Chapitre cinq : Un petit triton découragé.
Amaël était prisonnier depuis maintenant quelques jours. Un quotidien s'était installé sur la petite île. Un jour sur deux, le jeune triton se retrouvait immergé dans le cube rempli d'eau de mer afin de le nourrir, et un jour sur deux, il restait sur la terre ferme sous sa forme humaine. Les nombreuses transformations que cette situation nécessitait étaient toujours exaltantes et observées par l'homme mystérieux qui ne se cachait plus et ne perdait pas une miette de ce qu'il se passait sous ses yeux.
Le triton ne savait pas s'il avait réussi à contacter une personne de son peuple qui aurait pu se trouver non loin de cette île, mais plus les jours passaient et plus il en doutait. Il pensait toujours à s'échapper de l'emprise de cet homme qui le retenait. Cependant, pour l'instant, il n'avait pas trouvé de quelle manière procéder.
Cet homme aux yeux qui s'illuminaient à certains moments... Il le surveillait, Amaël le savait. Il avait rapidement retenu les leçons des premiers jours et il sentait à présent son regard constant sur lui, qu'il soit physiquement présent ou non. Il l'observait comme le cobaye d'une expérience qu'il menait. Il ne lui avait fait à proprement parlé, aucun mal, mais il tentait certains tests, observait si des conséquences en découlaient et le retenait prisonnier contre son gré, ne se souciant pas de ses sentiments.
Il avait ainsi tenté de lui faire manger la même nourriture que les humains lorsque le triton était sous sa forme naturelle, mais également sous sa forme humaine, pour noter si son corps pouvait réagir de manière différente selon son apparence. Et les deux s'étaient révélés catastrophiques puisque le jeune triton avait tout vomi à peine avalé. Amaël avait accepté par curiosité mais l'avait vite regretté, vomir n'étant vraiment pas agréable... Cet homme l'avait aussi plongé dans une eau douce, une eau qui ne venait pas de l'océan, et le triton avait été très surpris de ne pas se transformer, de garder sa forme humaine. Il avait même failli suffoquer, ses branchies n’apparaissant pas ! Il avait paniqué et cet homme s'était empressé de le sortir du bac rempli d'eau avant de le prendre dans ses bras afin de le réconforter. Il l'avait câliné jusqu'à ce qu'Amaël se soit calmer. Il lui avait expliqué que cette eau n'avait pas les mêmes composants que l'eau de mer et que c'était pour cette raison qu'elle ne pouvait pas le nourrir ou le transformer, qu'il ne pouvait être lié à elle. Depuis, lorsqu'il était sous sa forme humaine, le triton devait se laver avec cette eau en compagnie de l'homme aux longs cheveux noirs. Et aujourd'hui était une de ces journées.
Dès que le soleil se leva, cet homme vint chercher Amaël et le sortit de son cube d'eau. Il n'avait utilisé sa magie pour l'en sortir, comme cela avait été le cas le jour où il avait assisté pour la première fois à la transformation du triton sur la plage, que lorsque ce dernier ne s'était pas laissé attraper. Et le triton n'aimait pas cela. Les picotements sur sa peau provoqués par le pouvoir de cet homme, la lumière intense et la perte de connaissance, même si elle était brève, lui faisaient réellement peur. Il ne contrôlait rien dans ses moments-là et il ne savait pas jusqu'où cet homme était capable d'aller. Et surtout, s'il pouvait choisir de le faire disparaître définitivement de cette façon ! Alors il ne soustrayait plus. S'il se laissait faire, cet homme le sortait de manière plus ordinaire puisqu'il prenait un assemblage de planches de bois espacées et attachées les unes aux autres avec de la corde qui les reliait toutes à deux longs bâtons en bois également, et il le plaçait contre le cube. Il montait ensuite dessus, ce qui lui permettait d'atteindre le haut de la paroi et d'attraper Amaël.
L'expérience de cette matinée était de voir combien de temps Amaël pourrait supporter de porter des vêtements, si la sensation sur sa peau allait lui paraître si désagréable qu'il finirait par les ôter. Le triton était donc vêtu d'une sorte de tunique blanche à manches longues et d'un pantalon de la même couleur. Il portait également des sandales en cuir marron foncé. C'était cet homme qui l'avait habillé lui-même. Il s'était aussi chargé de lui attacher ses longs cheveux roux sur la nuque avec une sorte de ficelle en cuir. Ainsi, le triton ressemblait à un être humain, à un très beau jeune homme au physique délicat. En le voyant, personne ne se douterait qu'il était bien plus que cela et qu'il n'appartenait pas à cette île mais à l'océan et ses profondeurs.
Amaël soupira. Il supportait très bien les vêtements, même s'il ne trouvait pas cela toujours très confortable par cette chaleur, le pantalon en particulier lui frottait l'entrejambe, mais rien de plus. Cet homme était aussi habillé, mais moins que lui puisqu'il ne portait qu'un pantalon noir et des sandales. Ses longs cheveux sombres étaient également attachés de la même manière que ceux du triton. Ils se trouvaient tous deux dans la forêt qui surplombait le centre de l'île. Ils marchaient à la recherche d'une plante spéciale dont cet homme avait besoin. Le triton avait du mal à suivre le rythme, il n'avait pas l'habitude de marcher aussi longtemps et n'en pouvait plus. Le corps en sueur, il finit par se poser sur une énorme branche d'arbre tombée sur le sol. L'homme se retourna alors et le fixa un moment.
-Tu es déjà épuisé, constata-t-il.
-Je ne suis pas un humain ! se défendit Amaël.
L'homme s'avança jusqu'au jeune triton. Il se baissa, releva le menton d'Amaël de sa main et posa brièvement ses lèvres sur les siennes.
-Tu as raison. J'aurais dû penser que tu n'avais pas l'habitude de marcher et que tu ne pourrais pas me suivre. La fleur que je convoite n'est pas loin. Je vais aller la chercher et je te retrouverai ici. Tu vas te reposer en m'attendant.
À peine ces mots prononcés, il se releva, mais avant de partir, il dit autre chose d'une voix devenue menaçante au jeune triton.
-Amaël, sache que si tu tentes de t'enfuir de nouveau, je te punirai.
Les yeux du triton flamboyèrent en entendant ces mots et ses poings se serrèrent.
-Je ne vous appartiens pas.
Les yeux de l'homme aux cheveux noirs devinrent dorés durant quelques secondes, manifestant ainsi sa colère et faisant tressaillirent la créature marine. Et sans qu'un mot ne soit prononcé, Amaël commença à ressentir des picotements sur sa peau, les mêmes que lorsqu'il se trouvait dans le cube. Il savait ce que ça voulait dire... Paniqué, il regarda son corps et comme attendu, découvrit qu'une lumière de plus en plus intense le recouvrait alors que les picotements s'intensifiaient. Un cri de peur déchirant se fit entendre à travers la forêt et un jeune triton disparut...
**
-Ne me provoque plus, Amaël...
Une voix... La voix de cet homme se faisait entendre dans sa tête... Quoi ? Le jeune triton qui se sentait épuisé, se força pourtant à ouvrir les yeux. Il était de nouveau dans la demeure de l'homme aux cheveux noirs et plus précisément sur son lit. Il se redressa d'un coup.
Était-il seul ? Il regarda autour de lui et tendit l'oreille. Aucun bruit. Mais... Il savait que cela ne voulait rien dire et qu'il était sans doute observé... Que devait-il faire ? Ses tentatives de fuites avaient jusque-là échoué lamentablement. Depuis quand se trouvait-il sur ce lit ? Cet homme ne se trouvait peut-être plus très loin à présent. Et il se sentait si fatigué... Les larmes aux yeux, désespéré, il se résolut à ne rien tenter et se rallongea. Des sanglots se firent entendre et mouillèrent le drap avant qu'il ne s'endorme quelques heures et ne soit réveillé par une délicate sensation, comme une caresse sur sa joue... C'était doux et agréable.
-Amaël, tu es réveillé ? Ouvre les yeux.
Cette fois-ci, cette voix ne résonnait pas dans sa tête, la présence de cet homme en ces lieux était indéniable, et le jeune triton fit ce qui lui était ordonné. Il était bien là, semblant satisfait, emplissant l'espace de sa forte carrure et de son aura si particulière. Des yeux sombres se plongèrent dans les siens, mais Amaël se sentait découragé et si triste qu'il baissa le regard. Il voulait se rendormir pour oublier sa situation.
-Tu n'as pas l'air bien. Je t'ai pourtant laissé dormir quelques heures, tu as dû récupérer.
Il ne semblait pas comprendre, ce qui mit le jeune triton en colère.
-Je veux rentrer chez moi ! Vous n'avez aucun droit de me retenir ici ! s'écria-t-il avant de se remettre à pleurer.
Un peu désarçonné, l'homme vint s'asseoir sur le lit et le prit dans ses bras. Il le laissa pleurer un long moment, sa tête posée contre son épaule, pensant qu'il en avait bien besoin.
-Fragile petit être, toi qui, il y a quelques jours, ne savais même pas ce qu'était de pleurer, tu n'arrêtes pas depuis que tu es en ces lieux... Je ne pensais pas que la perspective d'une vie à mes côtés te semblerait si horrible... commença-t-il d'une voix qui semblait un peu peinée lorsque les sanglots du triton se tarirent. Peut-être devrais-je te montrer que tout ne sera pas si sombre...
Sur ces paroles énigmatiques, il se leva, prit Amaël dans ses bras et sortit de la chambre. Il marcha un moment en serrant contre lui le jeune triton qui avait refermé les yeux. Ce dernier ne voulait pas voir ce qu'il allait lui faire, ce qui l'attendait. L'homme finit par s'arrêter et une odeur de fleurs parvint aux narines d'Amaël, mais celui-ci ne voulait toujours pas ouvrir les yeux.
-Amaël, je ne te ferai aucun mal. Ouvre les yeux, ordonna-t-il.
Quelque chose dans sa voix le convainquit et le triton fit ce qui lui était demandé. Il ne le regretta pas ! Sous ses yeux se présentait à lui une très grande salle au sol carrelé avec de belles pierres plates. Certaines surplombaient un trou creusé dans le sol de forme rectangulaire qui était rempli d'eau, de la vapeur s'en échappait. De très grandes plantes colorées se trouvaient contre les murs. Une machine était placée non loin de certaines. Elle intrigua Amaël qui l'observa un moment, car elle ressemblait à une cuve de forme ovale dans une matière qu'il ne connaissait pas. Et en dessous se trouvait un foyer à l'intérieur duquel des bûches brûlaient dans un feu vif. Une sorte de tuyau reliait cette machine au grand bassin. Impressionné, Amaël en déduisit qu’elle chauffait sûrement l'eau. Ses yeux semblèrent enfin s'animer et il regarda avec enthousiasme l'homme qui le tenait toujours.
-Tu vas mieux, on dirait.
Pour la première fois, ce dernier sourit d'un sourire gentil, sincère et lumineux qui fit accélérer le cœur du jeune triton.
-Nous allons nous baigner et je vais te faire découvrir les délices que ton corps, sous ta forme humaine, est capable de ressentir...
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