Tic-tac

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Tic-tac, tic-tac, tic-tac… Dring ! La fin de ma nuit est arrivée. La bouche pâteuse et le corps aussi inutile qu’un TGV bondé de types en costard cravate, j’émerge.
Mais pourquoi j’ai encore programmé ce foutu réveil ? Je ne bosse plus, j’ai été remercié – lourdé, quoi – il y a onze mois comme mes collègues agents de production de l’atelier AV-11.

Agent de production, ça en jette, non ? Quand je pense que mon père, au même poste que moi il y a quarante ans, n’était que simple ouvrier à la chaîne, ça change vraiment la donne.
Ma mère, d’abord femme de ménage, avait été rebaptisée technicienne de surface ; une promotion tout en douceur qui n’avait pas ajouté de zéro à sa fiche de paye, ni soulagé ses douleurs lombaires.
Pareil pour mon pote Fred, naïvement je le croyais jardinier à la ville, alors que pas du tout. Sa besogne consiste à aménager et embellir les espaces verts publics. Un langage fleuri au service des citoyens.

Agent, technicien, opérateur, chargé de mission, assistant, collaborateur…, des titres ronflants imaginés par des énarques pour flatter l’ego des laquais et occulter les inégalités.
Au quotidien, ce vocabulaire prétentieux n’apporte rien de plus aux pauvres ; pardon, aux revenus modestes.
L’euphémisme et le politiquement correct poursuivent leur essor et leurs efforts pour nous peindre une hiérarchie propre et aseptisée en cachant sous le tapis les réalités dérangeantes.
Nous, ouvriers qui n’avons jamais mis les pieds sur les cases bleues du Monopoly, sommes devenus acteurs du travail. Je me demande si les caméras braquées sur nous en permanence n’y seraient pas pour quelque chose. J’aurais dû penser à poser la question à notre agent de maîtrise, sorte de metteur en scène en chef, délégué pour établir la liaison entre les comédiens-larbins, au turbin pour un salaire misérable, et les producteurs de tout ce cinéma, tous occupés à compter les talbins de la recette.

L’année dernière, suite à l’annonce de notre licenciement, on avait eu un entretien avec un psychologue, pour nous apprendre à, je cite : « gérer notre émotionnel ». Autrement dit, à rester calmes face à, je cite encore : « la regrettable et fâcheuse situation que l’obligation d’un ajustement des effectifs nous contraint à vivre ».
Ah il m’a entendu le petit xyloglotte freudien ! Il lui suffisait de nous expliquer simplement qu’à cause de l’incompétence des bourrins chargés de gérer l’usine, on était tous débarqués.
Puis, s’ils veulent que les acteurs restent calmes, faudrait qu’ils arrêtent de se payer leur tête. Après ils s’étonnent que certains commettent des actes hostiles – en d’autres termes, leur rentrent dedans.

Tic-tac, tic-tac, tic-tac… Dring !
Il me semblait pourtant l’avoir arrêté celui-là. Il m’énerve tous les matins avec sa façon d’insister, son air de dire qu’il est temps que je me bouge et m’habitue à la novlangue, si je veux éviter de péter un câble.
À la fin du mois, mon bail aura expiré. Et hop, plus de logement. Les propriétaires se méfient des gens en recherche d’emploi – des chômeurs – surtout les sans-travail à la cinquantaine bien sonnée comme moi. Voilà pourquoi il me reste onze jours pour me trouver un toit pour dormir, enfin, une structure d’accueil.

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