Chapitre 4 - Oscar

8 minutes de lecture

14.01.21

Belmarsh Prison, LONDON – 06:31 pm.

J'attends patiemment sur ma chaise, coincé entre quatre murs très étroits. Heureusement que je ne suis pas claustro. Je me trémousse, regarde l'heure sur mon portable pour la troisième fois en l'espace de cinq minutes. Être ici me met toujours mal à l'aise. J'ai l'impression que les gardiens à l'entrée me jugent continuellement. En même temps, ce n'est clairement pas un endroit pour un gamin de dix-huit piges. Mais on ne choisit pas sa famille.

Enfin, j'entends une porte se déverrouiller de l'autre côté du plexiglas. Quelques instants plus tard, un homme s’assoit en face de moi. Il me fait un grand sourire avant de se saisir du téléphone accroché sur la paroi du mur. Je fais de même.

— Salut, papa.

— Mon fiston, ça fait si longtemps qu't'es pas venu me voir !

Je souffle.

— Samedi dernier, comme d'habitude.

— Pour moi, c'était une éternité.

Je regarde mon paternel. Je m'aperçois pour la première fois à quel point la prison l'a amoché : ses joues sont creusées, ses cheveux de la même couleur que ceux de ma sœur et moi lui encadrent le visage et se sont quelque peu ternis. Une barbe de plusieurs jours lui mange la mâchoire. Pourtant, ses yeux bleus brillent d'un éclat nouveau, comme à chaque fois que je viens lui rendre visite.

— Comment tu vas ? reprend-il devant mon silence.

— Ça va.

— Et ton nouveau lycée ?

— Bourré de gosses de riches, mais on s'y fait.

Une lueur s'allume alors au fond de ses yeux.

— Friqués comment ?

— Papa, tu saoules. Tu te rappelles pourquoi t'es ici ?

Il éclata de rire devant mon regard noir. Évidemment. Il ne prenait jamais rien au sérieux. Je comprends pas pourquoi je persiste à venir le voir. Sarah a déjà abandonné, elle.

— Et ta sœur ? demande-t-il, comme s'il avait lu dans mes pensées. Ma puce va bien ? On ne l'embête pas ?

— Non, tout va bien. Je pense qu'elle s'y sent bien... Enfin, je crois.

— Tu m'le dis si quelqu'un ose s'en prendre à elle, hein ? Tu sais qu'elle est pas capable de se défendre comme toi et moi. C'est une petite fleur fragile.

— Et tu vas faire quoi ? m'écrié-je, exaspéré. Je te signale que t'es derrière les barreaux.

— J'ai le bras long...

— Arrête tes conneries, papa ! le coupé-je vivement. Tu n'as plus aucun contact avec le monde extérieur, à part moi. Tous tes amis t'ont lâché et c'est pour ça que tu te retrouves ici.

Je sens la colère monter en moi. Il me ressort à chaque fois les mêmes bobards, les mêmes mots, croyant que ça peut me rassurer.

Je ferme les yeux et pose le coude sur le petit rebord avant d'enfouir la tête dans ma main. Je n'en peux plus de le voir si sûr de lui, comme si rien ne le touchait. Il vit encore dans le passé, se fait passer pour quelqu'un d'important.

— Je vais bientôt sortir d'ici...

— Arrête, je t'ai dit ! Tu vas rien faire du tout. Redescends sur terre, papa. Tu n'es plus rien. Si je n'avais pas pitié de toi, tu n'aurais aucun visiteur. Tu ne vois pas que tout le monde t'a tourné le dos ?

Pour la première fois depuis longtemps, le visage de mon père se ferme. Je regrette immédiatement mes mots, mais ne les retire pas. Après tout, c'est la stricte vérité. Une pointe de culpabilité me tiraille le cœur quand j'enfonce le couteau dans la plaie. Mais j'en ai marre qu'il fasse l'autruche.

— Avec tes conneries, tu nous as mis dans la merde, maman, Sarah et moi. Tu sais pendant combien de temps on nous a regardés comme des pestiférés ? T'as été égoïste, comme à chaque fois.

— Ce n'est pas vrai, rétorque-t-il d'une voix qui se veut ferme. Je vous aime tous les trois.

Prenant conscience des larmes qui roulent sur mes joues, je les essuie rageusement. Merde, d'habitude, j'attends d'être sorti. Avec tous ces changements, je deviens plus faible.

— Oscar, j'suis profondément désolé. Je sais que je vous ai blessé et que je n'ai pas été un bon père pour toi et ta sœur, j'ai pas été là...

— C'est trop tard pour le remords. J'ai appris à vivre sans toi et maintenant, je dois jouer ton rôle.

La sonnerie de mon téléphone retentit, m'interrompant.

De : Sarah

06:45 pm

Maman demande où t'es ? Dis-moi pas que t'es à la prison.

— Je dois y aller, soufflé-je dès que je vois le nom de ma sœur s'afficher.

Mon père hoche la tête.

— D'accord. Je t'aime fiston, me lance-t-il alors que je m'apprête à raccrocher.

Ses yeux de chien battu me font ployer. Toute rancune s'est envolée et je redeviens le petit garçon à qui son père manque terriblement.

— Moi aussi, papa. Et t'inquiète pas, je prendrai soin de Sarah.

Il me sourit timidement et je lâche le téléphone. Sans un regard, je quitte la pièce, cherchant à fuir le plus loin possible de mon père et de cette prison. Une fois à l'air libre, je respire enfin. Je sais que rendre visite à mon père me fait plus de mal que de bien. Mais c'est comme une drogue. Une fois commencé, je n'arrive plus à arrêter.

XXX


13.01.21

Appartement 32, étage 3, HLM B, Quartier de Barking & Dagenham, LONDON – 07:58 pm.

La porte claque derrière moi quand je m'engouffre dans le vestibule. La soudaine chaleur de l'appartement, après avoir lutté contre le froid mordant d'un hiver à Londres, m'étouffe. Je me dépêche d'enlever bonnet et écharpe et de pendre mon manteau au porte-manteau. Je souffle sur mes doigts gelés pour tenter vainement de les réchauffer. Dans le salon, ma mère est avachie sur le petit canapé, seulement éclairée par le poste de télévision qui diffuse un vieux feuilleton.

— Nous avons déjà mangé. Ton plat est dans le frigo. Réchauffe-le.

Sa voix n'est pas dure. Mais elle n'est pas tendre non plus. Elle est... plate, sans sentiment. Je lâche un discret « d'accord » avant de m'éclipser. Elle sait où j'étais. Au début, elle s'est opposée à ce que je rende visite à mon père en prison. Et puis elle a fini par accepter, parce qu'elle voit bien que ça me tient à cœur. Mais elle ne le cautionne pas.

Lorsque le micro-ondes sonne, je retire mon plat en prenant garde de ne pas me brûler et emmène mon assiette directement dans ma chambre.

— Tu étais où ?

Je sursaute légèrement en entendant la voix de ma sœur.

— Tu m'as fait peur.

— Tu étais où ? répète-t-elle, implacable.

Elle se décale pour me laisser de la place. Je m'installe à côté d'elle en travers du lit, le dos contre le mur et les pieds dans le vide.

— Je suis allé voir papa.

— Je m'en doutais.

J'avale une bouchée de mes spaghettis avant de la regarder. Son visage reste de marbre mais je sais que cela l'affecte plus qu'elle ne veut bien l'avouer.

— Tu m'en veux ?

— Non, souffle-t-elle. Tu n'as jamais voulu couper les ponts avec lui et maman et moi, on comprend. Mais tu sais combien ça fait mal à maman...

— Ne t'inquiète pas, je sais qu'il ne doit pas revenir dans nos vies. Et j'y vais pas pour qu'il fasse pénitence. Je lui en veux aussi pour ce qu'il nous a fait.

Sarah hoche la tête. Je lui adresse un timide sourire en coin et j'entrouvre mes bras. Elle vient se blottir contre moi. Nous restons ainsi plusieurs minutes, et j'en profite pour engloutir mon assiette avec appétit.

— Tu en penses quoi du lycée ?

Je fais une grimace.

— Pas grand-chose. Tu sais bien comme l'école et moi, ça fait deux... Mais je sais pas, j'ai l'impression que je vais avoir du mal dans celui-ci.

— Pourquoi ? Cette journée était tranquille, pourtant.

Ça, pour être tranquille, elle l'était ! Personne ne nous a adressé la parole, et Arthur n'était même pas là.

— Personne est venu nous parler, Sarah.

— Et alors ? Je suis pas là pour me faire des amis, mais pour étudier.

Je la bouscule gentiment de l'épaule.

— Dis pas de bêtises, avoir des amis c'est cool.

— Ouais, mais si c'est pour que ce soit comme dans notre ancien lycée, non merci.

Je serre des dents mais ne réponds pas. Un souvenir mettant en scène les « amies » de Sarah qui passait leur temps à rabaisser ma sœur surgit dans ma tête. Je chasse très vite cette pensée. Tout cela appartient au passé, j'ai résolu le problème.

— Et tu arrêtes pas de répéter que ces gens-là peuvent être pires que ceux de notre ancien lycée.

Elle n'avait pas tort sur ce coup. Je le pense sincèrement. Ces langues de vipères sont fourbes et sournoises.

— Luna est très belle..., enchaine-t-elle d'une voix distraite.

Je me tourne vers elle et Sarah me rend mon regard.

— Ben quoi ? C'est vrai. Elle est gracieuse et élégante. Elle s'habille très bien et elle est toujours très bien coiffée. Elle n'a aucun défaut.

Honnêtement, je ne partage pas son avis. Quelque chose de malsain se dégage d'elle, je ne saurais pas dire quoi. Sa beauté est trop pure, trop surfaite. Je me la visualise mentalement : ses cheveux bruns toujours parfaitement coiffés, ses joues roses, ses lèvres et ses yeux parfaitement maquillés, son uniforme toujours impeccablement repassé, sans plis.

— Mouais. Si tu veux vraiment parler de physique, je préfère celui de Chloe. Bien moins de poudre aux yeux et bien plus généreux.

Nous nous regardons et éclatons de rire. Nous étions réellement en train de comparer le physique des gens ?

— Mais pourquoi tu me parles de Luna ? demandé-je une fois calmé.

Sarah hausse les épaules.

— Je ne sais pas, c'est toi qui t'es mis à évoquer Chloe. Je disais juste que je trouvais Luna belle, c'est tout. Comme toi tu trouves Liam beau.

Je hausse les sourcils et affiche une mine surprise.

— Quoi ? N'importe quoi.

— Je te connais, Oscar.

Je choisis de faire une tactique bien connue entre frère et sœur : celle de faire croire à l'autre qu'il se trompe et se fait des films. Je me mets à rire.

— T'es pas bien, Sarah. Ce Liam est vraiment moche. Je pensais que t'avais une plus haute estime de moi et que tu savais que je pouvais attirer beaucoup mieux.

— Comme quoi ? Des vieux mecs rencontrés sur une appli de plans cul que tu avais l'habitude d'aller voir entre deux heures de cours ? Ceux qui ne s'assument pas et préfèrent céder à leurs pulsions en secret, se faisant passer pour des hommes virils aux yeux du monde, mais qui la nuit...

— Sarah ! m'écrié-je les yeux grands ouverts.

D'habitude, ma sœur ne parle pas aussi crûment de choses comme ça, préférant esquiver tous ces sujets. Elle est beaucoup trop gênée lorsqu'on parle de ça – enfin plutôt lorsque je lui raconte mes exploits. Je ne suis pas ce qui lui prend ce soir, mais je ne pensais pas qu'elle pouvait être aussi directe.

Sarah me regarde, une lueur malicieuse dans les yeux. Je décide alors de me venger et me jette sur elle. Écrasée par mon poids, elle ne peut pas éviter les assauts mortels de mes doigts entre ses côtes. Elle éclate de rire et me supplie d'arrêter. Mais elle sait que je ne céderai pas facilement. Je n'arrêterai que lorsqu'elle se sera excusée.

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