Voyage 1/6
Les dix dernières années servirent à parfaire les négociations maritales entre Xévastre et Vorn.
Un jour de printemps, au retour d'une balade à cheval, Ombre et Gérald apprirent qu'un messager de Vorn venait d'arriver. Gérald partit à sa rencontre, suivi de sa garde. Quand ils arrivèrent, le petit homme refusait de prendre le moindre repos. Il reconnut la cape d'ours seigneuriale de Gérald, et le salua d'une révérence de Vorn.
- Monsieur, le corrigea Gérald avec froideur, sachez qu'en ces lieux, vous devez vous incliner les mains visibles.
- Pardonnez-moi, messire... maugréa le cavalier.
Il corrigea son geste, et put tendre sa missive. Ombre lut par-dessus l'épaule de son Seigneur, sans en avoir l'air. La teneur du message la glaça.
" Moi, Isa de Vorn, fiancée du sieur Gérald de Xévastre, quatrième fils du comte de Xévastre, mande un entretien privé avec ce dernier, et tous ses proches. Je ne compte en aucun cas débattre des accords entre nos deux familles. Veuillez transmettre le message cacheté à ce dernier, en mains propres."
Gérald décacheta l'objet, perplexe.
"Mon aimé,
Je souffre de votre absence. Aussi, une rumeur court, selon laquelle vous auriez une favorite. Je le sais, ne peut entâcher vos sentiments à mon égard. Toutefois, j'aimerais m'assurer personnellement que votre maîtresse mérite votre attachement. J'aimerais que vous m'éclairciciez sur quelques points la concernant, je veux tout savoir de votre bouche, de votre voix.
Sachez que je me languis de votre présence. Surtout maintenant que nous savons que notre avenir, nous le vivrons ensemble.
Pour vous montrer ma bonne foi, j'accepte de façon exceptionnelle sur mes terres les dragoniens éduqués hors de Vorn.
Amoureusement vôtre,
Duchesse Isa de Vorn."
Ombre se sentit nauséeuse, et parvint à dissimuler son pressentiment. Gérald dut insister pour congédier le messager, qui souhaitait repartir au plus tôt avec la réponse. Le sieur s'agaça :
- Le temps que je trouve les mots justes, vous pouvez vous détendre, et prendre un bain.
Le messager persistait. Le fiancé n'eut qu'un regard à lancer au garde le plus proche, pour que ce dernier éloigne le vornien. Ombre entendait le coeur de son frère s'emballer. Lui aussi s'inquiétait de cette nouvelle.
Tous deux rejoingnirent Xavier, qui détenait presque les pleins-pouvoirs, offerts les uns après les autres par leur père vieillissant. L'héritier s'occupait des doléances écrites du comté, et abandonna les liasses de messages avec soulagement. Gérald lui tendit sa missive, et son aîné prit son temps pour réfléchir. Il finit par briser le silence.
- Nous ne pouvons pas nous permettre de la laisser sans réponse...
- Je suppose que ce voyage est inévitable ? soupira Gérald.
- Pense tout de même à ta chance, dans ton malheur : il s'agit de la plus belle femme du royaume, et elle te facilite bien des choses, en t'aimant ; railla Xavier.
L'héritier du comté et Ombre virent l'homme se crisper.
- Je compte sur l'alcool pour me permettre d'oublier ce qu'elle a fait...
Xavier balaya cette affirmation d'une main.
- De toute façon, d'ici trois mois tu seras marié, et dans un an ou deux, vous aurez un enfant. Je te demande de jouer le jeu deux années seulement. J'ai reçu de bonnes nouvelles de la part des quatre coins du comté, et de nos alliés indépendantistes. Dans huit mois, les chiens de Sarrigue seront prêts pour les batailles à venir, sans risquer de s'en prendre à nos chevaux. Notre cavalerie est opérationnelle, et nous pourrons bientôt fournir deux panoplies complètes à chacun de nos soldats, humains comme dragoniens. Pour en revenir à ton rôle, Gérald, je te somme d'y répondre favorablement. Elle demande à connaître dans le menu ce qui te lie à Ombre, tu pourras démentir les mensonges qui pèsent sur la nature de votre relation.
Xavier se tourna vers la dragonienne, et lui lança un regard perçant :
- Je compte sur toi pour t'assurer qu'il joue son rôle à la perfection. Nous approchons de la fin de la royauté, et du retour à l'indépendance des seigneuries.
Ombre hésita à leur parler du troisième camp. Des dragoniens qui attendaient que les humains s'entretuent pour passer à l'offensive. Cela conduirait Obtèr et Kassaria à la pendaison. Et les retombées ne manqueraient pas d'être fatales à son Seigneur. Une horreur datant d'une décennie lui broya les entrailles. Isa la mandait à Vorn. Cela faisait des années qu'elle n'osait plus s'intéresser aux agissements de cette monstresse.
Pour toute réponse, elle acquiesça. Gérald la scruta du regard, et objecta :
- Je crains qu'emmener Ombre à Vorn ne soit une erreur.
- Nous ne pouvons pas encore désobéir aux caprices de la duchesse, ce serait prématuré. Tous nos alliés ne sont pas prêts, et certains pourraient se retourner contre nous. Je ne te le dirais qu'une seule fois : soumets-toi au moindre de ses caprices. Surtout si cela peut t'épargner d'attendre la nuit de noces pour l'engrosser.
Le futur comte se pencha vers son cadet, et lui lança d'un air grivois :
- Tu sais comment faire, n'est-ce pas ?
- Xavier, l'abomination qui me fait office de promise menace de me retirer notre espionne la plus efficiente. Est-ce bien le moment ?
- Ton manque d'humour me désole, se plaignit l'interpelé.
- Il s'agit d'un piège, intervint Ombre.
- Auquel il serait mal avisé d'échapper. Nous ne sommes pas encore prêts. Aussi vas-tu me faire le plaisir de retourner à Vorn. Et d'en revenir vivante, en compagnie de mon frère.
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