CELLULE H (MACKENZIE)

— Et maintenant ? Que fait-on ? demanda d’un ton ennuyé Mako le regard fixé sur l’Intact encore inconscient.

Une excellente question à laquelle Michael n’avait pas l’air de vouloir répondre. Accroupis, les jambes écartées et les bras ballants, il se contentait de contempler les volutes de fumées noires de l’autre côté de la NanoVitre. Mackenzie, d’un tempérament pourtant égal en temps normal, sentit en lui monter une vague d’impatience qui l'excita au plus haut point à la vue de l’Intact assoupi. Lui qui adorait les imprévus et les surprises...

— On va le garder ? Je comprends pas pourquoi on devrait le garder ? s’enquit Mioche en sautillant autour du corps fumant de Nano du nouveau. Mac, dis, pourquoi on doit le garder ?

Sa petite silhouette disparaissait par intermittence, ses muscles et son visage presque rendus indiscernables par ses Nanos de dissimulation. Sans le bandeau rouge que Mako lui forçait à porter dans la cellule, même les H auraient du mal à discerner le plus malicieux des fêlés de l’Arène. Habitué à sa présence, Mackenzie sentit son regard presque invisible le braquer avec autant d’excitation contenue que de curiosité.

— Parce que Micky à décidé qu’on devait le garder, soupira-t-il en secouant la tête d’un air ironique en plissant les yeux. D’ailleurs, Michael si tu nous expliquais depuis quand les H font la charité un jour de Purge avec un inconnu ?

Silence. Le H l’ignora avec superbe, toujours aussi fasciné par ce qui se passait de l’autre côté de la NanoVitre. Même le gémissement de l’Intact affalé sur le sol dur de la cellule ne le tira pas de sa contemplation silencieuse.

— Aïcha… Papa… murmura-t-il entre deux grognements de douleur.

Il nageait dans une mare de sueur qui se mélangeait à du sang séché et dégageait une telle puanteur que même Mako, pourtant peu à cheval sur les règles d’hygiène, plissait le nez de dégoût. Le pauvre type se tortillait de douleur. Ses muscles se crispaient sous l’effet de la NanoEncre qui coulait sous ses veines et se répandait partout. L’Intact n’avait rien dû comprendre, mais quiconque possédant des NanoVision dignes de ce nom pouvait voir la guerre que mènent les Nanos de Hunter et celle de C4 pour décider lesquelles devaient laisser la place aux autres.

— Il va pas tenir, marmonna Mako en tapotant du bout de son pied nu la joue brûlante de l’Intact. Son corps va surchauffer et se racornir de l’intérieur. Pour supporter autant de Nanos d’un coup, il en faut pas juste dans le froc, il faut une équipe médicale spécialisée. Ou au moins quelqu’un qui s’y connaît, mais dans ce trou à rat...

Le dégoût dans sa voix était palpable. Mako savait de quoi il parlait, lui qui était médecin dans son ancienne vie, même s’il préférait parler de « NanoMécano ». Ses mains ne pouvaient pas s’empêcher de survoler le corps désarticulé du mourant, ses Nanos imprimant tout ce qu’il y avait à savoir sur le nouveau.

— Oh ! Il va mourir alors ? s’enquit Mioche en tirant la manche du t-shirt délavé de Mackenzie. Alors on peut se servir ? Il en a tellement que Cazaban ne se rendra pas compte s’il en manque une ou deux.

— Oh, je ne sais pas, lui répondit-il d’un ton tranquille. Si Mako dit qu’il est fichu, c’est qu’il est fichu.

— Bien sûr qu’il est foutu, grommella celui-ci en se penchant au-dessus du malade, fasciné malgré lui. Je sais ce que je dis bordel !

Le lourd soupir que lâcha Michael en se relevant attira l’attention de tout le monde à l’exception de Mascotte, le légume de la cellule assit sur son lit le regard dans le vague comme à son habitude. Le regard fatigué qu’il lança à Mackenzie lui fit hausser les sourcils en une expression qui criait « lâche le morceau mon grand ! ».

— Il va falloir qu’il survive, annonça-t-il d’une voix lasse en attrapant par le bras Mioche qui s’est remis à sautiller avec entrain autour de l’Intact. Tu dois être gentil avec lui, mon garçon, désormais il fait partie de la famille.

Mioche s’arrêta un instant de s’agiter, sûrement trop occupé à intégrer l’idée d’avoir un nouveau camarade de jeu.

— Pourquoi ? demanda-t-il de la voix de petit garçon qu’il n’avait jamais quitté.

— Parce qu’il a survécu à sa première Purge… et qu’Abe nous a invités à considérer son nouvel ami comme un membre de notre Cellule. Je suis sûr qu’il serait très triste d’apprendre qu’H66 a succombé aux Nanos qu’il lui a charitablement offerts.

Un long sifflement s’échappa des lèvres de Mako, tandis qu’un éclat de rire bref vint agiter le corps de Mackenzie. Abe ! Il comprenait mieux les choix de Michael. Quitte à choisir un ennemi, mieux valait cet idiot de Cazaban qu’un renard tel qu’Abe.

— H66, alors ? s’amusa Mackenzie un sourire aux lèvres. Il s’est foutu dans une sacrée galère pour une première Purge.

— Il nous a surtout mis nous dans la merde, grogna Mako les mains posées maintenant sur le front et le torse d’H66. Fallait qu’il bute C4 sur tous les tarés de l’Arène. On va devoir intégrer la Guerre des Cellules, avoir une place dans le Grand Placement.

— C’est Abe qui a tué C4, et avec une main en plus, rétorque Micky d’un ton las en haussant les épaules. Pour ce que ça change...

— Avec les G en moins, les F vont se sentir menacés, avanca Mackenzie l’esprit déjà préoccupé par toutes les répercussions de l'arrivée de l’Intact dans leur Cellule. Même les matons vont venir nous chercher des noises, essayer de déterminer nos Nanos…

Un long silence suivit ses observations. Tous les regards se braquèrent sur le corps encore bouillant du nouveau. Même Mioche resta immobile. L’anonymat des H avait toujours été leur plus grand avantage dans l’Arène. Ils restaient en dehors du Grand Classement, laissaient les autres prisonniers s’amuser avec les nouveaux les jours d’arrivée et faisaient leurs petites affaires avec les autres Inferieurs. Tout allait changer désormais. Cazaban voulait H66 mort et Abe l'exigeait vivant. Ils étaient coincés entre une guerre de volonté qui ne les regardait pas, mais c’était le jeu. L’Arène avait ses propres règles, immuables et terribles avec lesquelles il fallait composer. L’Intact devrait les apprendre, et le plus vite possible si les H voulaient avoir une chance de survivre.

Michael soupira.

— Bon, c’est bien gentil tout ça, grogna Mako, son attention désormais toute focalisée sur H66. Mais ça ne répond pas à ma question : que fait-on ?

Michael haussa les épaules d’un air fataliste en regardant Mackenzie d’un air blasé. II était aussi paumé que Mioche et Mako, presque autant que Mascotte toujours aussi peu intéressé par le monde extérieur. Tout en gloussant, Mackenzie se passa la main dans les cheveux avant de se frotter le visage, les méninges tournant à toute vitesse pour les sortir de la mélasse dans laquelle H66 les avait mis sans le savoir.

Au bout de quelques minutes passées dans un silence de plomb, les yeux fermés et les doigts massant avec douceur ses tempes, aucune idée fabuleuse ne lui vint à l’esprit. L'excitation face à ce problème insoluble fit battre ses Nanos qui brûlaient de s’activer. Il fallait qu’il se calme, chaque chose en son temps. Il rouvrit les yeux et fixa un à un les membres de sa cellule, de sa famille.

— Commençons par essayer de garder H66 en vie, commença-t-il en s’asseyant en tailleur tout près de Michael. Mako tu t’en charges, s’il te plaît ?

Le grognement qu’il lui envoya en réponse pouvait passer autant pour un « oui bien sûr » qu’un « allez tous vous faire foutre ». Enfin, la lumière verte de ses Nanos auréolant les deux mains qu’il passait au-dessus des muscles tendus du malade, ainsi que les gouttes de sueur qui commençaient à perler sur son front, étaient de bons indicateurs de sa volonté de sauver H66.

— Mioche, tu fais comme d’habitude.

— Je reste invisible et collecte des informations, affirma-t-il avant d’aller sautiller en direction de Mascotte maintenant que les choses sont réglées pour lui.

— Et tu arrêtes la rapine, lui lança Mackenzie d’un ton ferme. Il ne faut vraiment pas que tu ne te fasses remarquer. Tu as compris ?

Il prit son soupire dépité pour un oui.

— Quant à nous, Micky, il faut que nous établissions un plan d’attaque avant que l’assainissement ne se termine.

Michael se gratta la mâchoire, l’air concentré. Sa figure toute plissée semblait concentrée sur des préoccupations encore plus critiques que leur situation actuelle.

— Crache le morceau, Micky ! Qu’est-ce que tu nous caches encore !

— Je n’ai pas confiance en l’Intact, lâcha-t-il en faisant signe à Mako de se rapprocher. Ce que je vais vous dire doit rester entre nous le temps de tester la loyauté H66.

Nos têtes se rapprochèrent toutes dans un même effort, assez prêt pour sentir le souffle de chacun. Plus loin, Mioche asticotait Mascotte sans se soucier d’eux.

— J’ai trouvé quelque chose dans la Cellule des G. Quelque chose de très intéressant…

CELLULE C (Cazaban)

Les bougies à la cire rouge éclairaient à peine les murs écarlates de la Cellule. Celle-ci, cinq fois plus grande que celle des H et dix fois plus remplie, tremblait du vacarme émis par ses locataires. Les C, encore excités par la Purge, étaient massés les uns contre les autres en un cercle délirant. Ils hurlaient à en perdre haleine, frappaient de leurs poings contre les murs, de leurs pieds sur le sol.

Ce soir, la meute mettait son chef à l’épreuve.

Cazaban, le corps rayonnant de vitalité et la fumée des nouvelles Nanos acquise s’échappant encore des pores de sa peau, campait fièrement au centre de la Cellule. À ses pieds reposaient les corps encore vivants, mais désormais vierges de Nanos des fous qui lui avaient lancé un défi. On ne pouvait se battre et tuer que durant les Purges, mais l’Assainissement rendait opaque tout ce qui se passait dans les cellules plusieurs jours durant. Tant que le décompte des vivants ne bougeait pas, les matons ne s’intéressaient pas à ce qui se passait dans l’Arène.

— Qui est votre chef de meute ! hurla Cazaban en ouvrant grand les bras.

— CAZABAN !

— Qui suivrez-vous dans la Bataille des Cellules ?

— CAZABAN !

L’ivresse de la victoire et les pulsations excitantes de ses nouvelles Nanos lui faisaient presque oublier l'amère pilule de la mort de son frère. Presque.

— Les H sont désormais nos ennemis et moi, Cazaban, jure de venger notre ancien chef de meute. Dormez bien, mes loups, car demain ce sera la guerre ! La guerre contre les B, les D et les H ! Affûtez vos griffes, vos dents ! Rêvez du sang de nos ennemis sur votre langue, car bientôt vous en connaîtrez le goût…

Les cris qui lui répondirent le firent frissonner de plaisir. Des bêtes enragées, voilà ce qu’étaient les C. Bientôt, celles-ci se lanceraient à la poursuite de ses ennemis. Il se promit néanmoins d’être celui qui arracherait la gorge d’H66, et une fois qu’il aurait récupéré les Nanos de son frère, il pourrait s’occuper de cette vipère d’Abe.

CELLULE A (ABE)

Abe reposait sur son lit comme un mort dans sa bière : le corps rigide, les yeux fermés et les bras croisés sur sa poitrine. Ses lèvres bougeaient à une vitesse trop rapide pour que ses murmures soient compréhensibles.

— Tout avance. Tout se met en place comme les rouages d’une horloge. Tic… Tac. Chaque chose doit suivre son rythme. Le petit puis le grand, le rond et après le carré. Hunter… C4…H66… Michael… Abe et Lakhdar.

Abe ouvrit brusquement les yeux, le regard flamboyant d’émotions à peine contenues. Chaque élément était désormais en place, chaque pièce avait trouvé sa place. Le jeu pouvait enfin commencer. Le cauchemar pouvait enfin se terminer.