Passés 2/18
- Tu ne pues pas la sang-mêlée ! gloussa enfin le Doyen en écrasant une larme.
- Je t’aurais déjà tuée depuis longtemps sinon, assura Isséri.
Ils peinaient tous à reprendre leur sérieux. Le terme de sang-mêlée attira à son esprit de nouvelles réminiscences de purges systématiques et systémiques, en d’innombrables occasions. Cela la fit frémir. Des relents de pureté de races lui venaient, et elle connaissait les conséquences chez elle. En ces lieux… Humains et dragoniens avaient rivalisé d’imagination pour commettre le pire.
- Sache que ma présence amplifie la magie de tous ; reprit la pâle dirigeante. Il te faudra apprendre à dormir en ma présence, sans t’égarer ni te disperser comme cette nuit. Cela me coûte, et cela me lassera vite.
Ombre se surprit à lécher son propre sang et à sentir une forme d’ivresse venir. Elle nota que la plupart de l’assemblée l’observait du coin de l’œil, les narines frémissante, les pupilles verticales. Même Hênn-fia sortait à demi les griffes.
- Alors je serais mage ? S’étonna Ombre.
- Voir le passé est à la portée de tous, tu es juste plus douée en la matière.
D’un regard, Isséri comprit à l’expression d’Ombre que là d’où elle venait, ce n’était pas systématique. La dirigeante se rembrunit. Côtoyer l’humanité modifierait les siens à ce point ? Ou autre chose entrait en jeu ?
- Tu as dit au Doyen que l’humain qui t’accompagne est ton père. Pourquoi ?
- Il s’est occupé de moi dès mes premières heures. Et j’ai toujours pu compter sur lui.
L’assemblée s’agita. Un humain qui prenait soin d’une dragonienne, comme ça ? Impensable. Il cachait quelque chose. Ombre découvrit légèrement les crocs. Lorsque l’une des dragoniennes accusa ouvertement Gérald de n’agir que par fétichisme, Ombre feula en la toisant.
- Tu me défies, vendue ?
- Gérald ne nourrit pas de pensées malsaines.
Les dragoniens se tournèrent vers Isséri, qui confirma la véracité de l’information. Du moins, pour Ombre il s’agissait de la vérité.
- Comment êtes-vous arrivés ici ?
- Je l’ignore.
- Quel est ton dernier souvenir avant cela ?
- Nous allions nous noyer.
Isséri soupira.
- Naviguiez-vous ?
- Non.
La cheffe soupira de soulagement.
- Pourquoi ?
- Je craignais que vous soyez les survivants d’un naufrage proche, annonçant une invasion humaine.
Ombre la remercia de sa sincérité d’un hochement de tête.
- Demain, je t’emmène à la chasse. Sache que toute la partie morte de la plage appartient aux Aniogar, à nous, et que nous devons empiéter sur celui de nos voisins pour nous nourrir. Pour eux, nous sommes des parasites, des indésirables. Ne t’éloigne jamais trop, ou tu seras éliminée par eux. Aussi…
L’air se rafraîchit, puis devint rapidement glacial. Autour d’Isséri, de la noirceur, terrifiante, s’accumulait. Elle tendit la main, et des éclairs annihilant la lumière crépitèrent violemment en sphère erratique près de sa paume.
- Ceci n’est que de l’esbrouffe, mes sorts que tu devrais craindre ne se voient pas aussi clairement.
Aussitôt, tout, la froideur, la noirceur, les éclairs s’évanouirent, comme s’ils n’avaient jamais existé.
- Bien. Ta magie…
Ombre ne trouva pas de mots pour aller au bout de sa pensée.
- Je ne suis pas comme tous les dragoniens, ma mère est l’esprit des Ténèbres, je suis née dans notre monde d’origine.
Devant l’étincelle ébahie dans le regard de son interlocutrice, au visage peu expressif, la dragonienne lui demanda :
- Sais-tu que nous venons d’un autre monde ? Du moins les ancêtres de beaucoup d’entre nous ?
-… Oui…
- Sais-tu ce que sont les esprits ?
- Non.
Un nouveau silence survint.
- Mais que t’ont appris les tiens ? Qu’ils te prennent pour une hybride, soit, ils n’ont jamais du en croiser et peuvent confondre sans-instinct et demi-sang… mais ignorer à qui nous devons nos pouvoir, de qui nous avons besoin pour les transmettre à notre descendance… Honte à eux !
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