Le temps passe et la réunion est bientôt terminée. Rien de grand ne s’est dit. Sur deux heures trente de travail, seulement quarante-cinq minutes de libre débat, où chacun se faisait avocat de sa conviction. Jamais nous n’avons pu être plus profonds, malgré les envies partagées de trouver des solutions. Bref : nous sommes restés coincés dans le piège de l’apolitisme.

Voilà comment ce termine l'histoire. Les faits sont peu de choses et rarement ils méritent d'être écrits.

Ce jour là, même mon pied gauche a fléchit. La domination opérant insidieusement au fond de mon âme, armée de mes instincts indomptés. Ce n’est que quelques temps après que ma solitude m’a chuchoté les causes, m’a rappelé mon envie conquérante de la matinée.

En réalité, les convictions sont bien peu de chose. Elles s’effacent si vite. Tout comme la vérité et la volonté. Il y a une guerre invisible entre le moi noble et les milles contraintes de la réalité ; entre notre devenir et les cent perversions des rapports sociaux modernes. On ne combat pourtant que par métaphore : la lutte intérieure reste bien plus obscure… Plus personnelle en réalité. De là vient notre surprise et notre impuissance.

Pourtant, il y eu un sursaut, à la fin, comme si la culpabilité avait été force motrice : nous avons défini l’objet de notre prochaine rencontre en septembre. Ce sera l’esprit critique, acclamé unanimement comme la priorité première.

Bien sûr, dans le sens « éduquer à l’esprit critique ».

Alors commençons ce beau travail de concept.

Si l’esprit critique doit être présent dans l’éducation populaire, ce n’est pas en tant que volonté de partage, mais comme réalité concrète, inscrite en nous même comme la condition de nos actions. Développer une aptitude de réalité ne se décrète pas, elle se construit, peu à peu, par soi et, ensuite, pour les autres.

Ce n’est pas là une question de morale vulgaire, non. Ce n’est pas une critique, mais une condamnation : nous ne sommes pas capables de comprendre le monde, de transmettre une révolte. Nous sommes aveuglés et aveugles de notre aveuglement. Donc nous devons changer et nous diagnostiquer : voilà pourquoi nous avons besoin d’esprit critique.

Allons ! Ne faisons pas semblant ! Nos étagères sont pleines à craquer de livres sur le développement de l’esprit critique ! Alors partons à la chasse aux pensées médecins, donnons un souffle nouveau à notre vision de l’éducation, offrons un chant glorieux et conquérant à nos affects ! Redevenons fougueux et avares de nouveautés !

En est-on capables ? Bien sûr ! Nous avons vendu trop de forces au somnambulisme de la technocratie, au mythe du consensus, à ce matérialisme extrême qui nie toute nature humaine. Notre force, c’est notre mouvement, c’est nos croyances ! Alors reprenons courage – et alors nous seront devenus capables.

« Désobéissez aux règles qui ont tué l’éducation populaire pour redevenir politiques, organisés et revendicateurs. » Voilà ce que chuchotent timidement nos esprits critique oubliés – donnons leurs une pleine voix !

Redevenons enfants, reconstruisons notre esprit critique, prêt à analyser chaque savoir, chaque nouvelle méthode. Dressons notre rigueur et nos introspections et répétons nos vieilles vertus : nous sommes là contre l’injustice, pour la liberté de conscience et donc, de fait, en opposition totale avec le système de domination actuel.

Ne jouons pas ailleurs que dans notre monde. Acceptons une réalité latente partout dans nos esprits. Nous le savons : l’éducation populaire n’a plus d’avenir dans la soumission. Assumons cela. Nos têtes mises à prix dans un capitalisme plus entreprenant que jamais, aucun demain n’est désirable sans lutte.