Chapitre 10 - Les trois derniers jours de ta vie - TOUS POINTS DE VUE
C'est le plus beau tableau du monde qui s'offre à nos yeux alors qu'une hécatombe se prépare secrètement dans l'ombre.
Enlacées, trois silouhettes sont secouées de sanglots à la fois heureux et tristes, mais qui surtout, reflètent leur amour infini. Cette famille est unique, du fait de sa nature, mais également de par les liens qui unissent ses membres. Ils n'ont vécu que quelques heures ensemble la première fois, avant d'être cruellement séparés par le destin. Les deux enfants, dirigés vers une destinée sans merci, mais qui leur a pourtant appris l'indépendance, la liberté d'esprit, et surtout, qui leur a inculqué la capacité de se battre pour ce qu'ils croient juste. Leur mère, qui a payé le prix fort pour sa trahison, mais qui ne l'a jamais regrettée. Malgré tout, ils se sont quittés dans l'amour, et retrouvés dans le même amour, au milieu de ce monde de haine, de souffrance, de contrôle et de manipulations cachées. Cette force est sans doute leur plus grand point commun.
Aujourd'hui, de nouveau, ils vont devoir se quitter. Cependant, ils ont tous grandi et vécu suffisament de choses pour comprendre, à présent, ce que cela signifie vraiment. Et surtout, ils sont maintenant conscients de la possibilité de leurs retrouvailles. Vraiment ? Pourtant, à la manière dont Astrid serre son frère et sa mère dans ses bras, avec ardeur et désespoir, on pourrait presque croire qu'il s'agit là pour elle d'adieux. Les larmes qui brillent dans ses yeux et courent se perdre dans les cheveux luminescents de Diane expriment tout ce qu'elle ne pourra jamais dire à haute voix.
- Ce n'est qu'un au revoir, murmure-t-elle finalement. Nous nous reverrons, je le jure.
Puis elle ajoute, bien plus doucement, si doucement qu'elle est sûrement la seule à l'entendre, comme si elle ne pouvait se résoudre à partir sans au moins le dire une fois :
- Que ce soit dans ce monde ou dans un autre.
***
- Je te pardonne tout! hurle Allen, planté en face d'Astrid, les bras tremblants, les mains remontées en un geste désespéré sur son visage.
L'une d'entre elles aggripe ses cheveux, comme pour lui donner une prise dans la réalité.
- Je te pardonne, répète-t-il plus doucement. Je t'ai pardonnée depuis le premier jour, sinon, pourquoi serais-je resté à tes côtés malgré tout ? Je n'attendais toujours qu'un signe pour accourir vers...
- Ce que tu ne comprends pas, Allen, le coupe soudain Astrid d'une voix lasse, dénuée de toute énergie, c'est que tu n'as rien à me pardonner. Au contraire, c'est plutôt moi qui devrais supplier pour des excuses. Tu n'imagines même pas tout ce que je te dois, et si je te repousse depuis tout ce temps, c'est en partie parce que je ne supporterais pas de te voir souffrir pour mes mensonges.
- Tes mensonges ? Tu appelles des mensonges avoir sauvé ta mission malgré tout ? Tu as fait ce qu'il fallait! Tu as toujours fait ce qu'il fallait! Écoute, si tu ne peux pas te résoudre à me parler, dis-toi au moins que m'ignorer me fait souffrir bien plus que toutes les trahisons du monde! Alors, je t'en supplie, laisse-moi redevenir ton frère, au moins pour ces trois derniers jours...
- Derniers ? sursaute-t-elle soudain, comme si une mouche l'avait piquée. Comment ça, derniers ?
Son regard fait des allers-retours incontrôlés et complètement paniqués d'un bout à l'autre de la pièce. Ses yeux s'assombrissent imperceptiblement, mais nul doute que son frère l'aurait remarqué... s'il n'avait pas été lui-même aussi abattu, perdu dans ses pensées.
- Je ne sais pas, marmonne-t-il. J'envisage juste la possibilité que... que nous ne revenions pas...
Astrid s'adoucit immédiatement à ces mots et se rapproche d'Allen pour lui prendre les mains. Elle fixe leurs doigts, avant de relever à nouveau la tête vers lui :
- D'accord, finit-elle par acquiescer, après l'avoir scruté un long moment. Je t'aime trop pour essayer de contenir mon égoïsme..., continue-t-elle avec un petit rire mi-forcé mi-naturel. Vivons ces trois derniers jours côte à côte, comme nous l'avons toujours fait. Si tu savais comme je m'en veux...
Mais Allen ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase avant de la serrer dans ses bras. S'il n'avait pas eu si peur de la brusquer, il en aurait hurlé de joie.
***
Deux ombres dans l'obscurité, Astrid et Sacha sont blottis l'un contre l'autre dans un lit superposé. On n'entend que les rires étouffés d'Astrid dans le silence, puis soudain un éclat de voix, comme si elle n'avait plus pu se retenir. Enfin, elle semble se calmer et sa respiration s'apaise. Quelques minutes plus tard, elle s'écrie d'une voix douce :
- Pourquoi reste-t-on ici ?
- Hein ?! s'exclame Sacha en se redressant sur un coude.
- Je veux dire... hésite Astrid. Pourquoi s'obstiner à respecter les règles ? finit-elle par se lancer. De toute manière, demain, nous serons libres ou morts. Alors, ce n'est plus le couvre-feu notre principal souci. Allez... insiste-t-elle soudain, prenant de l'assurance.
On devine cependant dans ses yeux que la possibilité de la mort domine sur celle de la survie. Sacha s'en rend-t-il compte ? Probablement pas. Probablement est-ce son amour pour elle qui le pousse à accéder à sa demande, et non le désespoir qu'elle émane. Puis, petit à petit, à mesure qu'ils se lèvent et s'habillent pour sortir, l'excitation prend le pas sur ses derniers doutes, et c'est à son tour de l'entraîner, enthousiaste, la pressant pour aller plus vite. Quelques secondes plus tard, ils s'éclipsent déjà dehors en murmurant au milieu de leurs ricanements. Si quelqu'un les suivait, cette nuit-là, il les découvrirait sûrement dans une foule d'endroits normalement interdits, à vagabonder où bon leur semble au milieu de la nuit, volant de la nourriture dans les cuisines pour profiter du moindre plaisir qui s'offre à eux... et toujours, toujours, l'amour volant dans leur sillage...
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