Chapitre 7 - Liam (2/2)
18.01.21
24 Paradise Street, Quartier de Southwark, LONDON – 04:54 pm.
Le chauffeur me dépose devant chez moi avant de repartir. Les yeux rivés sur mon portable, je passe le portail. Une masse sombre apparaît dans mon champ de vision et je m'arrête juste à temps, manquant de peu de la percuter.
— Putain, mais...
Je reconnais le petit bolide noir en plein milieu du chemin contre lequel j'ai failli perdre mon genou. C'est la décapotable d'Erik. Il ne peut pas la garer normalement, pour une fois ? J'écarquille alors les yeux me rendant compte de ce que ça signifie.
Je me précipite vers la maison et ouvre la porte à la volée. Je déboule dans le salon tel un ouragan et le parcours du regard.
— Petit frère !
Mon cœur bat la chamade quand j'entends sa voix. Repéré. Un immense sourire illumine mon visage quand il se lève du canapé. J'arrive pas a y croire... Il est enfin revenu ! Erik ouvre les bras et je me jette sur lui. Je l'enlace dans une étreinte puissante tandis mon cœur explose de joie. Il me serre contre lui, aussi heureux que moi. Je savoure la chaleur de son corps chaud contre le mien.
— T'es rentré depuis combien de temps ? soufflé-je.
Mes yeux me piquent légèrement, mais je n'y fais pas attention.
— Il y a une heure ou deux.
— T'aurais pu venir me chercher au lycée, lui reproché-je, la bouche enfouie dans son pull-over.
Son corps tressaute, signe qu'il rit.
— J'aurais pu. Mais j'étais fatigué et je n'avais pas envie d'attendre des heures dans le froid.
Je resserre mes bras autour de son corps dans l'espoir de lui faire mal. Je n'arrive qu'à le faire rire. Nous nous séparons et il pose ses yeux verts sur moi. Je peux y sentir tout l'amour pour qu'il me porte.
— T'as pas changé.
— Toi aussi. Si ce n'est que tu as une petite ride. Juste ici.
J'appuie mon doigt sur son front et il recule sous la pression exercée.
— Toujours aussi con, s'écrie-t-il.
Il ébouriffe mes cheveux avec sa main. Il sait que ça m'exaspère. Je ronchonne pour le lui montrer et me recoiffe approximativement.
Je prends alors conscience de mes parents dans le salon. Même papa est là, pour le retour d'Erik. En même temps, il ne manquerait ça pour rien au monde.
— Bonjour mon chéri, ça s'est bien passé au lycée ?
— Comme d'hab, maman, lancé-je rapidement.
Puis je me tourne vers mon frère.
— Viens, on monte.
Erik hoche la tête. Il sait que je n'aime pas être avec nos parents. Et j'ai des milliers de questions à lui poser.
Il me suit tandis que je grimpe quatre à quatre les escaliers menant à ma chambre. Une fois dans ma pièce, je balance mon sac par terre et me jette sur mon lit.
— Raconte-moi tout, lui ordonné-je.
— Très bien.
Il me fait un signe de la main et je me pousse pour lui laisser de la place. Nous nous allongeons et fixons le plafond, comme à notre habitude lorsque nous voulons discuter sérieusement. Nous ne nous regardons jamais dans les yeux, nous trouvons que c'est plus facile ainsi d'avouer certaines choses, ou de parler de nos problèmes.
Il passe ses bras derrière sa tête et commence :
— Les États-Unis, ça n'a vraiment rien à voir avec Londres... Déjà, il pleut beaucoup moins souvent là-bas ! Tout est si grand, si démesuré. Tu verrais, les gratte-ciels sont énormes, bien plus imposants et grands que ceux de la City. J'ai failli me perdre plus d'une fois le premier moi, ricane-t-il. En vérité, j'ai plus fait le touriste qu'autre chose les premiers temps : j'ai visité les monuments incontournables comme le Capitole, je suis passé devant la Maison Blanche mais je n'ai pas vu le Président.
Je ris légèrement. Il tourne la tête vers moi et se joins à moi. Ses yeux brillent, signe qu'il nage en plein dans ses souvenirs. Il fixe de nouveau le plafond et reprend :
— j'ai vu aussi le Washington Monument. La place est vraiment gigantesque, et j'ai eu l'impression de me retrouver aux Champs Élysées quand on a visité Paris avec papa et maman, tu te souviens ? Ce n'est pas la même chose mais c'est en longueur pareil. Qu'est-ce que je pourrais te dire d'autres... Ah, oui ! J'ai adoré me promener au Constitution Garden. C'est un petit parc connu des habitants et vraiment relaxant. Il y a plein de petits points d'eau où il y a des canards, des oies... Enfin, tu vois quoi.
— Et tu as travaillé ne serait-ce qu'un jour ou pas du tout ? me moqué-je.
— Évidemment ! Mes collègues étaient sympas, mais mon boss était une vraie tête de con. Beaucoup avaient peur de lui. Par exemple, je me rappelle de la fois où il a passé un savon à un de ces associés – ce n'en était pas vraiment un, c'est plus un salarié – parce qu'il avait oublié de clore un dossier avec un gros client. Du coup, le pauvre gars a dû rester au bureau et faire nuit blanche pour le terminer à temps et éviter que la boîte perde des milliers de dollars et à la société pétrolière au passage. Il a eu raison sur ce coup-là, n'empêche. Mais la plupart du temps, je pense qu'il se donnait un genre, tu vois ? Il était froid, mais il savait reconnaître les bosseurs et il ne m'a jamais rien reproché.
Bien sûr. Erik excelle dans son domaine d'études. Comme dans tout, d'ailleurs. Je me penche vers lui et m'appuie sur mon coude.
— Et les femmes ?
Il rit.
— Ça ne te regarde pas, petit frère. Tu es encore trop jeune pour ça.
Je lève un sourcil. Lui comme moi savons que je ne suis plus puceau depuis très, très longtemps. Bien avant que lui-même découvre à son tour les plaisirs de la chair.
— Elles sont... belles.
Je ricane devant son sourire en coin.
— Je vois. Ce n'est pas pour cette fois que j'aurai une belle-sœur américaine.
Il recouvre ma tête et sa main et me pousse, de sorte à ce que je retombe sur les dos. Nous rions avant de laisser le silence s'installer doucement.
— Tu repars quand ? demandé-je brusquement.
Je sais que les États-Unis ont conquit son cœur. Dix mois passés là-bas ont largement suffi. Il me regarde mais je garde les yeux rivés au plafond. Je sens qu'il se détourne. Il n'a pas oublié la règle, il sait ce que ça signifie.
— N'y pense pas, Liam. Je suis là et c'est le principal.
— Pour combien de temps ?
— Liam... chuchote-t-il.
Sa voix est emplie de douceur. Ma gorge se serre mais je ravale la boule.
— Ne t'avise plus jamais de me laisser seul pour les fêtes de fin d'année. Supporter papa et maman a été un vrai calvaire.
— Mon pauvre petit martyr, se moque Erik.
— Tu peux rigoler mais n'empêche, c'est la vérité. Tu sais très bien qu'ils auraient préféré que ce soit l'inverse...
— Dis pas ça, s'exclame-t-il d'une voix plus dure. Tu sais tout l'amour qu'ils te portent.
Je fais une grimace.
— T'étais pas là pendant ces dix mois...
C'est à son tour de se redresser. Il se place au-dessus de moi, me forçant à le regarder.
— Tu n'as pas fait d'efforts non plus, je présume.
— Pourquoi je devrais en faire ?
— Tu sais à quel point ils peuvent être... étroits d'esprits, parfois. Et tu ne fais rien pour les aider. Je suppose que tu as continué ton train de vie ?
Je hausse les sourcils.
— Tu ne vas quand même pas te mettre à jouer le rôle du grand frère moralisateur ? Je te signale que tu étais de mon côté avant... Ces dix mois aux USA t'ont tant changé que ça ?
— Tu sais bien que je serai toujours de ton côté. Mais essaye de ne pas aggraver les choses...
— Je verrai.
Il n'insiste pas. Il sait que je ne le ferai pas. De nous deux, c'est moi l'enfant rebelle, le mouton noir de la famille. Lui, il a toujours su s'y prendre pour s'attirer les compliments et la fierté des parents. Encore aujourd'hui, c'est le cas. Et même s'il essaye de me montrer le contraire, je sais que ça l'arrange.
— Bref, évitons le sujet des parents, j'ai pas envie de m'engueuler avec toi tout de suite. Après tout, tu viens tout juste de rentrer, il faudrait que tu profites un minimum avant que tu ne sois saoulé et que tu fuis de nouveau.
— Je n'ai pas fui, asséna-t-il. Et tu ne me saoules pas, non plus. J'avais besoin de prendre l'air après t'avoir supporté pendant dix-sept ans. J'avais la paix quand j'étais encore fils unique.
— C'est toi qui as bassiné maman pour avoir un petit frère, je te signale.
— J'aurais mieux fait de me la fermer, ce jour-là...
Je lui donne un coup dans l'épaule et il fait mine que ça ne lui a pas fait mal. Mais la seconde d'après, il se jette sur moi et m'enfonce son doigt entre les côtes, m'arrachant un cri de douleur. Nous nous bagarrons quelques instants avant de déclarer une trêve d'un commun accord.
— Et sinon, toi, tu as rencontré l'homme de ta vie parmi toutes tes conquêtes ?
Je ne relève pas la pique.
— Non, et j'ai arrêté de chercher le prince charmant depuis longtemps.
Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait aussitôt penser aux jumeaux Wight.
— D'ailleurs, je ne t'ai pas dit la nouvelle ! Il y a des nouveaux au lycée. Ce sont des boursiers ! T'y crois toi, des boursiers dans notre lycée ? Ça ne s'était encore jamais vu.
— Ils sont sympas ? demande Erik.
Je le regarde, étonné.
— Oui, enfin non, peut-être, mais c'est pas la question !
—Liam, s'ils ont été admis dans le lycée, c'est pour une bonne raison. Et je te signale que l'établissement met un point d'honneur à valoriser la réussite des élèves... de tous les élèves.
— Ouais enfin les élèves qui peuvent payer les frais astronomiques qu'ils demandent chaque mois. Et eux ne payent rien du tout. Nada.
Je lève la main avant qu'il ne puisse répliquer.
— Épargne-moi ton discours humaniste et tout le bordel, je le connais par cœur.
Je sais comment il est, toujours à prendre la défense de la veuve et de l'orphelin. Il n'y a que sur ce point que papa et lui sont en désaccord. Enfin, ils trouvent toujours un terrain d'entente... Par contre, avec moi, papa est un vrai connard borné.
Erik referme la bouche. Avant de l'ouvrir quelques instants plus tard :
— Tu ne leur mènes pas la vie dure, j'espère ?
Mes lèvres s'étirent dans un rictus sans que je ne puisse les contrôler.
— Liam ! s'écrie-t-il en levant les yeux au ciel. Ils ne t'ont rien fait.
— Mais j'ai jamais dit le contraire, on les a même invités à une fête chez Luna. Mais bon, on était mieux sans eux, surtout que s'ils valident l'année, ça fera des places en moins pour certains d'entre nous dans les écoles supérieures...
Mon frère souffle d'exaspération.
— Il risque pas de prendre la tienne, je te signale que tu ne sais toujours pas quelle université intégrer l'année prochaine ni ce que tu veux faire.
Je lui jette un regard noir. Satisfait d'avoir eu le dernier mot, il se rallonge. Tu as gagné la bataille pour ce soir, Erik, mais pas la guerre. Je ne m'avoue pas vaincu aussi facilement.
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