Les négociations 4/
- Je ne n'aurais jamais cru le dire un jour, mais il nous manque la haine. On s'endort. On doit agir, vite, retrouver le goût du sang.
- Et pour ça tu veux sacrifier ta fille ? siffla Obtèr. Tu te fous de ma gueule.
- Non. Tu trouves que je m'humanise ? Et Ombre alors ? Elle est pas humaine peut-être, cette mer...
Une nouvelle gifle siffla. La concernée entendit une courte course-poursuite, soldée par la destruction d'un meuble, sûrement une table. Puis Obtèr émit un long grondement sourd et étranglé. Après un silence tendu, ils poursuivirent, nerveux :
- Si ma haine m'aveugle, ton attachement t'abrutit. Tout doit servir, nous sommes trop peu pour nous permettre des parasites. Elle sait pas se battre, et ne vient pas me faire croire qu'elle soit en mesure de garder un secret !
- Ssseh, elle est disrète, quand elle veut, la petite. Tu serais surprise de tout ce qu'elle peut entendre.
- Tu t'infliges vraiment sa voix ?
Après un soupir agacé, le silence revint. Pour peu de temps seulement avant que le garde ne reprenne :
- Rien que pour l'ordalie, je sais qu'elle a approché la salle d'entraînement quelques heures avant. Personne ne l'a vue ni entendue, si je n'avais pas senti son odeur je n'en aurais rien su. Elle se promène partout sans qu'on la voie ou qu'on l'entende. Et tu veux te passer de ça ?
- Elle s'infiltre partout, très bien. Qu'est-ce que tu veux que ça me foute ? Elle sert les humains, surtout le sang faible, et ne changera pas. Je ne prendrais pas le risque qu'elle parle des nôtres.
Le ton d'Obtèr devint accusateur.
- C'est pas toi qui devait lui donner accès à notre culture ?
- .... J'ai déjà trop tardé.
- C'est ça, casse-toi. Mauvaise mère. Tu ne la sacrifieras pas.
Ombre trouva à se dissimuler pour éviter de tomber sur ses parents. Pour eux, elle ne connaissait pas ces lieux noirs et branlants. Plusieurs minutes s'écoulèrent, lentes, tandis que la petite rousse accusait le coup. D'un côté, les humains la voyaient comme un outil, à l'exception de son seigneur qui la considérait avec égards et affection. Et de l'autre... une attardée sacrifiable.
Elle s'accroupit, puis rassembla les genoux sous le menton. Sacrifiable. Pour sa propre mère. La dragonienne manqua de peu de se laisser aller à sa peine, mais se rappela de l'écho à temps. Aux écuries, elle trouverait la tranquillité. Et Astuce pourrait la rassurer.
L'heure avancée lui facilita la tâche pour rejoindre sa plus proche compagne. En retournant dans la partie habitée du château, la servante sentit que son père s'était attardé à la sortie de la porte dérobée, avant de retourner à son poste.
Les patrouilles évitées, elle se faufila jusqu'à sa loyale compagne. La brave jument l'accueillit en posant la tête sur son épaule. Les deux s'allongèrent l'une contre l'autre, et Ombre s'épancha contre l'encolure de la splendeur tricolore.
Sa propre mère. Qui tenait à elle, au fond ? Gérald, Obtèr, Astuce, et qui d'autre ? Le reste de la famille de Xévastre pour les services qu'elle pouvait rendre. Quelques serviteurs, au fond heureux de pouvoir se soulager de quelques tâches sur elle. Et c'était tout. Au fond, Ombre savait bien qu'elle comptait peu pour le château. Mais à ce point ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Sa mort compterait plus que sa vie... pour Kassia. Et la dragonienne ancienne bénéficiait d'une grande expérience. Donc sa décision, sa vision importaient.
En voulant se frotter le nez, les doigts d'Ombre glissèrent sur ses écailles trempées de larmes. Imprésentable, la petite attendit que cela cesse, puis d'en effacer toute trace. Le sommeil l'emporta avant, et elle suivit les directives de maître Xavier pour choisir le lieu et le moment à observer, l'esprit désireux de s'éloigner du présent.
De retour au présent après cette fuite vers l'arrière, la petite comprit qu'elle ne pourrait se récompenser d'une tartine cette nuit-ci, faute de temps. Il lui fallait réintégrer la chambre de son seigneur, rédiger son rapport, le transmettre puis ce serait le matin.
Soulagée de pouvoir compter sur Astuce, Ombre s'offrit tout de même le luxe de prolonger l'étreinte. Sa beauté pie bai quêta quelque friandise, la dragonienne les lui promit pour plus tard dans la journée. À défaut d'avoir retrouvé un semblant de joie, Ombre se sentait juste vide. Sa jambe restée étendue sur la paille durant son escapade dans le passé la fit boiter, et la ralentit moins que la peine.
Sa mobilité habituelle n'avait pas été recouvrée qu'elle fouillait déjà dans ses affaires pour trouver de quoi écrire. Les comptes-rendus pour maître Xavier perdaient déjà de leur attrait issu de la nouveauté. De plus, elle connaissait déjà les nombreux vices de la famille de Vorn. Cette famille était viciée depuis des lustres, cela l'étonnait même qu'ils aient su préserver leur rang depuis aussi longtemps. Quoique, la majorité des familles nobles le devaient au sang, au mensonge, à la peur inspirée et aux bassesses. Même les Xévastre. N'importe quel généalogiste ou même archiviste pointilleux pouvait les faire chuter. Dans le domaine, la famille de Vorn était plus solide. Tout se jouait de manière plus insidieuse.
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