- 8 -
La courte nuit laisse place au chant des oiseaux et à un soleil radieux qui nous réveille naturellement aux environs de 09h00. Les yeux à peine ouverts, Meg sort de son lit, les cheveux en bataille, et saute à pieds joints dans toute la pièce.
- Youhouhou ! C’était une soirée trop géniale ! Ooooh, mon dieu ! J’ai une tronche de déterrée.
Elle se passe le visage sous l’eau puis vient s’asseoir au pied de mon lit. Après les événements de cette nuit, il me faut un moment pour recentrer mon esprit et remettre la soirée d’hier dans son contexte.
- Ok, ok. Je sais que je l’ai déjà dit, mais… Ethan est trop craquant !
Heureusement qu’elle insiste longuement sur le mot « trop ». Personne n’a remarqué au cours de la soirée qu’ils en pinçaient l’un pour l’autre.
- Tu me l’as déjà dit au moins quinze fois sur le retour, ricanai-je.
- Ok, ok, je sais mais… Oh Abby, tu crois qu’il m’aime bien ?
À en croire les longs regards échangés et le nombre de bières qu’il lui a rapportées hier soir, il faudrait être stupide pour croire qu’Ethan s’intéresse à une autre qu’elle.
- Si tu veux, je vais le chercher et on lui demande. Je te rappelle qu’il loge dans le même bâtiment que nous, dis-je en me levant et en feignant d’ouvrir la porte d’entrée.
Elle saute du lit et me barre le passage de tout son poids.
- Non mais t’es malade ? Il va me prendre pour une folle si tu fais ça !
- Calme-toi ! Tu sais très bien que je ne le ferai pas !
Je ris de plus belle. Meg reprend son souffle et ses pupilles se rétractent, laissant apparaître le marron de son iris. C’est fou ce qu’elle peut être crédule par moments. De nous deux, elle a toujours été la première à croire tout ce qu’on lui disait, même les pires vacheries. Mais de là à penser que je pourrais oser lui faire un coup pareil et risquer de faire capoter les prémices de leur relation naissante, c’est un peu naïf et même légèrement vexant. Si je me fie à ses réactions, je peux affirmer avec une quasi-certitude qu’elle apprécie beaucoup Ethan.
Le dernier mec qu’elle avait rencontré était plutôt du genre mauvais garçon. Il portait tout le temps fièrement son blouson de cuir noir et ne mettait rarement autre chose que des chemises à moitié déboutonnées en dessous. Mais je pense que ce qui plaisait surtout à Meg, c’était ses cheveux noirs rehaussés de mèches bleues, ou parfois vertes selon son humeur. Cette relation avait heureusement pris fin assez rapidement quand Meg l’avait surpris en train d’embrasser à pleine bouche une inconnue sur le parking d’un centre commercial.
Le pire dans tout cela, c’est qu’elle l’avait cru quand il lui avait expliqué que « cette folle » lui avait sauté dessus alors qu’il tentait de la repousser. Je n’avais encore jamais vu un pareil menteur. Il avait fallu qu’on s’y mette à plusieurs afin de réussir à faire prendre conscience à Meg qu’elle était manipulée depuis le début de ce semblant de relation.
Après ça, mon amie était restée des mois sans rencontrer personne. Sa seule distraction était de s’évertuer à repousser tout homme tentant vainement de la séduire. Elle avait même brillamment repoussé Mark, un type adorable de notre classe, quand il l’avait gentiment invitée au cinéma.
- Bon, ok. Je vais me prendre une douche. Mais tu promets que tu ne vas pas le voir hein ?
Je ris de plus belle en la poussant du coude en direction de la salle de bain. Pendant qu’elle se prépare, je sors une jolie petite robe brune du dressing et la pose sur une chaise. Ensuite, je me plonge sur mon lit et sors enfin mon téléphone de mon sac.
- Abby ?
Une sensation de gêne me bloque la gorge quand j’entends la voix si familière de ma mère. Je lutte intérieurement pour contenir mes émotions.
- Désolée de ne pas t’avoir appelée plus tôt, mais la journée d’hier a été pas mal chargée en événements.
- Ce n’est pas grave, mais je me faisais du souci. Tu aurais au moins pu m’envoyer un petit message. Alors, raconte-moi tout… Vous êtes bien installées ?
J’entreprends de tout lui expliquer jusqu’à la soirée d’hier, en n’oubliant pas les jérémiades de Meg au cours du vol car elle souhaitait consommer plus de cacahuètes qu’elle n’en avait reçues. Je termine avec la découverte du campus et l’installation au studio.
Craignant le regard critique et sévère qu’elle peut porter sur chacune des relations que j’ai pu entretenir par le passé, j’évite pour le moment de lui parler prématurément de ma rencontre avec Connor et m’attarde plutôt sur celle de Meg et Ethan.
- On va bientôt partir d’ailleurs. On a rendez-vous à la sororité dont je t’ai parlée. Stacy et Olivia sont vraiment deux filles cool. Elles te plairaient.
- Tant mieux, ma chérie. Profite de ce moment et n’oublie pas mes conseils. Et au risque de jouer les trouble-fêtes, je te rappelle que les cours commencent dans quelques jours et je ne voudrais pas que tu te sentes fatiguée dès le début.
- T’inquiète maman, ça va aller. Oh et tu sais, je…
J’aimerais prendre mon courage à deux mains et lui parler de mon rêve et des notes que j’ai prises – elle serait d’ailleurs très heureuse d’apprendre que j’ai commencé à utiliser le dernier cadeau qu’elle m’a fait - mais la peur de me confronter à son jugement me retient. Sauvée par une situation que je n’attendais pas, j’entends à l’autre bout du fil qu’on sonne à la porte.
- Il faut que je te laisse. Amuse-toi bien ma chérie et surtout appelle-moi dans la semaine. Je t’embrasse.
Elle raccroche aussitôt et me laisse là, sur mon lit, seule avec mon incertitude.
Annotations