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Ça a commencé à merder quand le chiard s’est pointé à l’école publaïque et obligatoire. Parce que, même pour les nawaks, comme on les nommait pour ne pas les stigmatiser, l’école restait obligatoire. Une fois sur mille, ils en dégottaient un pas trop con et « ils » le propulsaient avec l’ascenseur républicain, histoire de se dispenser du moindre effort pour les autres. On s’en fout de ces histoires politiques. Bref, le premier soir, le gamin est rentré en demandant "Pourquoi les autres, ils z'ont pas d’ailes?". Il aurait pu anticiper, mais s’il fallait penser à tout, on n’est plus tranquille chez soi. Il fallut lui expliquer gentiment que ces questions à la con n’avaient aucune importance, que chacun est comme il est et que les autres sont tous anormaux !

— En plus, il faut absolument respecter leur différence, c’est leur droit et leur liberté.

— Mais, pourquoi, si t’es mon papa, tu n’as pas d’ailes ? T’es anormal aussi ?

Une baffe tenta une remise des choses en place. Le respect, ça s’éduque ! Le môme ne lâchait rien.

— Alors, c’est maman qui avait des ailes ? Elle est où, maman ? Les autres, ils ont tous une maman !

— Normal, puisqu’ils sont tous anormaux.

— Donc, toi, tu as une maman, puisque tu es anormal. Elle est où ?

Une torgnole acheva la discussion : la logique des enfants est infernale. Il regretta son geste devant les pleurs, toujours un peu exagérés, de l’enfant. Il était son capital, sa vie luxueuse de demain, il devait encore en prendre soin, même si, sérieux, le mouflet commençait à le gonfler. Son paradis, avec son ange, il l’aurait mérité !

Ça devenait ardu. Il eut l’idée de confectionner une sorte de sac à dos qui masquait la difformité en la protégeant, tout en répandant la consigne qu’Uriel souffrait du dos et qu’on ne devait pas le lui toucher. Il lui apprit aussi à crier : « Inclusion, inclusion ! », comme tous les petits nègres, débiles ou pédés qui s’en prenaient plein la gueule, avec raison. Quelques discrets, mais bien appuyés, coups de pied au cul des morveux harceleurs et rétifs à la comprenette permirent de passer le cap. Pas plus difficile que ça. Il avait suivi son instinct, sans demander à LIA ce qu’elle en pensait.

Parallèlement, il fallait commencer à préparer l’artiste pour son rôle. Donc, le soir, il prenait grand soin pour dégager les ailes, aider Uriel à les déployer pour se les dégourdir. Chaque fois, il se demandait si son imbécile de fils se mettrait un jour à voler, car Uriel ne semblait pas y penser, malgré les injonctions quotidiennes, qui se terminaient invariablement par des pleurs. Le mieux était de trouver un promontoire, de faire grimper le gamin dessus, et de lui donner de l’élan avec un bon coup de pied au cul. LIA avait expliqué que les oiseaux apprenaient à voler à leurs petits de cette façon. C’est ce qu’il avait retenu.

Comme aller dans la campagne ou en forêt était trop compliqué, il pensa au toit de l’immeuble. Il y était monté une fois, gamin, et il se souvenait de plein de trucs bizarres, qui devraient faire l’affaire. Une fois arrivés au sommet, discrètement, il commença à courir avec lui, en le forçant à battre des ailes. Cela amusa Uriel, mais il ne décolla pas d’un centimètre. Gérard repéra alors une construction d’un mètre de hauteur, invitant à l’expérience, et pas trop large pour qu’il ne puisse pas s’asseoir. Il hissa son gamin dessus, lui intima d’ouvrir grand ses ailes, et le poussa. Les hurlements d’Uriel prouvèrent que ce n’était pas la bonne idée. Gérard, à bout de nerfs, se retint pour ne pas le balancer du haut de la tour. Quarante mètres pour se décider et trouver le moyen de voler, c’était faisable. Pris de doute sur la volonté du gamin à faire plaisir à son père, il se retint, au dernier moment, comprenant dans un éclair de lucidité qu’il y avait un défaut de conception : ces ailes étaient purement décoratives. Son imbécile de mère avait bâclé le travail. Une fois sa rancœur passée, il reprit ses plans : après tout, même sans voler, le petit ferait son effet ! Il faudrait juste le montrer sans vêtement, pour prouver l’absence de trucage. Et puis, un gamin à moitié nu, ça émoustille le public, toujours prêt à fondre sur l’innocence, pour l’embrasser, et plus en cas de religion.

Ce qui lui posait un énorme problème, c’était le sexe, car, à force de harceler LIA sur le sujet, il avait appris que les anges n’ont pas de sexe, même s’il n’arrivait à visualiser ce qu’était une absence de sexe. Or, Uriel avait un appendice ! Même un gros, un énorme phallus pour un enfant mâle. Au moins le pénis, car au-delà, il n’avait pas trop investigué, même en changeant ses couches. Pour le reste, comme pour tous les gamins, avec une bonne bouille et des cheveux longs, chacun pouvait voir ce qu’il voulait et donc l’absence de sexe. De toute façon, on verrait bien si cette histoire de zizi avait de l’importance.

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