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D’obscures réminiscences vinrent à Ombre. Des rumeurs sur ce qu’il en coûtait à Isséri d’utiliser ses pouvoirs. Mais rien de concret. Quelques références à la faim des Ténèbres qui lui échappaient. Mais aussi la manière dont la cheffe apprit à manier cet élément, après avoir échappé au viol grâce à un dragonien né lui aussi dans leur monde d’origine, qui lui imposa un entraînement impitoyable et violent. La dragonienne aux écailles pâles poursuivit :
- Les esprits n’existent pas ici, et sans leur influence, la magie périclite. Une bonne part de notre culture et de nos traditions ont perdu leur raison d’être. Inévitablement, nous perdrons tout pouvoir. Nous ne serons plus que des humains écailleux, à la longévité hors normes.
Ombre déglutit. Cet avenir lui déplaisait. Mais pourtant… Soif était-il une exception ? Lui obtenait une descendance à la magie puissante.
- Je vois que tu saisis la situation. J’imagine que tu dois les marques sur ton dos à l’esclavage.
Cette dernière phrase hérissa l’étrangère. L’espace d’un instant, elle se sentit salie, humiliée, entravée dans ce souterrain humide, à la merci de la Demoiselle Isa.
- Je ne veux pas en parler, cracha-t-elle du bout des crocs.
À sa grande honte, elle entendit la pointe de terreur dans sa voix, ainsi que son souffle haché.
- L’esclavage existe-t-il là d’où tu viens ?
- Oui.
- Sais-tu comment il est survenu ?
- Non.
Les membres du clan se désintéressèrent pour la plupart de la conversation. Ils connaissaient leur Histoire, et ne doutaient pas un instant qu’elle se soit répétée chez Sériss.
- Nous descendons de clans bannis, qui ont erré des lunaisons entières en mer. Tout cela pour traverser un portail inconnu. À peine arrivés, ils ont compris qu’une partie de leurs capacités étaient perdues à jamais. Puis ils se sont entretués, convaincus de pouvoir régner en ce monde qu’ils pensaient vierges de toute civilisation. Puis quand les humains les ont rencontrés… il fut bien trop aisé d’utiliser leurs dissensions pour les soumettre. D’autant plus que la perte de pouvoir de génération en génération en a rendu plus d’un catatonique au début.
Isséri conclut dans un soupir :
- Voici le début de notre Histoire. Et depuis, sur ce continent, l’humanité et l’esclavage n’existent plus.
La cheffe bâilla.
- Si tu souhaites aborder un sujet qui ne peut attendre, c’est maintenant. Sinon, apprends notre langue.
- Comment retourner d’où je viens avec mon seigneur ?
- Je ne sais pas.
Doyen pencha la tête :
- Sssseh, tu veux déjà partir ? On ne te plaît pas ?
- Oui, je tiens à partir, tenir mes engagements. Pourquoi ces duels ?
- Pour connaître ta valeur guerrière et ta position dans la hiérarchie ! s’étonna Doyen.
Ombre hésita sur sa dernière question. Elle prit le temps de rassembler ses pensées. Tout ceci, bien que surréaliste, difficile à appréhender, semblait appartenir à la réalité. Pourtant, le doute demeurait.
- Sommes-nous vivants ?
Le Doyen prit un air dramatique :
- Hélas, hélas, cent fois hélas, oui ! Et sache qu’après pour nous il n’y a rien, nous n’avons aucune place en ce monde où nous sommes nés !
La petite médita brièvement, puis signala qu’elle n’avait rien à ajouter. D’un geste de la main, Isséri leva son sort de traduction. Ombre sentit comme une pellicule froide quitter sa peau et sa tête, et frissonna. D’un coup, les conversations alentours redevenaient incompréhensibles.
Il lui fallait un moyen de rentrer chez elle. D’emmener son seigneur vivre près de la Faille, tandis qu’elle construirait sa tour et son élevage de chevaux. Vivre. Vivre seule. Vivre seulement entourée de chevaux, des descendants d’Astuce, Kriss et Brouillard. Et surtout, loin des humains, loin de ces terres où elle s’était échouée, loin de tout et de tous… si elle vivait toujours. Malgré les paroles du Doyen, le doute persistait. Traverser… une étendue d’eau qu’aucun navire n’avait jamais réussi à traverser tenait de l’impossible. Combien d’expéditions passées avaient été lancées pour en savoir plus sur le monde ? Des centaines, sans qu’aucune ne revienne jamais.
Certains dragoniens retournèrent dormir. Ombre préféra ne pas retourner dans le passé, et attendit le matin en méditant. Tellement d’informations lui arrivaient d’un coup.
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