Lorsqu’Arch se leva finalement, une bonne demi-heure s’était écoulée. Kahya avait depuis longtemps regagné le village pour y rejoindre sa mère. Après seulement quelques pas, Criss le rejoignit en courant. Il s’arrêta devant lui, à bout de souffle, mains sur les genoux. Avant qu’Arch ne puisse prendre la parole, il leva un doigt pour le faire patienter et prit une longue inspiration.

— Viens à la chasse.

— Hein ?

Arch pencha la tête, incertain de bien comprendre. Criss prit une seconde supplémentaire avant de poursuivre.

— J’ai réussi à persuader mon oncle de t’emmener ! Et puis… J’ai oublié de te prévenir.

— Pourquoi est-ce que ça ne me surprend pas ?

— On y va pour trois jours. Je peux t’assurer que tu ne vas pas le regretter !

Arch pensa un moment à un enfant s’apprêtant à recevoir un présent d’anniversaire tant son camarade trépignait d’impatience. La pensée le fit sourire brièvement mais il réfléchit tout de même à la proposition. Quitter le village pour quelques jours lui ferait probablement le plus grand bien.

— Le départ est pour quand ? demanda-t-il.

Criss marqua un court temps d’arrêt puis esquissa un sourire idiot.

— Quoi ? Non… T’es pas sérieux ? Tout de suite ? Mais j’ai rien de prêt ! Et le professeur attend ses…

— Oh là ! Pas d’inquiétude, cher ami, car j’ai moi aussi quelque chose à récupérer.

— De la mémoire ?

— Si seulement… Rendez-vous à la porte !

Il repartit comme il était venu, sautillant sur le sentier. Son impatience ne semblait qu’empirer. Depuis le temps qu’il ne lui parlait que de chasse, partager ce moment serait sans doute une expérience pour le moins spéciale.

— Ah oui et prends des vêtements chauds, hein ! lança Criss depuis l’autre bout du chemin.

Haussant un sourcil, Arch jeta un coup d’œil sur les lieux alentour, couverts de neige. C’est vrai ça, après tout, pour quelle raison n’irait-il pas en simples chausses de lin ? Amusé, il rejoignit le village. Quelques maisons passées, il pénétra à l’intérieur d’un petit commerce, où d’âcres effluves cuivrés lui emplirent les narines. Un air de soulagement se dessina sur son visage. Les lieux étaient vides. Une chance, à n’en pas douter. Ses précédentes rencontres de la journée n’avaient pas été très enrichissantes. Exiguë, la pièce où il se tenait ne comptait que deux fenêtres minuscules, laissant filtrer une timide lumière. Il s’intéressa à l’impressionnante collection de couteaux, exposée avec soin sur le comptoir de bois, avant qu’un homme à la stature intimidante ne sorte de derrière un rideau. Il tenait à la main un hachoir et un morceau de viande fraîche de l’autre, dégoulinante de sang. Son tablier en était recouvert. Il passa son poignet sur le bandeau noir qui lui masquait l’œil gauche d’où une grande cicatrice venait cisailler son visage sur plusieurs centimètres.

— Tiens, tiens, ce serait pas là notre célèbre Arch ? dit-il en posant la viande pour y asséner un premier coup de lame.

— Bonjour Ysel.

— Tu r’fais parler d’toi au village.

— Etonnant.

— Dans quel genre d’ennuis t’es encore allé t’fourrer hein ?

— Un duel avec une pile de poterie un peu trop entreprenante.

Ysel arrêta le coup suivant, semblant se demander s’il avait bien entendu. Il tourna la tête.

— J’ai perdu, précisa le garçon.

— Ah les poteries. Ça pour sûr c’est l’grand problème des objets en terre cuite, reprit le boucher en achevant sa découpe, y z’ont des talents insoupçonnés.

Arch pouffa, poursuivant son inspection des pièces rapportées de la chasse. L’incroyable don d’Ysel pour rire de tout avait souvent tendance à mettre les gens mal à l'aise. Lui, y trouvait un quelque chose de distrayant. Le boucher laissa tomber une bourse de cuir sur le comptoir.

— J’t’ai mis comme d’habitude. Pis j’ai assuré la découpe. Mais t’inquiète pas, c’est pas compris dans le prix, ajouta-t-il avec un sourire intéressé. On soigne le client ici.

— Encore heureux, lui répondit le jeune mage en fouillant ses poches, ma bourse n’est pas bien remplie ces derniers jours.

— Bah ça c’est bien dommage. J’ai vu l’gamin d’Armin passer. Y sautait comme un lapin. J’devrais avoir du beau gibier d’ici quelques jours. Il est p’têt pas très malin mais pour sûr c’est un sacré chasseur.

Arch manqua de glousser, saisissant enfin la dernière pièce qu’il lui manquait.

— J’aurai l’occasion de voir ça. Je pars avec eux.

— Première fois en montagne, hein ? Ça pour sûr ça va t’changer du village. Fais gaffe à toi. T’es jeune mais là-bas, ça pardonne pas. Y’a des dangers d’partout. Pis les chasseurs sont à cran en ce moment. T’en a un qu’est pas r’venu qui disent. J’mettrai ma pièce sur un ours, mouais.

Il renifla, pensif. Arch acquiesça, ne faisant en vérité que peu attention à ses conseils. L’impatience de Criss l’avait gagné. Il avait hâte de s’essayer à la chasse à son tour. Il salua Ysel et quitta le commerce.

Lorsque Criss rejoignit finalement les écuries, près de la sortie du village, il y trouva son oncle Armin en pleine discussion avec son camarade.

— Je vois que les présentations ont été faites ?

— Je viens d’arriver, lui répondit Arch. Tu as ce qu’il te fallait ?

Pour réponse, Criss remonta son sac sur son épaule, provoquant une série de tintements métalliques. Son oncle acheva de fixer ses affaires avant de monter en selle, rapidement imité par les deux garçons. Arch s’équilibra avec une maladresse criante.

— En route la jeunesse, il faut arriver rapidement si vous voulez en profiter avant la nuit.

— Arch, une petite course ? Tu n’iras jamais aussi vite que moi ! lâcha Criss en partant soudain au galop, prenant son camarade à défaut.

Sa monture, qui ne manquait pas de réflexes, partit à son tour sans l’avis de son cavalier qui se cramponna comme il le put.

— Je ne m’avancerais pas trop sur ce point ! Cria-t-il d’une voix saccadée par les chocs en le dépassant.