse pour toi.
La voix fit vibrer les entrailles de l'Humain qui commença à douter. Il était venu sur cette planète en cherchant le pouvoir et n'avait jusqu'ici qu'été chamboulé dans ses croyances.
Il hésita longuement avant de demander.
— Pouvez-vous m'en dire plus sur les Éphémères ?
Un nouveau ricanement retentit, mais celui-ci semblait venir d'un sentiment de satisfaction. La voix reprit sur un ton plus calme et démarra.
— Ces créatures du Néant ne viennent que lorsque le monde est régi par le chaos, déchirant la galaxie. Ils cherchent à renverser le gouvernement en place pour conquérir la galaxie. Mais, à chaque fois, les espèces se sont alliées pour les arrêter, les renvoyant ainsi dans le Néant. Leur intervention n'étant que très brève, les peuples leur ont donné le nom d’Éphémères.
Le Parfumeur avait entendu parler de ces créatures mais ne connaissaient pas leur nom. Il restait tout de même dubitatif.
— En quoi les Éphémères ont-ils un rapport avec moi ?
— Tout, s'exclama la voix, ne voix-tu pas la situation actuelle de la galaxie ? Le gouvernement n'est qu'un groupuscule de politiciens cupides, avides de pouvoir.
Ce constat rappela au Parfumeur la situation politique de Mosmo Era avant son arrivée sur la planète désertique. La situation était donc plus grave qu'il ne pensait.
— La galaxie est-elle donc en danger ? Les Éphémères sont-ils en train d'arriver ?
Sa voix tremblait légèrement, car l'idée de voir arriver ces créatures cauchemardesques ne l'enchantait pas trop.
— En effet, répondit la voix, ils ont déjà commencé. Le gouvernement ne voit absolument rien, et il se fait ronger petit à petit.
L'adrénaline commençait à monter aucerveau du Parfumeur, comme s'il se sentait pressé par le temps. Si les Éphémères arrivaient, il fallait agir.
— Comment pouvons-nous les arrêter ?
— Les arrêter ?
La voix avait retourné la question sur un ton étonné, et l'Humain comprit rapidement que ce n'était pas dans ses projets. Avant qu'il ne puisse poursuivre, la voix continua.
— Pourquoi les arrêter ?
La question paraissait évidente mais la voix y ajouta une certaine profondeur, une autre grille de lecture qui échappait encore à l'Humain.
— Ces créatures veulent contrôler la galaxie, s'exclama le Parfumeur, il faut les en empêcher, réveiller le gouvernement.
Sa phrase avait sonné comme un appel de détresse et il fit ricaner la voix qui répondit.
— Réveiller le gouvernement ? Demanda-t-elle avant de poursuivre sur un ton plus ferme, réveiller ce même gouvernement qui fait régir une dictature où les libertés sont réduites de jour en jour ?
La voix s'était élevée de nouveau et faisait trembler l'espace. Le Parfumeur la trouvait de plus en plus terrifiante.
— Mais nous ne pouvons tout de même pas laisser ces créatures nous dominer, s'exclama l'Humain.
— Et pourquoi pas ? Rétorqua la voix.
Un lourd silence pesa suite à cette question et le Parfumeur se mit à réfléchir. Mais son esprit était complètement vide, il ne savait plus quoi penser. La voix reprit alors.
— Réfléchissez un peu, jeune homme, souhaitez-vous réellement vieillir sous cette hégémonie qui vous emprisonne ? Ou préfériez-vous un changement radical mais possiblement bénéfique ?
— Difficile à dire, répondit l'Humain, les Éphémères pourraient ne nous amener que la destruction.
— Destruction, coupa la voix, ou reconstruction. C'est là qu'est la nuance.
Le Parfumeur se sentit perdu. Il se méfiait de la voix, mais ses arguments commençaient à l'intriguer. Il devenait curieux vis-à-vis de ces Éphémères et de leur potentiel.
— Vous pensez donc qu'il serait judicieux de s'allier à eux, se hasarda à demander l'Humain.
— Ce que je pense n'engage évidemment que moi, fit la voix, mais je dois avouer que je suis un adepte du changement.
Le ton de son interlocuteur donna tout de même au Parfumeur l'impression que l'Humain n'avait pas tellement le choix s'il voulait en finir avec cette histoire. Il préféra donc continuer en allant vers l'essentiel.
— Admettions, commença le jeune homme, que je vous suive sur cette voie. Que pourriezvous m'apporter ?
Un long silence signifiait au Parfumeur que la voix étudiait la question. Après un instant, elle finit par répondre.
— Vu les senteurs qui vous ont accompagné, j'ai cru comprendre que vous aviez l'odorat fin.
— Je connais les odeurs mieux que quiconque dans cette galaxie, confirma l'Humain avec une certaine fierté, je peux les décortiquer, les mélanger et vous concocter des formules qui mettront toute une planète à vos pieds.
— Ça, vous me l'avez déjà dit ! Coupa la voix en faisant sursauter le Parfumeur, mais soit, si telles sont vos compétences, je pourrais vous laisser à disposition des produits que vous ne pourriez jamais obtenir autrement, même dans vos rêves les plus fous.
La proposition était alléchante. Lui qui avait toujours été incompris par les institutions officielles, forcé à s'exiler dans un profond désert pour faire valoir ses talents. Querlqu'un lui proposait enfin de passer sur le devant de la scène au niveau galactique.
Mais le Parfumeur n'était pas dupe. Il se doutait qu'une telle proposition allait engendrer une contrepartie.
— Si j'accepte, dit l'Humain, quelle seraient vos restrictions ?
— Une loyauté sans limite, fit la voix en s'élevant sur un ton ferme. Si vous souhaitez travailler pour moi, je dois pouvoir vous faire confiance afin de vous confier aveuglement des missions que je ne saurais remplir.
Le Parfumeur s'y attendait et réfléchit longuement. Une loyauté envers un tiers n'était pas dans ses habitudes. Il aimait pouvoir contrôler ses actions comme bon lui semblait. Un dilemme s'offrait donc à lui, et la voix sembla déceler son esprit dubitatif.
— Je vous laisse le choix, fit-elle, acceptez de collaborer avec moi ou rentrez chez vous, je n'ai pas plus de temps à perdre.
L'Humain mit un long moment avant de répondre.
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