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Les animaux et la forêt suivaient Aritz, mais moi, j’ai appris à les écouter. Aritz ne remarque pas les traces. Les oreilles pleines de souvenirs de bombes, il n’entendait plus. Il ne prête pas attention aux cris. Il sème des graines invisibles par-dessus son épaule et la vie pousse, petit à petit. Les animaux le suivaient peut-être parce qu’ils sentaient la nourriture revenir dans son sillage ; eux, ils voient les empreintes.
J’ai commencé à vouloir entendre autre chose que mes propres pensées qui résonnaient dans mon cerveau comme dans une boîte d’échos. J’ai voulu remplir ma tête des voix des autres, de tous ceux qui m’entouraient, pour sonner plus juste.
Ce matin, j’ai entendu la cacophonie des oiseaux. Ça sonnait comme des appels ou des listes d’inventaire. Ils énuméraient. Je suis sortie et je les ai regardés partir. Êtres libres à l’ancrage flottant, allez-y. Allez trouver la terre, trouver les fruits, allez trouver l’endroit où vos nids ne se mettront pas à flotter un beau jour. C’est ce que j’ai pensé en voyant les rouges-gorges suivre les alouettes. Ils n’étaient pas navigateurs, ils étaient poètes et je les ai regardés écrire à coup d’apostrophes dans le ciel.
Tout à coup, j’ai remarqué le silence. Sans les oiseaux, l’île était presque muette. J’ai frissonné. Lorsque le dernier battement d’ailes a résonné, je me suis enfoncée dans la forêt. Je me suis couchée sur le trèfle, entre les arbres enlacés. J’ai écouté de toutes mes forces. Et ça craquetait. La terre buvait à mon oreille : l’eau s’écoulait entre les mottes de boues, entre les racines serrées qui tissaient dans le sol tout un réseau de messages. Je crois même avoir entendu la sève monter et descendre à l’intérieur des fleurs sauvages : comme un minuscule bruit de rivière. Mais ça ne sentait pas la vase, ça sentait le champignon et la douce matière en décomposition. Les palpitations de mon cœur s’accordaient avec les gargouillis de l’humus et, pendant un instant, j’ai cru sentir s’écouler dans mes veines une sève nouvelle. Bien sûr, c’était mon imagination. J’ai cru disparaître dans les hautes herbes et devenir, au lieu d’une proie pour les tiques, un témoin invisible. Bientôt, la faim palpitante dans mon ventre s’est apaisée. Comme un creux, elle s’est remplie de cris, de sève, d’atomes, de sang, de fourrure et de plumes, grâce à qui stridule, vrombit et bourdonne, à qui brame, chuinte et chicote et à qui tirelire, trompette, trille et turlute ; grâce à qui louvoie, se terre, se love, grâce à qui sinue dans la terre, dans la roche, pour éclore au jour ; grâce à qui survit.
J’ai écouté la mousse pousser, les spores des champignons se propager, les cellules minuscules s’entre-dévorer et puis mon propre souffle, l’air qui susurrait dans mes bronches, bronchioles, alvéoles. La vie. La vie si bavarde.
Avant de m'oublier complètement, je me suis relevée. C’était ça. Peu importe les tiques, qui déjà, sans doute, fouillaient un endroit de peau à percer, je devais vivre et j’avais raison d’être triste, j’avais raison d’être émerveillée. Je n’avais jamais bien pensé à elles qui attendaient sur les plus hautes branches avant de se laisser tomber avec espoir : maintenant, j’avais pitié de leur attente, de leur tragédie. Nous étions semblables.
Je n’étais plus la seule à parler, à écrire, à chanter. Tout allait mal, mais le soleil dansait encore avec l’océan, mais l’escargot continuait de porter son abri, mais mes poumons donnaient au monde leur bruit de vague. Et j’ai voulu m’arracher la peau : ça grattait, toute cette sève, tous ces bruits, tous ces insectes qui se permettaient de grimper à l’assaut de mon corps. Tous ces êtres qui venaient me dire que ce n’était pas mon île, que c’était une page sur laquelle on dessinait des traces bientôt englouties. J’avais découvert mon pouvoir.
Le soir venu, j’ai brisé le silence des oiseaux et j’ai raconté la magie à Ondine et Aritz. Ils m’écoutaient tous les deux, recroquevillés, les oreilles au plus près de ma bouche, comme si, en récoltant les mots dès qu’ils tombaient de mes lèvres, ils seraient plus clairs. Je leur ai dit que ce n’était pas un grand pouvoir, même pas un pouvoir utile. J’ai dit : « C’est humble comme un pissenlit dans une prairie remplie de fleurs sauvages. Mais ça respire, mais ça palpite, mais ça exprime. Ça vit et je sais l’écouter. »
Aritz pleurait, mais je savais que c’était pour autre chose. Mes mots tombaient dans son oreille, roulaient jusqu’à son cerveau, mais son imagination les tordait et mes phrases contribuaient à construire le monument qui grandissait dans son esprit et au-dehors. Il m’a dit :
— Il était temps.
Et j’ai compris ce que ça voulait dire. Il a joué de la musique tard dans la nuit. On a pleuré ensemble. Ondine s’est endormie. Moi, j’écoutais. Quand la guitare s’est tue, j’ai entendu la porte grincer. Il partait. Ce soir-là, je l’ai encore suivi. Je l’ai regardé travailler toute la nuit, sous le regard autoritaire du tigre, comme si c’était la dernière fois que je le voyais. Et au matin
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