11.01.21

Wymountain school, London, 08:15 am.

Assis sur ma chaise, les pieds sur mon bureau, je tente autant que possible de lutter contre un mal de crâne qui me vrille le cerveau. J'ai camouflé mes yeux injectés de sang derrière une paire de lunettes de soleil noire pour me protéger de la lumière artificielle qui agresse mes iris. Je bascule ma tête en arrière et souffle bruyamment. Bon sang, les cours n'ont même pas commencé que j'en ai déjà marre.

— Liam ! s'élève alors une voix haut perché dans la classe.

Je me redresse et regarde Luna qui s'avance vers moi. Elle pose son sac de cours hors de prix sur ma table et tire la chaise derrière elle pour s'asseoir en face de moi.

— Oulah ! T'es sorti, toi, hier.

Ce n'est pas un reproche. Juste une constatation.

— Ouais, et j'aurais peut-être pas dû.

— Allons donc ! s'écrie-t-elle en replaçant ses longs cheveux bruns sur son épaule d'un geste de la main. T'aimes trop sortir pour t'arrêter.

Elle n'a pas tort. Je souris et relève mes lunettes sur ma tête.

— Raconte-moi tout, exige-t-elle. Il était comment cette fois-ci ?

Elle me scrute de ses yeux bleus, attendant impatiemment la réponse. Un gloussement franchit mes lèvres. Évidemment, Luna n'y allait jamais par quatre chemins.

— Je ne sais plus trop, avoué-je. Brun, peut-être grand... et plus vieux que moi.

— J'espère que t'as pris ton pied.

Je hausse les épaules.

— C'était cool. Mais j'ai connu mieux au niveau taille, si tu vois ce que je veux dire...

Son rire résonne dans la salle, s'attirant les regards des élèves autour. Luna s'arrête soudainement et leur jette un regard froid.

— Un problème ?

Aussitôt, tous se détournent.

— Ah, vous êtes ici !

Chloe fit son apparition à l'entrée de la classe. Je ne peux pas m'empêcher de penser que si je n'étais pas homo, cela ferait longtemps que je me la serais tapée. C'est une véritable beauté : blonde aux yeux bleus, poitrine développée. Elle est gracieuse, élancée, ravissante. À l'instar de sa meilleure amie, elle a le même caractère, bien que plus posé.

— Bitch ! s'exclam Luna lorsqu'elle nous rejoint.

Les deux filles se claquent la bise. Je me redresse pour l'embrasser à mon tour, avant de retrouver ma position nonchalante.

— Pourquoi êtes-vous déjà dans la classe ? On a encore un peu de temps devant nous, et Tobias vous attend dans le couloir.

Elle jette un regard à sa petite montre en or à son poignet pour appuyer ses dires. Luna se tourne vers moi.

— Tu vas pouvoir te lever ?

— Pourquoi ? demande Chloe. Il est encore sorti en boîte hier ?

— Évidemment, répond Luna, comme si c'était une évidence.

— Hé, je suis là les filles, protesté-je.

Luna se saisit de son sac à main et le coince dans le creux de son coude.

— Aller, viens. Rien que d'être dans cette salle m'angoisse déjà, s'exclame-t-elle en regardant dédaigneusement les élèves autour d'elle.

Dans un grognement, je quitte la seule position à peu près confortable que j'ai trouvée quelques minutes plus tôt. Je prends mon sac posé au sol et le bascule sur mon épaule avant de leur emboîter le pas. Leurs jupes bleu turquoise, assorties aux blazers de leurs uniformes, battent contre leurs jambes nues tandis qu'elles marchent d'un pas léger vers la sortie.

Une fois dans le couloir, nous nous dirigeons sans hésitation vers les petits canapés installés non loin. Cet endroit est le nôtre et nous avons l'habitude d'y flâner lorsque nous n'avons pas cours. Appuyé contre le mur, Tobias nous attend, pianotant sur son téléphone, le dernier en date. Il lève le nez quand il nous entend arriver.

— Ah, vous voilà enfin !

— Tu vas pas le croire ! Liam était déjà en classe, il attendait le début du cours, s'exclame Luna en s'asseyant.

Elle croise immédiatement les jambes et appuie sa main sur le canapé. Chloe prend place à côté, son sac posé près d'elle. J'entrechoque mon poing contre celui de mon meilleur ami.

— J'ai un mal de tête pas possible ! grogné-je comme explication.

— Tu aurais dû me demander de venir avec toi, si tu voulais sortir.

Je m'adosse au mur.

— C'était une envie sur un coup de tête, j'allais pas te déranger pour ça.

— C'est surtout qu'il s'est envoyé en l'air !

Un sourire se dessine sur les lèvres de Tobias sous la réplique de Chloe.

— Le contraire m'aurait étonné.

Il passe distraitement une main dans ses cheveux bruns coupés court. C'est un geste inconscient. Sûrement une habitude prise quand il les avait encore longs, avant qu'on ne les lui coupe pendant les vacances de Noël.

Nous restons silencieux et regardons les élèves se rendre peu à peu à leurs cours. Luna pianote sur son téléphone et seuls ses faux ongles brisent le silence. J'aperçois au fond du couloir un groupe de gars. Un sourire me mange les lèvres. Je m'en suis tapé deux sur les cinq. Je ne sais même pas si leurs amis sont au courant pour leur bisexualité plus que flagrante. Mais d'après les souvenirs que j'ai de nos parties de jambes en l'air respectives, j'espère de tout cœur qu'ils savent mieux s'y prendre avec les filles.

La sonnerie finit par retentir et nous nous en allons à contre-cœur en cours.

XXX

— Nan, mais vous y croyez, vous ?

Luna crie presque dans le couloir à la sortie de la salle, s'attirant une nouvelle fois des regards curieux. Bien entendu, elle n'avait pas attendu la fin du cours pour exprimer son total désaccord.

Il faut dire que je partage son avis.

— Je suis d'accord avec toi, c'est totalement débile.

— Plus que débile même ! La réputation de ce lycée va en prendre un coup. Et il est hors de question que je fréquente ce type de personnes. De toute façon, mon père ne voudra pas, il va bien réussir à mettre la pression au directeur.

— Je ne pense pas qu'il y arrive, l'interrompt Chloe. Le conseil d'administration lui-même a proposé d'offrir une bourse à ces deux élèves.

— Sauf qu'on doit avoir notre mot à dire, c'est nous qui payons leurs salaires, renchéris-je.

On venait tout juste d'apprendre que le lycée avait attribué une bourse à deux élèves du lycée public d'à côté pour venir étudier ici. Et bien sûr, c'est nous qui devons nous les taper le reste de l'année. L'attribution de cette bourse sert juste à montrer un lycée accessible à tous. Des foutaises. Plus tu payes, mieux tu y arrives. Si on commence à aider les pauvres, ils finiront à coup sûr par nous sucer le sang jusqu'à la moelle.

— Je vais tout de suite appeler mon père.

Luna s'éloigne, le téléphone à son oreille et ses talons martelant le sol. Je ne suis pas sûr qu'il puisse y faire quelque chose, même s'il est le maire de la ville et un des plus grands propriétaires immobiliers de Londres. Après tout, le lycée est privé et ne reçoit aucune subvention de la ville.

Mais c'est sûr que je n'aime pas du tout la tournure que ça prend. Si le lycée devenait accessible à la population moyenne, sa réputation allait en prendre un coup. Et forcément, le niveau baissera.

— De toute façon, on a juste à les ignorer. Ils verront bien que nous ne venons pas du même milieu. Nous sommes chez nous, ici.

La moue de Chloe face aux paroles de Tobias veut tout dire. Ces gens-là sont comme la vermine : une fois installée, difficile de la déloger.

— Quand bien même on leur payera leur étude, ils finiront par abandonner très vite. Ils ne seront pas à la hauteur du niveau de Wymoutain school, quoi qu'il arrive.

Luna revient alors vers nous et, d'après son visage, c'est définitivement mort.

— Fuck ! s'exclame-t-elle, contrariée au plus haut point.

Soudain, son visage s'illumine et elle nous regarde un par un. Je reconnais ce regard dur et sérieux. Les paroles qui suivent n'annoncent en général rien de bon. Enfin, pour les boursiers, pas pour nous.

— Il ne nous reste plus qu'une chose à faire : on va leur donner l'envie de partir le plus loin possible d'ici.

Je souris. L'idée me plaît bien. Très bien, même.