Chapitre 14 - EQUIPE A
Trois avions survolent une zone boisée en attendant l'ordre qui leur demandera d'attaquer.
Il s'agit de l'équipe A, qui s'est séparée de l'équipe B quelques minutes seulement auparavant, et qui a pour mission de détruire la centrale électrique qui alimente Chicago. Leur opération bien que tout aussi capitale que les autres, est sans doute la moins compliquée au premier abord, puisqu'ils doivent simplement bombarder la centrale sans états d'âme. Mais selon les informations recueillies auprès de Sacha, des défenses anti-aériennes strictes protègent l'endroit, même s'il n'a pas pu en dire plus : ainsi, tous se dirigent vers l'inconnu, dirigés par un homme expérimenté du nom de Taylor, haut-gradé de l'armée dans l'ancien monde. Quand à l'équipe, si elle est aussi réduite, c'est pour être la plus discrète possible. Effectivement, si l'équipe B bénéficiera justement de la protection fournie par l'équipe A, cette-dernière est en première ligne. Il est donc essentiel que leur attaque ne soit pas repérée avant longtemps, pour donner ensuite le plus de temps possible à l'équipe B.
Enfin, dans un grésillement qui résonne dans les cockpits des trois chasseurs, l'ordre est lancé. Sans perdre de temps, les moteurs se mettent à ronfler, et tous partent dans un vombrissement le plus étouffé possible vers le nord. De leur position en hauteur, on aperçoit au loin quelques tours de Chicago, bien moins développée au niveau de ses bâtiments que Paris ; effectivement, si la capitale française a été presque entièrement bombardée puis reconstruite, la ville américaine, elle, est une des plus épargnées par ce que les citoyens appellent la Guerre Fatale, et le Gouvernement l'extermination. Petit à petit, les avions se rapprochent de l'immense ville, et on pourrait se demander pourquoi ils volent dans cette direction alors que la discrétion est de mise. Cependant, ils n'ont pas vraiment le choix, puisque la centrale se trouve par mesure de sécurité à seulement quelques kilomètres des premières constructions.
Et soudain, alors que rien ne semblait pouvoir arrêter les rebelles, l'avion de tête ricoche littéralement contre un mur invisible tout en prenant feu instantanément. Le deuxième, qui le suivait de près, évite de justesse la carcasse enflammée, qui commence déjà à chuter vers le sol à une vitesse effrayante en laissant derrière une traînée de fumée âcre et noire comme la suie. Un court hurlement de douleur résonne dans les Communicateurs des deux autres hommes encore en vie, puis Taylor se tait définitivement, sûrement mort à cause du feu avant d'atteindre le sol. Quelques secondes plus tard, l'avion s'écrase dans une explosion étincelante qui éclaire la nuit pâlie par l'aube. En haut dans le ciel, les deux pilotes survivants ont déjà effectué un looping pour s'éloigner du champ de force qui vient de se révéler sous leurs yeux. Celui-ci scintille d'ailleurs quelques temps avant de finir par s'estomper complètement, même si tous sont plus conscients que jamais de sa présence. Dans un murmure tremblotant, l'un des deux lance, comme dans le vide :
- Taylor est mort, nous n'avons plus de meneur de mission.
- Devons-nous poursuivre malgré tout ? enchaîne immédiatement son compagnon. Comment sommes-nous censés détruire le champ de force ? Si même l'impact avec un chasseur lancé à pleine vitesse ne l'a pas ébranlé, alors nous n'y parviendrons jamais.
Il est facile de comprendre qu'ils parlent en vérité à l'équipe informatique, qui les surveille et les aide toujours depuis leur position éloignée, au QG de l'Organisation. Mais la réponse, pour une fois, tarde à venir. Quand enfin elle résonne dans leurs oreilles, le désespoir semble s'abattre sur chacun d'eux, plus pesant que jamais :
- La mort de Taylor est une perte immense pour chacun de nous, mais nous ne devons pas nous laisser abattre! assène une voix. Nous sommes sur le point de renverser définitivement la situation. L'équipe D a déjà effectué sa diversion à Paris, et l'équipe B est sûrement en train de survoler Chicago en ce moment même. Nous n'avons plus le temps de tergiverser, et encore moins d'abandonner. Vous devez agir. D'après nos calculs, l'impact avec le chasseur de Taylor a au contraire beaucoup affaibli le bouclier. Il est de moindre qualité, mais il ne cèdera pas si vous vous contentez de jeter des pierres dessus. Il n'y a qu'une seule solution... L'un de vous deux doit répéter l'opération, pour que le dernier puisse larguer ses bombes dans les plus brefs délais.
Et cette fois, à la fin de son discours, leur interlocuteur ne prononce nul << Bonne chance >>. Seul le silence lui répond, mais de toute manière, attendait-il vraiment une réponse ? Probablement pas. Lui, comme tous ceux qui ont pris cette décision dans la salle informatique en analysant chaque donnée le plus possible, sont conscients du sacrifice qu'ils demandent aux pilotes, surtout au vu de la position particulière qu'ils entretiennent au sein de l'Organisation : avant l'arrivée d'Astrid et d'Allen, ils étaient les seuls rebelles à posséder un lien de parenté. Et pour cette ultime épreuve, quand le fils de James, Andréas, a été sélectionné dans l'équipe A, sont père n'a pas pu se résoudre à le laisser partir seul. À présent, le choix le plus déchirant de leur existence s'offre à eux. C'est James qui prend le premier la parole, d'une voix écrasée par le chagrin mais rendue tout aussi forte par la détermination et, quelque part, la fierté :
- Tu as entendu l'équipe informatique, Andréas. Pas le temps de tergiverser. Ta mère.... ta mère aurait été fière de toi... semble-t-il conclure.
Puis, avant que son fils ait le temps de protester, son chasseur prend petit à petit de la vitesse pour aller s'écraser contre la paroi invisible. À nouveau, les mêmes images défilent : l'avion est projeté en arrière tout en prenant feu, et va s'écraser au sol quelques secondes après dans une colonne de fumée noire mêlée aux flammes brûlantes qui s'échappent de l'engin.
Cependant, cette fois, quelque chose a changé. Au lieu de simplement scintiller dans la nuit d'une lumière jaunâtre, avant de disparaître à nouveau progressivement, le champ de force produit force de crépitements pendant de longues minutes. On voit des gerbes d'étincelles s'en échapper et enfin, après une attente sans doute interminable pour ce fils qui vient de voir son père se sacrifier sous ses yeux, la barrière meurtrière laisse enfin place au néant. Dans l'espace complètement dégagé, on aperçoit enfin les hautes tours d'évacuation de la centrale électrique, qui ne semblent attendre qu'une intrusion dévastatrice pour s'écrouler.
Dans un cri de rage, Andréas s'avance vers son objectif, les yeux luisants. Nulle peur ne transparaît dans son regard quand il franchit la ligne qui symbolisait, quelques minutes à peine auparavant, le champ de force. Et effectivement, il passe de l'autre côté comme si elle n'avait jamais existé, avant de larguer, une à une, toutes les bombes que renfermait jusque là son avion. Dans un fracas digne d'un coup de tonnerre, elles explosent les unes après les autres. Mais Andréas n'a manifestement pas fini : après un dernier demi-tour, il plonge en piqué droit vers le bâtiment, et s'écrase volontairement à pleine vitesse dans le coeur de la centrale, qui se consume à son tour dans les flammes de la vengeance.
Dans la salle informatique, les dernières paroles du pilote résonnent encore, avec le goût amer d'une accusation :
- Voilà ma contribution.
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