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Suzon ne doutait de rien. Elle croyait les hommes et les femmes de bonne volonté, juste corrompus par la société. Elle voyait le Monde dans un triste état, mais se persuadait qu’on pouvait le changer. Elle débordait de bienveillance, de gentillesse, et d’amour pour Hector. Plus succinctement, elle était jeune et voulait tout améliorer pour vivre dans un monde meilleur.
Avec la force de sa présence et les foules qui l’adoraient, l’Envoyé pouvait renverser les forces néfastes et négatives pour offrir, enfin, le bonheur à l’Humanité. Hector suivait, les yeux admiratifs, Uriel par habitude, Tancrède par fascination et Matou gérait, par nécessité. À vrai dire, elle avait des élans de tendresse pour cette fougue juvénile, regrettant amèrement de ne plus y croire.
Leur repère, une ancienne forteresse médiévale aménagée luxueusement, était au bord d’une mer, à la limite du désert. Les jeunes découvrirent le plaisir de la baignade dans ce lieu protégé. Uriel déployait ses ailes pour se laisser porter par l’eau. Hector avait retrouvé le plaisir de ses petits moulins. Les trois garçons, libres de tout souci, s’amusaient, conduits par les deux femmes.
Les parents d’Hector exultaient, n’ayant jamais eu à gérer de telles sommes pour leur compte. Ils venaient de découvrir la gestion en « bon père de famille », tellement différente de la précédente, quand il ne s’agissait que de spéculer avec la fortune des autres. Ils étaient devenus regardants sur chaque dépense, ce qui énervait Matou, indifférente aux sommes engagées. Un beau jour, elle leur remonta les bretelles, en leur expliquant que gérer, c’était bien joli, mais qu’ils feraient mieux d’exploiter le filon. En effet, avec l’arrêt des prestations et la vente des médailles toujours assurée par la NEC, il n’y avait plus de rentrées, alors que les frais couraient toujours.
L’affaire des médailles fut rondement menée. Récupérer la frappe et la distribution selon des voies officielles aurait pris trop de temps. Matou lança une nouvelle gravure, avec l’Ange d’un côté, Hector et Suzon l’entourant côté face. La distribution était prête quand une rumeur dévasta les réseaux : les médailles émises antérieurement, sans précision, contenaient du rhombodinium rétroactif (note : vérifier la pertinence du mot). D’autres sources indiquaient que le rhombodinium, associé à un métal, tel que le plomb-uranium, pouvait déclencher des crises d’urticaire, d’humeur et toutes sortes d’autres malheurs, listés sans fin, pires que les ondes électromagnétiques, heureusement interdites. Ce qui s’avéra exact, puisque cela déclencha une nouvelle crise des médailles, puis économique. Le système s’était habitué à la spéculation sur ce produit et seuls les imbéciles furent ruinés, ce qui validait la main obscure des marchés dans la culotte de Darwin : seuls les forts survivaient.
Les premiers messages étaient simples, reprenant les anciennes antiennes. « Aimez-vous les uns sur les autres » (penser à vérifier l’exactitude de la citation /note de LIA), « Faites l’amour, pas la guerre », associées avec des connotations curieuses : « Seule la lutte paie » « Anarchie vaincra » « Battons-nous pour des lendemains radieux », « Halte au racisme », etc. Tout le salmigondis des jeunes intellectuels, cuisinés avec force condiments.
La machine était prête. Matou avait engagé une armée de gestionnaires pour organiser une tournée mondiale. La PAV avait érigé l’Envoyé en icône nationale et avait prêté ses moyens pour outrepasser les restrictions aux déplacements. Moyennant quelques entrevues, largement diffusées, montrant la Guide et l’Envoyé paraissant avoir des échanges intenses. Uriel avait pris l’habitude de hocher régulièrement la tête, dépassé par des mots incompréhensibles et un ennui incommensurable.
Le retour de l’Ange était annoncé et attendu.
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