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   Je ne me souviens plus de ses mots exacts. La voix d’Aritz, c’était comme un courant souterrain. Il racontait par bribes, par poussées, comme un arbre avec sa vieille écorce. La plupart du temps, Aritz était intraduisible. Assis sur son radeau moussu, voici ce qu’il m’a raconté ce jour-là.

   Il a commencé en disant qu’il était comme moi autrefois : qu’il savait grimper aux arbres, qu’il courait dans les ruisseaux, qu’il faisait des ricochets sur le canal du village, qu’il avait peur des tiques, des loups et des pendules à coucou. Il faisait des batailles de bâton, comme un vrai chevalier. Il se battait, il riait, il étudiait, il était sage, parfois méchant ou ignorant, et puis son village est devenu une ville plastique, comme tous les villages. Avec les autres, il a emballé les fruits, les légumes, puis chaque brin d’herbe, pour la santé. Il a dit que ça crisse sous les pieds, que ça t’envoie des frissons dans le dos, mais, qu’au moins, ça ne salit pas les chaussures. Il m’a raconté l’herbe jaunie, les chardons séchés, les arbres déracinés, comme s’ils voulaient partir en voyage. Tout ça, je le savais déjà. Mais il a aussi décrit les bombes, puis les feux de forêt. Il a suivi les oiseaux. Au fil des déserts, il s’est perdu, il avait faim. Il a commencé à rêver de forêts et de fruits. On lui a donné une flûte parce que ça ne sert à rien, alors il a planté des graines et il a joué de la musique. Il m’a parlé d’une vieille légende. Il a dit : « Tu savais, toi, que les plantes aimaient la musique ? J’ai entendu ce vieux conte... Je ne sais pas si c’est vrai. J’ai essayé, mais je pense que c’est trop lent, par rapport aux explosions. » Il a dit que ses poches remplies de graines de fleurs sauvages se sont vidées, qu’il avait tout planté, dans toutes les failles, sans y croire et tout seul, parce que les bombes le suivaient. Il a volé les bidons d’une maison, quelques barres de clôtures, de la ficelle et il a construit son échappée. Il a marché jusqu’à l’océan. Il a traîné son radeau sur le banc de plastique flottant entre la plage et le large. Il a jeté son radeau à l’eau, et il a ramé avec sa guitare. Il a dit qu’il avait lutté dans les tempêtes, qu’il avait rongé les algues qui poussaient sur les bidons du radeau. Un matin, il a vu mon île. Il a ramé, ramé, ramé, les algues du fond des mers ont poussé son embarcation jusqu’à la plage. Il y a vu un coquillage et il a voulu grimper tout en haut de l’île pour voir l’horizon. « Voilà d’où je viens ». C’est ce qu’il a dit.

   Et moi, je n’ai rien répondu. À l’endroit où Aritz avait posé sa main, de minuscules fougères commençaient à pousser entre ses doigts.

Je croyais que les renards avaient disparu.

Et moi les hommes.

Je pense que ton île est magique, que tu as un pouvoir ou un savoir secret, qui t’a permis de conserver cette île presque intacte, ces arbres, ces animaux... Il y a même des fleurs, ici ! Je connais tellement d’histoires sur les fleurs, mais je n’en avais pas vu depuis… au moins dix ans.

Tu connais le langage des fleurs ?

   Je n’oublierai jamais le regard que m’a lancé Aritz à ce moment-là. Dans ses yeux, il y avait des idées. Ça pétillait.

Non. Raconte-moi.

   Je lui ai expliqué qu’on pouvait confier des mots (les trop difficiles à dire) aux fleurs, pour qu’elles les transmettent aux autres, en silence. On disait que les lys orange transportaient des insultes, que les roses déclaraient l’amour, que les violettes prouvaient l’humilité. Je lui ai dit que c’était un langage que plus personne ne parlait, que les fleurs aujourd’hui se taisaient ou qu’elles parlaient peut-être entre elles dans une langue secrète à laquelle nous sommes sourds.

   Aritz avait l’air émerveillé. Alors j’ai tiré sur sa manche et je lui ai montré toute mon île. Je lui ai réappris à grimper aux arbres, à caresser l’écorce, à marcher pieds nus dans la mousse, à plonger la main dans les ruisseaux, les pieds dans les flaques, à imaginer le destin des crevettes, à se méfier des sangliers. La forêt était déjà étrange, ce jour-là. Les feuilles frémissaient sans que le vent ne les agite, les troncs semblaient se courber sur notre passage. Quant à Aritz, je ne savais pas encore qu’il ne pensait qu’aux déserts, qu’aux forêts à y planter.

   Ce soir-là, on a regardé les poules grimper au grand chêne qui poussait près de la maison. Aritz entra et construisit dans mon salon un lit de branchages et de mousse pendant que je démantelais son radeau pour en dissimuler le plastique. Quand je suis rentrée, Aritz, se blottissait dans son coin feuillu comme dans un nid. Dans la pénombre, il me semblait voir poindre entre les branchages de sa couche de nouveaux bourgeons.

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