Les négociations 5/
Des bassesses qui surprendraient peut-être Maître Xavier. Cela ne suffirait pas à annuler le mariage, Ombre en était convaincue, mais peut-être que cela amènerait l'aîné Xévastre à trouver de quoi protéger son petit frère.
Les gardes devant l'anti-chambre de l'héritier la laissèrent passer après une fouille, et commentèrent son écriture à voix basse, tandis qu'elle déposait une petite liasse de parchemins sur le bureau. La vérité concernant son intellect les déroutaient. Elle leur offrit son sourire le plus béat et naïf qu'elle put en repartant, et cette fois ne chercha pas à distancer son suiveur. Bien au contraire.
Ombre se faufila dans un petit salon sur son chemin, et laissa à l'espion tout le loisir de la rattraper. Perplexe, l'humain rasa le mur, se demandant où elle avait pu disparaître. Avec plaisir, elle l'entendit avancer à pas lents sur les tapis épais du couloir, et maîtriser son souffle pour parfaire sa discrétion.
Discrètement, elle se mit hors de vue au cas où il chercherait à regarder par la serrure. Dès qu'il dépassa sa porte, Ombre lui laissa une dizaine de pas d'avance, avant de sortir avec naturel de sa cachette et de le saluer d'un radieux et enfantin :
- Bonjour sieur Elliance, quelle belle matinée !
L'homme ainsi interpellé bondit et dégaina en se retournant. La petite rousse pencha la tête, et battit des cils devant la lame effilée qu'il brandissait. Terrifié, l'homme de main prit le temps de se reprendre, avant de reprendre contenance et de rengainer. Jamais Ombre ne l'aurait soupçonné de détenir une telle arme, si habilement dissimulée. Au vu de sa posture et de son regard, l'humain était entraîné à s'en servir.
- Ne me refais pas deux fois ce coup-là, petite ; grogna-t-il.
Pour toute réponse, Ombre couina comme on pouvait l'attendre d'une simple d'esprit, tout en lançant un regard amusé à Elliance.
- Ce n'est pas vous qui me suiviez, la dernière fois. Tirez-vous le devoir de me suivre chaque nuit à la courte paille ?
- Ça ne te regarde pas.
- Je sers Maître Xavier. Au vu des informations qu'il me demande, ne me fait-il pas confiance ?
- Evite de poser trop de questions. Parfois, l'ignorance est une bonne défense.
- Je finirais par savoir, vous devez vous en douter.
- Tu oeuvres aussi pour Gérald.
Ombre ouït l'arrivée d'une patrouille, et fit signe au contre-espion de la suivre. Lui aussi entendit les trois gardes arriver, et la suivit. Pour un humain, il faisait montre d'une grande discrétion. Une fois à l'abri d'oreilles indiscrètes, ils poursuivirent :
- Je note aussi que tu sais moduler ta voix, sans-Ancêtres.
- Oui. Je relève que vous êtes dans la confidence, alors inutile de vous dissimuler ma véritable voix. Ainsi donc, malgré l'importance des services demandés, mon nouvel employeur ne me fait pas confiance. Pire, il soupçonne son propre frère... de quoi ?
Ces questions firent sourire Elliance. Ombre décida de revenir le soir même écouter ses pensées. Le simple fait de poser ses questions les attireraient assez près de la conscience pour qu'elle les suive avec aisance. Elle sentit toutefois qu'elle faisait fausse route. Maître Xavier ne craignait pas de complot de la part de son seigneur. S'attendait-il à ce que les tentatives d'annulation maritale viennent de lui ?
- Si Maître Xavier s'attend à ce que les tentatives de sabotage de l'union entre leur famille et les de Vorn viennent de mon seigneur... Qu'il se tranquilise à ce sujet. Cela vient de moi.
De toute évidence, Elliance ne s'attendait pas à cela. Après un moment de flottement, il contint un rire à grand peine. Gérald devait baisser dans son estime. Aucune importance. Mieux valait que Maître Xavier se concentre sur de véritables ennemis.
- Alors cesse tes manigances, petite sang-mêlée. Très vite.
- Sinon quoi ? Vous me ferez éliminer ? Malgré tout ce que je peux apporter, et la discorde que cela engendrerait entre humains et dragoniens ? Cela n'irait-il pas à l'encontre de la volonté égalitaire de notre seigneur commun et futur Comte ?
Sa seule réponse fut un air vicieux. Elle ne baissa pas le regard. Une première minute passa, durant laquelle ils ne cillèrent pas. Une seconde, plus difficile pour l'humain. Il céda le premier, les yeux rougis par le froid. Malgré sa victoire, Ombre le fixait toujours, de son regard le plus glacial. Mal à l'aise, l'humain voulut reprendre la joute silencieuse, avant de penser au temps qui s'écoulait. À son tour de faire un rapport.
Sans cesser de surveiller Ombre, il s'éclipsa. Pas une seule fois elle ne cilla. Une fois seule, elle laissa passer deux patrouilles avant de se faufiler sous les fourrures où dormait son seigneur. Lui méritait sa confiance, et la lui rendait. Un humain digne, comme il en faudrait plus. En sus, un humain respectueux.
Gérald s'éveilla avec sa belle Ombre ronronnante dans les bras, la tête sur son torse. Heureux, il l'étreignit. Tous deux savourèrent l'instant, et le firent durer autant que possible. Après quoi, la routine reprit le pas. L'heure du départ pour les terres maudites de Vorn arriva bien trop tôt, et la dragonienne sentit ses émotions de la nuit passée se coincer dans sa gorge en plus d'une occasion.
Pour ajouter du sel sur sa blessure, Obtèr les accompagnait à Vorn.
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