Tout fout le camp
Tout fout le camp, même les meilleurs souvenirs se font la malle, un jour ou l’autre. Ils ressemblent à ces vieux cerfs-volants en papier de soie, pressés de rejoindre le bleu du ciel, dès leur ficelle lâchée. Nous nous émerveillons à les voir monter là-haut, si haut, guidés par le souffle du vent. Une fois totalement disparus, une tristesse surgie d’on ne sait où nous étreint, qu’aucun mot ne peut consoler.
Mutins et espiègles, les souvenirs jouent à cache-cache et finissent par s’enchaîner à nous en une ronde joyeuse, ou nostalgique, selon notre humeur du moment.
Angèle les entend souvent sauter à cloche-pied ou à saute-mouton, ou rouler des mécaniques telles des billes d’agate prêtes à tout pour se payer les plus beaux calots.
Certains souvenirs se cognent à chaque coin de sa tête ; boules de flipper déchaînées, cherchant à péter la vitre du billard électrique où on les a enfermées.
D’autres souvenirs exécutent quelques sauts périlleux, comme ces osselets en métal rouge lancés en l’air avant de retomber sur le sol granuleux de la cour de l’école, où, toute môme, elle s’écorchait les genoux.
Pourquoi tout s’en va et rien ne dure ? Jamais Angèle n’a réussi à trouver une réponse à cette question, ni une explication à ces expressions toutes faites, prononcées d’une voix aussi résignée que désenchantée : c’est la vie ! On n’y peut rien ! C’est comme ça !
À peine a-t-elle eu le temps de saisir toutes les règles du jeu, que déjà sa partie se termine. Elle a pourtant tellement envie de continuer de jouer, longtemps. Découvrir d’autres marelles en craie blanche, atteindre des cases ciel inconnues. Mais surtout, avant que sa lumière s’éteigne, Angèle aimerait savoir ce que sont devenus ses vieux cerfs-volants.
Annotations