Pour ce que ça change 3/

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L'information traversa la salle en un temps record. Une Ordalie aurait lieu deux heures plus tard, le temps que les prêtres préparent un lieu propice à ce que les Ancêtres s'expriment à travers le bras des duellistes.

  • Je représenterais mon nom, s'imposa Bastian avec cérémonie.

Les deux étrangers le jaugèrent. Ils connaissaient sa réputation. Le Duc se désigna comme son adversaire, et le Baron attendit de connaître l'identité de son propre opposant. Thomas le toisa.

  • Au vu de votre réputation au maniement de l'épée et de mon dévoir d'équité, j'ai désigné un garde sans grade pour s'opposer à vous. Il se prénomme Hubert.

Le Baron le gratifia d'un regard peu amène. Le Comte ne l'offensait même pas par cette désignation. Wulik grinça :

  • Fort bien. Je ne peux que reconnaître l'équité de votre choix.
  • À présent, finissons ce repas, conclut Xavier après un silence hostile.
  • Que nenni. Je préfère me retirer dans mes appartements, si vous le voulez bien.
  • Baron Wulik, en tant que suspect vous savez que vous devez être suivi d'un de mes gardes.
  • Comte, il en est hors de question...
  • Veuillez respecter la loi, lui imposa sèchement le Duc Descombes.

Pendant que Bastian retrouvait sa place et sirotait un thé servi pendant cette conversation, les étrangers prirent congé avec raideur. Le repas achevé dans l'effervescence des duels à venir, Ombre partit épier les préparatifs. Elle connaissait par coeur la théorie, mais verrait pour la première fois les prêtres invoquer les Ancêtres et bénir la terre.

Elle arriva en même temps que le coursier à la chappelle, creusée à même la montagne. Il prévint le premier prélat venu. Ce dernier remercia le jeune homme, et convoqua aussitôt ses confrères. Les plus dévôts se gargarisèrent que ces barbares du Nord s'adaptent ainsi un peu plus à la religion, avant de s'égailler partout dans le château et ses alentours pour trouver un lieu où les Ancêtres jugeraient bon de guider leurs descendants. Il ne fallait en aucun cas léser les étrangers, dont la terre ignorait tout du sang. Il fallait un lieu où n'importe quel Ancêtre pourrait s'exprimer, et par conséquent un endroit où nulle décision importante ne fut prise, qui aurait imprégné la zone. Une tâche ardue en ces terres chargées d'Histoires.

Consciente que nul n'aurait besoin de ses services profanes, Ombre s'attarda. Elle ne venait que rarement en cette bâtisse monumentale, où le moindre souffle trouvait un écho. Pour rester discrète et ne pas se faire chasser trop tôt, elle s'assit sur un banc de pierre couvert d'une épaisse couche de velour et fit mine de se recueillir. Songeant à ses écailles brunes, la dragonienne mit la capuche de sa cape, et dissimula au mieux ses mains sous ses manches et l'ombre du banc devant elle. Avec sa carrure et sa taille, on la confondrait aisément avec un adolescent trapu.

L'odeur d'humidité et d'encens ne laissaient aucune place à la moindre senteur de moisissure. Les prêtres y veillaient chaque jour, coûtant une fortune en torches et cierges. Les tailleurs de pierre avaient laissé les veines roses et blanchâtres visibles, dessinant des aurores boréales figées dans la noirceur de la pierre. Le plafond se perdait à des hauteurs vertigineuses, ponctué de stalactites. Ombre chercha du regard les anciens puits de soleil qui laissaient aussi siffler les Vents, quand ces lieux leur étaient dédiés. Rien. Rien que le noir et les aurores boréales pétrifiées. En sus des bancs, une estrade surélevait l'autel d'une richesse jurant avec le mode de vie des gens du comté. L'ancien prélat l'avait fait venir directement du coeur du royaume, et au vu du prix nul n'a jamais souhaité le déplacer par la suite. Des émeraudes cerclées de minuscules topazes s'efforçaient d'illuminer l'autel d'ébène qui luisait sinistrement. Du marbre blanc dessinait de complexes motifs éthérés sur les quatre faces, tandis que la surface restait toujours nue, à l'exception d'une coupe précieuse servant à recueillir le sang de ceux qui souhaitaient que leurs Ancêtres les guident la nuit même.

À part cela et les bancs, des portes-cierges verts, noirs et blancs éclairaient comme ils le pouvaient les lieux. Des bâtons d'encens se consumaient aux nombreux angles de la caverne aménagée, et quelques volutes allaient s'égarer sur les traces d'anciennes mosaïques dédiées aux Vents. Les lieux vidés, il y régnait un silence étrange, qu'Ombre savoura. Elle n'avait pas d'Ancêtres, nulle voix ne venait jamais la perturber durant son sommeil. Comme tous les dragoniens.

Au bout de longues minutes, la porte s'ouvrit en un fracas assourdissant, malgré toute la délicatesse du moinillon qui entrait. Ses pas caressèrent la pierre, sa bure et ses fourrures glissèrent au contre le sol dans un vacarme détonnant. Il rejoignit un confesseur dans une pièce discrète, et Ombre put suivre leur échange sans peine, avec la sensation de se tenir près d'eux :

  • Nous avons trouvé un lieu idéal pour l'ordalie. Près des bois, à la lisière de la propriété d'Edgard le bûcheron. Voulez-vous vérifier vous-même...
  • Non, ce sera parfait. Je vais quêter le sang, et tout sera prêt pour seize heures. Va délimiter l'arène...
  • C'est déjà fait mon père.
  • Parfait. Va prier pour que ces barbares poursuivent sur la voie de la civilisation.

Ombre prit le temps de s'étirer, avant d'emboîter discrètement le pas du confesseur. Il portait une lourde bure doublée de fourrures grises, liserées de vert et d'un blanc tirant sur le jaune. Par respect pour le rang du plus éminent de leurs visiteurs, le prêtre chercha tout d'abord le Duc Descombes, occupé à fourbir ses armes et son armure dans une petite pièce près du pas de tir, presque à l'autre bout du château.

Fidèle à son nom, Ombre le suivit sans un bruit, sans même qu'il ne sente sa présence sur ses pas. L'homme de culte tendit au noble la dague rituelle d'obsidienne, et le Duc s'entailla l'avant-bras gauche. Le sang fut recueilli dans une fiole de cristal, tous deux échangèrent les paroles rituelles de circonstance, et le prélat partit en quête du Baron.

L'ordalie était sur toutes les lèvres, son lieu et son heure furent connus en un temps record. Comme à l'accoutumée, personne n'accorda d'attention à la dragonienne. Le Baron ruminait dans une petite bibliothèque.

  • Bonjour mon père, soupira-t-il en reconnaissant la tenue du confesseur.
  • Êtes-vous prêt à être le récipiendiaire de la justice des Ancêtres ?
  • Je le suis, et confie mon sang à leur jugement.

À son tour il s'entailla le bras, et laissa le prêtre prendre son sang puis le panser, avant de retourner à ses rumination. Ombre en profita pour laisser le confesseur à ses tâches, pour aller jeter un oeil aux préparations de son père adoptif.

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