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Quand mes paupières se lèvent enfin, j’aperçois un ciel limpide, égayé par le chant des oiseaux. Quelques brins d’herbes viennent chatouiller mes narines et invitent une coccinelle à se promener sur le bout de mon nez. L’air frais a engourdi les extrémités de mes membres glacés. Les quelques petites gouttes qui se mettent à tomber me forcent à me lever. Je roule avec peine sur mon bras douloureux qui, en se réveillant, provoque un fourmillement lancinant jusque dans la nuque.

D’épais nuages envahissent l’horizon. Un peu plus haut, un chemin sillonne les collines en direction du nord. Au bout de celui-ci, je distingue trois grands saules majestueux qui étendent leurs bras protecteurs au-dessus d’une petite place circulaire. Des corneilles planent en cercle au-dessus de leur cime. Leurs craillements résonnent en écho au rythme de leurs battements d’ailes. Au centre d’une espèce d’arche de pierre, un halo sombre tournoie lentement.

L’odeur de la terre et celle de la pierre se mêlent à la douce caresse de l’averse. Mes jambes me guident à travers le couloir sinueux de pavés gris. Le temps que j’atteigne le dernier des innombrables virages, un lourd rideau de pluie s’abat sur moi. L’eau ruisselle sur mes cheveux tandis que j’approche enfin des saules.

À l’abri, adossée à l’un des troncs, je prends soudainement conscience de l’environnement qui m’entoure. Des nuances de bleu et de violet colorent les étendues sauvages, agrémentées de petites fleurs blanches disséminées un peu partout.

Comme attirée par un aimant, mon attention se fixe sur le cercle hypnotique dont le rythme s’est subitement accéléré. Une spirale aussi noire que l’obsidienne, irisée de violet, tournoie sans fin jusqu’à ce qu’une silhouette encapuchonnée apparaisse en son centre. Sa longue cape noire la suit, glissant lentement sur le sol à chacun de ses pas.

Il m’est impossible de distinguer les traits de son visage, mais la créature doit avoir senti ma présence car sa tête pivote brusquement dans ma direction. Ses yeux pénétrants, illuminés d’un halo violacé, m’hypnotisent. Une douloureuse pression s’exerce alors sur ma poitrine, me forçant à me plier en deux. Je me trouve quasiment à terre, immobile, incapable du moindre mouvement. Dans ma tête se mettent à résonner les notes d’une mélodie qui semble venir de loin. Alors que cette apparition tend lentement son bras squelettique vers moi, une main me tire énergiquement en arrière, avant de me pousser à courir pour m’entrainer le plus loin possible de cet endroit.

Après de longues minutes de course, nous nous réfugions dans un buisson. Le jeune homme aux traits familiers me fait signe de m’accroupir, puis il me prend dans ses bras et me serre tout contre lui. Les battements vigoureux de son cœur tambourinent dans sa poitrine entre deux respirations haletantes. Instantanément je me sens apaisée et en sécurité.

- Ne me fais plus jamais ça…

Des larmes perlent aux coins de ses yeux dont la couleur me rappelle la clarté du bord de mer. Il tente de reprendre son souffle, m’enserrant un peu plus fort. Une fois apaisé, il me fait signe de me taire et observe les alentours.

- L’Aura ne nous a pas suivis.

Un peu perplexe, je le questionne du regard.

- Le quoi ?

- C’était un Aura… Il faut les éviter. C’est tout ce que tu as besoin de savoir pour le moment.

Je voudrais lui demander ce que sont ces créatures, mais d’autres éléments perturbent ma pensée. Tout me semble familier autour de moi, pourtant quelque chose cloche. Je reconnais sa voix, je me souviens de ses traits, mais il m’est impossible d’expliquer pour quelles raisons je connais ces détails.

- Je m’appelle Abby, soufflé-je en lui tendant la main.

Ce nom familier s’impose à mon esprit, mais je suis incapable de lui dire quoi que ce soit d’autre à mon sujet.

- Matt, répond-il en m’aidant à me relever.

Matthew. Tu t’appelles Matthew… J’ignore pourquoi ni comment je le sais mais plusieurs souvenirs sont en train de refaire surface. Ça m’apparaît soudainement comme une évidence. Je l’ai déjà rencontré.

- J’ai l’impression de te connaître.

Il sourit.

- Plus tard, les questions.

Par prudence, nous traversons les bois avant de rejoindre un endroit que je reconnais instantanément. De l’herbe verte, cette fois, des rochers abruptes, l’océan et un banc se présentent à nous.

- Ici, on sera en sécurité.

Nous nous asseyons pour contempler le spectacle qui s’offre à nous. Les couleurs chatoyantes d’un magnifique coucher de soleil ondulent sur les eaux calmes de l’océan. La sensation qui me parcourt est indescriptible. Je me sens en sécurité. L’endroit me paraît étrangement familier. C’est à ce moment précis que je prends conscience de l’endroit où nous nous trouvons. J’ai le sentiment que mon esprit est en train de s’éveiller. J’ai l’impression que le brouillard qui envahissait ma tête se dissipe peu à peu. À mesure que les minutes passent, j’y vois enfin de plus en plus clair.

- Matt…

- Oui ? demande-t-il en relevant son menton appuyé contre ma tête.

- Matt, je me souviens. De tout…

- Je sais, me souffle-t-il en déposant un baiser contre ma tempe.

Je ne saurais expliquer ce qui est en train de se passer, mais je suis maintenant consciente d’être dans l’un de mes rêves. Le voile se lève peu à peu. Tout ce qui m’entoure m’est de plus en plus familier. J’ai déjà rencontré Matt en ces lieux. Tout ce dont j’ai déjà rêvé jusqu’ici, ainsi que tous les paysages que j’ai pu y découvrir me reviennent totalement en mémoire.

De longues heures complices s’écoulent avant que, une fois de plus, de sombres nuages commencent à se diriger vers nous. À nouveau, le grondement se rapproche de plus en plus. Un vent violent se lève et la foudre se met à déchirer les terres. Les traits de Matt blêmissent. Ses yeux écarquillés examinent avec attention la noirceur des cieux. Sans prononcer le moindre mot, il se lève, il saisit ma main et me guide à travers la lande. Cette fois, nous arrivons à nous éloigner suffisamment de la falaise avant l’arrivée d’un Aura. Nous sommes presque arrivés à la frontière d’une zone constituée majoritairement d’arbres et de roches quand soudain, je sens ses doigts s’échapper des miens. L’effroi qui m’envahit me fait comprendre qu’il est trop tard… Je me retourne juste à temps pour lire la terreur sur son visage alors qu’il chute dans un abime profond qui s’est formé sous ses pieds. Je me mets à genoux et je hurle son nom. Je l’appelle, encore et encore. En vain. Il a disparu dans le néant.

Alors que je me redresse, la peur me fige sur place. Sortis de nulle part, deux Auras m’entourent et me pointent du doigt. Une sensation pesante dans l’ensemble de mon corps me donne le vertige. J’ignore toujours ce qu’ils sont réellement, mais leur présence ne semble rien avoir d’amical. Ni leur allure, ni le sentiment qu’ils provoquent en moi ne sont rassurants.

Mes oreilles perçoivent à nouveau cette mélodie lointaine. Douce. Mélancolique. Elle s’amplifie jusqu’à se transformer ensuite en une espèce de cacophonie stridente et dérangeante. Les mains sur mes oreilles, je me mets à hurler pour couvrir le son assourdissant de ces plaintes que je reconnais enfin très clairement. Il s’agit de voix humaines.

Les Auras me touchent presque…

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