Julien
Il y a des jours où son corps se traîne, tant de soirs où Julien se sent las. Cela n’a rien à voir avec un manque de volonté ou une absence de désir. L’envie est là, toujours, mais hélas trop souvent effacée par une fatigue quasi constante.
Eh bien, il a quoi l’auteur ce matin ? Tu as décidé de faire chialer les derniers lecteurs qu’il te reste, c’est pas possible autrement. Si tu prévoyais de leur raconter une petite histoire amusante, ça démarre mal.
Julien a tellement la manie de vouloir se montrer fort quand il est fragile, que les autres finissent par se fier aux apparences. Et son arme absolue pour y parvenir, c’est le rire. Rire pour illusionner. Faire rire, même dans ces moments où au fond de lui tout n’est que sanglots.
Voilà, le rire, c’est plutôt l’humour ton truc, alors ne va pas nous emberlificoter les neurones avec des chialeries.
Entre l’heure où Julien s’ennuie à mourir et l’heure où parfois il attend de mourir, une vie de souvenirs tourne dans sa tête peuplée des personnes croisées tout au long de son existence ; chacune d’elles, au fil des rencontres, a fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui.
Tu fais dans la philosophie, maintenant ? Un philosophe du dimanche et des jours fériés !
Je te vois sourire, j’ai donc raison. Allez, reprends-toi, crois-moi, ça vaut mieux… pour tout le monde.
Ce matin, Julien voit un rhumatologue. Six semaines d’attente pour obtenir ce rendez-vous. Mais ce n’est pas le plus long : pour un dermatologue, il faut plus d’un an. On a le temps de développer quelques cancers, pense-t-il en passant ses doigts dans ses cheveux grisonnants.
Encore un petit effort, brave auteur, j’ai pas encore franchement envie de me rouler par terre.
Tout fout le camp, se dit-il, avant d’ajouter : c’était mieux avant. Mais c’est normal, avant j’étais jeune, alors bien sûr, avant c’était mieux. Et il en sourit.
Julien patiente dans la salle d’attente. C’est la première fois qu’il consulte un rhumatologue. Son père lui revient en mémoire ; le pauvre homme souffrait d’arthrose chronique.
Depuis peu, Julien a atteint l’âge qu’avait son père à sa mort. C’est étrange, avait-il alors songé, je suis désormais plus vieux que mon père.
Oh non, il continue ! Tout le monde a compris que ton Julien était un barbon, inutile de tourner encore la cuillère dans le pot à larmes de Cosette.
Le docteur Luc Ratif vient d’inviter son patient à lui expliquer ce qui l’amène dans son cabinet.
Luc Ratif ? Bof…
— Eh bien voilà, Docteur, je ressens de fortes douleurs dans la jambe droite.
Le médecin examine la jambe, la palpe du haut de la cuisse à la cheville, puis pose son diagnostic.
— Vous savez, ces douleurs sont principalement dues à l’âge. Votre jambe n’est plus toute jeune, tout comme vous.
— Ah… Je comprends, oui, mais il faudrait alors que vous m’expliquiez pourquoi ma jambe gauche ne me fait pas souffrir, elle est pourtant aussi vieille que la droite.
Tout ça pour en arriver là ?!
Annotations