Chapitre 8 (1/2) - Oscar

6 minutes de lecture

19.01.21

Appartement 32, étage 3, HLM B, Quartier de Barking & Dagenham, LONDON – 07h47 pm.

— Putain, pourquoi je peux pas y aller, moi ?

— Peut-être à cause de tes notes minables, rétorqué-je ironique.

— Mais dégage de là, connard ! Je vois rien à cause de toi ! rage Yanis en levant les bras en l'air.

Devant lui, l'écran de ma télé se teinte de rouge avant que la phrase « Vous avez été tué par MonsterKill1324 » n'apparaisse en lettres de sang.

— Tu peux pas fermer ta grande gueule, on est en train de causer ! s'écrie Max en frappant dans le dos de l'Arabe.

— Mais c'est à cause de ce putain d'enculé, il s'est mis devant moi. J'ai pas pu tuer l'autre, ce gros pd.

Il se retourne soudain et me lance un regard désolé.

— Excuse.

Je ris devant sa mimique gênée. Yanis ne brille pas par sa tolérance envers les homosexuels, loin de là. Il faut dire qu'il a été bercé depuis sa plus tendre enfance dans une famille musulmane pratiquante et son père n'est pas non plus quelqu'un de très ouvert d'esprit. Néanmoins, il a tout de suite accepté ma sexualité quand il l'a su sans se poser de questions.

— Avoue que t'es juste une grosse merde, c'est tout. Tu ferais mieux d'arrêter.

Yanis s’exécute et éteint la télé.

— T'as raison, ça m'a gonflé. Et on est pas venus pour jouer mais pour notre pote, ajoute-t-il en me frappant gentiment le genou.

Leur langage affectif s'exprime principalement par le toucher... Enfin, ils ont une nette tendance à me frapper pour me témoigner leur soutien et leur amour.

— Vous parliez de quoi ?

Max roule des yeux.

— On parlait du nouveau lycée d'Oscar. Il vient de me dire qu'il y a une sacrée bombasse dans sa classe...

Je hoche la tête, un sourire en coin.

— Chloe.

J'enchaîne directement sur sa description physique, c'est tout ce qui les intéresse :

— Blonde, grande, fine mais grosse poitrine et bon cul...

Yanis se retient de justesse d'évoquer le nom de Dieu dans sa langue natale, les yeux écarquillés. Il doit déjà avoir en tête une représentation d'elle ainsi que tout ce qu'il a envie de lui faire.

— En tout cas, je te signale que toi aussi, t'as pas des notes extraordinaires, lance Max.

Il perd pas le nord, celui-là. De nous trois, c'est lui le plus intelligent. Ensuite, c'est moi et enfin, Yanis. Mais bon, même lui ne se voile pas la face.

— C'est pour ça que je ne sais pas pourquoi j'ai été admis. Pour Sarah, je peux comprendre : elle était la plus forte du lycée mais moi...

— On dirait que c'est grâce à elle.

Je hausse les épaules. Certainement. Et comme on est jumeaux, ils en ont profité ; ils n'allaient pas ouvrir leurs portes de lycée élitiste à un élève de banlieue mais à deux !

Yanis quitte la chaise de mon bureau pour nous rejoindre sur le lit. À trois, la place est limitée et il grince fortement lorsqu'il s'assoie dessus.

— Pas très solide, annonce-t-il en se faisant rebondir. Et en plus, il fait du bruit. Pas pratique pour déboîter un gars sans que maman soit au courant.

Pour la seconde fois en cinq minutes, Max lève les yeux et je l'accompagne. Mais pas pour les mêmes raisons.

— Tu sais bien que je ramène jamais un gars à l'appart.

— Tu m'étonnes, s'exclame-t-il en faisant grincer le lit une nouvelle fois.

— Bon, tu vas arrêter de nous couper dans notre discussion ? le rabroue Max.

— Ça va, si on peut même plus se plaindre !

— Ta gueule, Yanis.

Toi ferme ta gueule.

— Bon les gars, vous avez pas un peu fini ? interviens-je. Je ne vous ai pas vu depuis la rentrée, vous pouvez pas faire un effort et arrêter de vous engueuler ?

— C'est à cause de lui, faut toujours qu'il ouvre sa grande bouche, proteste Max.

— Mais t'as un problème avec moi en fait toi, connard ? riposte Yanis.

— Ouais, tu me casses les couilles depuis tout à l'heure.

Soudain, on frappe à la porte de ma chambre. Ma mère entre, coupant court à la joute verbale.

— Désolé de vous embêter les garçons mais je voulais savoir si Max et Yanis restent manger avec nous ce soir ?

— Je veux bien. J'appelle mes parents pour les prévenir, merci, s'exclame Max en souriant chaleureusement.

Ma mère hoche la tête.

— Et toi Yanis ?

Mon ami fait une petite moue déçue.

— Ça aurait été avec plaisir mais vous connaissez mes parents... Et il se fait tard, je vais bientôt partir. Je suis désolé.

— Une prochaine fois alors, le réconforte-t-elle en lui faisant un clin d'œil. Je vous appelle quand le dîner est prêt. Et tu peux rester autant que tu veux, Yanis.

— Merci ! lancent-t-ils en chœur.

Elle ferme la porte et j'explose de rire devant l'air étonné de mes amis.

— Y'a quoi, boloss ?

Je prends alors un air de chien battu et imite le Chat Potté dans Shrek.

— « Ça aurait été avec plaisir mais je ne peux pas. Je suis désolé. »

— Dégage connard, grogne Yanis en me bousculant.

À côté de moi, Max est plié en deux et tente tant bien que mal de contrôler son fou rire.

— On fait le malin devant Elisa, renchérit Max. Il est passé où le bonhomme viril qui crache des mollards par terre ?

— Je te ferai dire que j'ai jamais fait ça, se défend Yanis.

Ma bouche se tort en une grimace mitigée.

— Vas-y vous m'avez saoulé. Toujours à vous mettre à deux contre moi.

— Pauvre bichon, susurre Max en caressant son épaule.

Yanis s’éloigne comme s'il avait été piqué par une guêpe.

— Ta gueule Max.

Il est vrai qu'on adore le taquiner. Mais il prend la mouche si rapidement que c'en est hilarant.

— Bref, j'ai embrassé un gars du lycée, annoncé-je quand nous nous fûmes calmés.

Max et Yanis me regardent comme si j'avais lâché une bombe.

— Pardon ? Pourquoi ? Comment ? Et il ressemble à quoi ?

Yanis appuie les questions de Max en fronçant les sourcils.

— À une fête chez sa meilleure amie. C'était pas prévu mais on s'est retrouvé seuls dans la salle de bains...

Yanis siffl et je lui lance un regard désapprobateur.

— C'était pas prévu de base. Je ne veux rien à avoir affaire avec eux. Ils m'inspirent vraiment pas confiance.

— Alors pourquoi l'avoir embrassé ? me demande Max.

Je hausse les épaules.

— C'est plutôt lui qui l'a fait. Mais je pense qu'il savait plus vraiment ce qu'il faisait. Il a pris de la coke juste avant...

Mes amis me regardent, les yeux écarquillés.

— Méfie-toi Oscar, s'exclame Yanis. Fumer de la beuh de temps en temps c'est cool. Sniffer de la coke, c'est un autre level. Ne tombe pas dans ces choses-là...

— Je sais bien, lui réponds-je, un tantinet vexé qu'il pense ça de moi. C'est pour ça que je cherche à m'éloigner d'eux. Mais Sarah à l'air de bien apprécier Luna et Chloe... et vous savez à quel point elle a toujours été seule. Elle mérite d'avoir de bons amis. Mais pas eux.

— Je suppose qu'elle ne sait pas pour toi et le gars ? glisse Max.

— Nan et elle ne le saura jamais. C'était une erreur et ça ne se reproduira pas.

Max fait une petite moue.

— S'il t'attire ça sera compliqué...

— Vous me prenez pour un animal ou quoi ? Je sais me contrôler quand même ! Et puis, il m'attire pas vraiment... Il a un charme c'est tout. Mais du point de vue caractère, c'est vraiment l'archétype du gosse de riches !

— Tu m'étonnes, ricane Yanis. Ça doit être invivable.

La voix de ma mère résonne alors depuis le salon.

— Les garçons, à table !

Nous nous levons et rejoignons ma sœur et maman. Yanis en profite pour partir après nous avoir souhaité bon appétit.

Le repas se passe dans la bonne humeur, Max est un pro quand il s'agit de mettre l'ambiance. Je reste en retrait, plongé dans mes pensées. Je repense à ce baiser échangé avec Liam et à son corps chaud près du mien. Je ne lui ai pas reparlé depuis la fête et je ne sais pas s'il se souvient exactement de ce qu'il s'est passé. A-t-il vraiment voulu m'embrasser où était-il déjà sous l'emprise de la drogue ? Est-ce que ça changerait quelque chose si ça avait été quelqu'un d'autre ?

Je cligne des yeux pour chasser toutes ces questions. Je ne veux pas y songer. L'ambiance, la drogue et la musique nous ont fait déraper et j'en ai profité, c'est tout. Mais ce baiser ne veut rien dire.

Absolument rien.

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