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Uriel était encore sonné, malgré la diminution des doses de morphine, mais avait repris visage humain. Pendant tous ces mois, Hector s’était embêté comme un rat mort, d’autant que les portes du désert sont peu propices aux petits ruisseaux sur lequel on peut faire tourner des moulins. Il avait été interdit de visite à l’hôpital, mais il savait ce que son copain avait subi. On avait omis de lui dire pour la reprogrammation génétique, épisode totalement effacé de toutes les mémoires physiques, virtuelles et biologiques.
Quand on lui annonça le retour d’Uriel, Totor sauta de joie ! Il s’attendait à un changement, mais fut ému en voyant la nouvelle figure de son ami ! Exactement ce qu’il espérait, avec cette touche lagomorphe, malgré ses chairs encore légèrement bouffies. Il lui sauta au cou, sans bien discerner si c’était pour fêter la fin de sa solitude ou son adoration pour cette figure. Par la suite, Uriel ne comprendra jamais cette adoration que lui montrera Hector, puisque lui-même n’avait jamais attaché la moindre considération à son physique, en ayant la gloire permanente.
Le programme avait été établi, finalisé, validé, les costumes étaient prêts et plaisaient beaucoup aux deux adolescents, pressés de reprendre une activité distrayante : ne manquait que la date et le lieu du retour, sujet de grands débats. L’évidence et la simplicité auraient voulu que ce soit au beau milieu de Rome, rendant ainsi son faste à ce lieu symbolique. Par nature, une fraction s’opposait, sans vraiment de raisons.
Tandis que le SAS s’emmêlait les neurones à trouver le bon endroit, un évènement tragique mit fin à ses tergiversations : le vieux monastère fut l’objet d’une attaque.
Les assaillants, tout de noir vêtus, des kalachnikovs d’un autre âge à la main, le visage cagoulé, n’avaient qu’une faiblesse : ils n’avaient pas le plan des lieux et encore moins la localisation de la cible, pour autant qu’ils en aient eu une. Ils se perdirent dans l’abbatiale, le cloître, s’éparpillèrent entre le cellier et la salle capitulaire, avant de tomber sur les cellules. Faute de temps pour identifier les personnes, ils mirent à mal tous les couples qui occupaient sagement les cellules, rendues très confortables avec les sanitaires, l’air conditionné, les matelas à eau et la boîte à ordures autotrieuse. Uriel et Hector ne s’aperçurent de rien, endormis dans le scriptorium, la seule pièce ayant la télévision. À cet âge, un enfer ne les réveille pas ! Heureuse innocence.
Comme tous les vivants avaient rejoint un monde meilleur, les deux gamins durent se préparer eux-mêmes leur petit-déjeuner, après avoir enjambé les corps et évité les flaques de sang glissantes. Ils parlaient tranquillement des émissions quand les secours déboulèrent. Sans explication, ils furent emmenés plus au sud, cette fois en plein désert, dans la région de Naples.
Les nombreuses enquêtes externes et internes ne purent jamais identifier les assaillants. Certains pensaient à des hommes de HDP, en roue libre depuis le démantèlement du groupe, pour se venger de leur misère. D’autres, perclus de leur haine ancestrale, penchaient pour des sbires des Mahométans réformés : la méthode ressemblait par trop a leurs façons d’agir avant leur Réforme. l pouvait s’agir simplement de terroristes indépendants, à la solde d’une idéologie, rémunérée ou non.
La véritable question, non résolue bien entendu, restait comment ils avaient été renseignés du lieu. L’Ange était oublié depuis plusieurs mois et sa pérégrination vers la Toscane effacée depuis longtemps. Pour la NEC, seule une fuite pouvait être à l’origine de l’information. Les clercs et serviteurs ayant été massacrés, le ou la fautive se trouvait justement châtiée. Il pouvait aussi s’agir d’un membre du SAS, non présent à l’abbaye ce soir-là, par un heureux hasard. Les survivants furent démis de leur fonction, inquistionnés, avant de voir leur mémoire effacée. Le service interne de protection avait acquis un grand savoir-faire dans les éteignoirs à scandales.
La poursuite de la logique débouchait ensuite sur une taupe ! Une seule personne correspondait à ce rôle.
Heureusement, Matou n’avait pas la langue dans sa poche et elle eut vite fait de leur démontrer l’inanité de leur stupidité.
Il fallait avancer ! L’affaire fut close, passée en pertes. Un nouveau SAS fut nommé, toujours en respectant les obédiences, les chapelles, les genres et les influences.
Malgré les conditions climatiques et politiques, la vie se maintenait tranquillement dans la grande ville, sous la direction de la Camora, très présente également dans les hautes sphères de la NEC. Dans ce fief, ils étaient à l’abri. Pour faire bonne mesure, Matou et Gérard y furent également rapatriés, malgré leurs protestations : cette vie de reclus ne correspondant plus à leur standing actuel. Jason suivit sa belle avec plaisir, certain d’apprendre des techniques financières innovantes auprès de ces protecteurs imposés.
Le nouveau SAS buta à nouveau sur le pénis d’Uriel, puisque les réflexions précédentes avaient été menées out-of-record, compte tenu de leurs possibles incidences théologiques : si les anges ont un sexe et se reproduisent, quel est le rôle du Créateur ?
Cet attrait pour cette singularité était fort compréhensible pour des clercs de la NEC. Uriel et Hector étaient beaucoup trop jeunes et ignorants pour connaitre l’histoire des dernières décennies. Les scandales supposés (les jugements n’ayant pas encore eu lieu, près de cinquante ans après, la prudence reste nécessaire) sur de jeunes garçons avaient épuisé cette vieille religion qui avait dirigé spirituellement le monde durant la vingtaine de siècles précédents. Une désaffection incompréhensible des fidèles s’en était suivie, plus prompts à suivre des religions plus rigoristes, surtout avec la nouvelle morale qui ne tolérait plus les déviants de la nature, écologie et biodiversité obligent.
Le rachat de cette structure ne fut pas un étonnement : il y avait du patrimoine à mettre en valeur. Son portefeuille de clients, de fidèles plutôt, ne demandait qu’à être réactivé par des opérations commerciales et spirituelles. Les nouveaux propriétaires comprirent vite qu’il leur fallait moderniser le fonctionnement, donc les règles de management. Ils s’attaquèrent notamment à deux principes essentiels. Le premier fut de restreindre la notion de chasteté des clercs aux rapports susceptibles d’être progestatifs. De toute façon, le droit à l’enfant interdisait toute naissance non autorisée. Une lecture attentive de cette règle sous-entendait que tous les autres rapports étaient possibles, quelle que soit leur nature, y compris leur absence.
Tous ceux qui souffraient des actuelles normes morales sentirent la force de cette ouverture.
Le second changement concernait le célibat, opposé au mariage, entendu comme la reconnaissance officielle d’une union. Le maintien du célibat pour les religieux n’interdisait donc en rien la vie en couple ou en communauté. De plus, l’interdiction de reconnaissance incitait aux changements fréquents, ce qui évitait la lassitude, si courante.
Enfin, la nouvelle loi de laïcité donnait tous les pouvoirs aux instances d’une religion sur leurs religieux, dès lors qu’ils étaient libres de choisir ou de quitter le sacerdoce. Une vague de vocations déferla sur la Nouvelle Église Convergente, multipliée par celle des fidèles, puisque ces adeptes trouvaient des officiants épanouis et heureux de leur sacerdoce. La NEC gagna ainsi de nouvelles parts de marché, d’autant que les circonstances extérieures broyaient les derniers réfractaires à la religion. Cette période, connue maintenant sous le nom de Grand bond en avant, ne se heurta qu’à l’hostilité de la concurrence.
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